Réforme du Code pénal: «Il faut trouver un équilibre entre les courants conservateur et moderniste»

Réforme du Code pénal: «Il faut trouver un équilibre entre les courants conservateur et moderniste»Réforme du Code pénal: «Il faut trouver un équilibre entre les courants conservateur et moderniste»

Le champ d’action du Parquet général doit être élargi pour privilégier les arrangements à l’amiable.

Le système de jugement à distance a été dicté par des contraintes sanitaires. Il n’a plus raison d’être aujourd’hui.

Entretien avec Mohamed Snaoui, avocat au barreau de Casablanca.

 

Propos recueillis par C. Jaidani

 

 

Finances News Hebdo : Quels sont les principaux axes qui doivent être réformés dans le Code pénal marocain ?

Mohamed Snaoui : Le Code pénal marocain a besoin de profondes réformes qui rentrent dans le cadre de la politique pénale que le Royaume veut adopter. Parmi les axes les plus importants, figure l’élargissement du champ d’action du Parquet général, à l’instar de ce qui se passe dans des pays développés ou ayant un niveau de démocratie élevé. Il aura la possibilité de proposer un règlement à l’amiable dans une affaire pénale. Au lieu de transférer le dossier pour jugement, il est possible dans certains cas de trouver un arrangement préservant les intérêts de toutes les parties concernées. Les affaires instruites par la Justice sont de type financier, comme les chèques en bois, la dilapidation des deniers en commun… L’idée est de donner un délai pour la personne attaquée en justice afin de trouver une solution. Personnellement, je ne suis pas convaincu par cette notion de «pouvoir discrétionnaire» qui fait que dès que le Parquet a des soupçons, il décide automatiquement de la poursuite judiciaire, alors que la loi stipule que la présomption d’innocence bénéficie à l’accusé. Il est donc essentiel d’atténuer la portée de ce pouvoir discrétionnaire et de ne décider la poursuite en détention préventive que dans des cas très restreints. C’est pour cette raison qu’il est primordial d’investir les peines alternatives qui ont montré leur pertinence dans plusieurs pays.

 

F.N.H. : Qu’en est-il de la détention préventive ?

M. S. : Le premier communiqué publié par le Parquet général, une fois devenu institution indépendante du ministère de la Justice, stipule qu’il faut rationnaliser la détention préventive. L’accusé ne peut être privé de sa liberté que dans le cas où il est impossible de décider à son encontre d’une peine alternative ou l’application de certaines clauses de l’article 161 du Code de la procédure pénale, comme la fermeture des frontières, le retrait du passeport, le contrôle judiciaire, le port du bracelet électronique, l’interdiction d’être présent dans une zone déterminée, le dépôt d’une caution, exercer des travaux d’intérêt public comme le nettoyage des rues. Malheureusement, cet article est très peu appliqué. D’où la question  : pourquoi légiférer alors qu’il n’est appliqué que rarement ? L’article 1 de la procédure pénale stipule clairement qu’une personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité soit légalement établie. Si l’on favorise les peines alternatives et qu’on élargit le champ d’action du Parquet général, il est possible alors de réduire sensiblement la pression sur les pénitenciers marocains qui sont très encombrés. Actuellement, on recense près de 89.000 détenus qui représentent une lourde charge pour l’Etat. Chaque détenu coûte à l’Etat entre 30 à 40 DH par jour. Ces charges auraient pu être déployées dans d’autres domaines comme la santé, l’enseignement ou les infrastructures.

 

F.N.H. : On déplore également un taux de récidive élevé chez les détenus marocains. Comment l’expliquez-vous ?

M. S. : Il n’y a que 5% de prisonniers qui ne sont pas récidivistes. C’est un taux alarmant. Après avoir purgé leur peine, certains ex-détenus récidivent au bout d’une semaine, car ils ont des avantages à l’intérieur des prisons qu’ils n’ont pas en état de liberté. Ils sont nourris et logés, font du sport, ont une douche à leur disposition, peuvent pratiquer d’autres activités culturelles ou sportives sans le moindre effort. Mais leurs parents vivent un grand calvaire car, à chaque fois, ils doivent leur donner de l’argent pour qu’ils achètent ce dont ils ont besoin. Il est donc nécessaire d’investir de nouvelles pistes pour lutter contre le phénomène de récidive. F.N.H. : Le Code pénal marocain est calqué en grande partie sur celui français. N’est-il pas opportun d’établir dans la réforme envisagée un texte plus adapté à l’environnement marocain ? M. S. : Avant qu’un projet de loi ne soit abordé par la Commission de la Justice, de la Législation et des Droits de l’Homme relevant du Parlement, commence une série de discussions en dehors du Parlement à laquelle participent le ministère de la Justice, des magistrats, l’Association des Ordres des avocats au Maroc et d’autres acteurs de la société civile. Chaque partie donne son point de vue et livre des recommandations en fonction de l’environnement socioéconomique national et en s’inspirant d’autres pays. Au final, ils proposent une mouture du projet de loi au Secrétariat général du gouvernement (SGG) qui le fait suivre au Parlement. Les discussions aboutissent à différents amendements pour que le projet de loi soit en phase avec la situation culturelle, sociale, économique et politique nationale.

 

F.N.H. : Pensez-vous que le projet du Code pénal a été retiré du Parlement à cause des clauses relatives à l’enrichissement illicite comme cela a été évoqué par l’opposition ?

M. S. : Le gouvernement a retiré ce projet de loi du Parlement en vue de l’amender dans sa globalité, et non seulement à cause d’un article relatif à l’enrichissement illicite. Avant d’être ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi est d’abord un avocat, un militant et un défenseur des droits de l’Homme. Il a sa propre vision qui se veut plus moderne.

 

F.N.H. : La réforme du Code pénal donne l’impression qu’il existe une confrontation entre le courant conservateur et le courant moderniste. Par exemple, certaines voix militent pour l’interdiction de la peine de mort, la dépénalisation des relations consensuelles en dehors du mariage ou de l’acte de manger sur la voie publique pendant le Ramadan. D’autres sont contre. Quelle est votre lecture ?

M. S. : Il faut rappeler que le Maroc est un Etat musulman ayant des principes indiscutables, mais qu’il faut néanmoins adapter avec l’évolution de la société marocaine et son environnement aussi bien national qu’international. Pour ceux qui veulent préserver la peine capitale, ils doivent se poser la question  : que va-t-on gagner avec une telle sentence ? Si on est conservateur, il faut dire que Dieu seul est capable de donner la vie ou la mort. Une personne ayant commis un crime passible de la peine de mort peut un jour devenir intègre. Personnellement, je suis contre cette peine qui est cruelle et ne donne pas les effets escomptés en termes de prévention contre les crimes les plus atroces. Il est possible de penser à des peines sévères, mais qui n’aboutissent pas à la peine capitale. Pour les relations sexuelles consensuelles en dehors du mariage, il faut prendre en considération la réalité des choses. Pour une raison ou une autre, certaines personnes ne veulent pas se marier pour ne pas assumer une responsabilité ou honorer des engagements. Elles préfèrent préserver leur liberté individuelle et ne pas subir des contraintes. Ces relations consensuelles commencent à séduire de nombreuses personnes. Elles ne doivent être illicites que lorsque l’une des personnes est mariée. Car, dans ce cas, on parle d’adultère qui est passible de peine privative de liberté. C’est le cas aussi pour les déjeuneurs du Ramadan ou la consommation d’alcool en public. Ces actes sont sanctionnés pénalement. Pour la réforme du Code pénal, il faut trouver un équilibre entre le courant conservateur et le courant moderniste.

 

F.N.H. : Quel est votre avis sur l’expérience des jugements à distance ?

M. S. : Le système des jugements à distance a été dicté par des considérations sanitaires extrêmes. Mais, juridiquement, il est illégal. En France, la Cour suprême a, dans une décision, estimé qu’ils sont non conformes à la loi. Au Maroc, il n’y a aucun texte de loi qui l’encadre. Il s’agit d’un simple décret du gouvernement, établi en concertation avec l’Association des Ordres des avocats au Maroc, afin d’assurer la continuité de la Justice et d’éviter de longues périodes de détention préventive. La présence physique devant le juge est la règle et non l’exception. Cela permet au détenu d’échanger et d’être accompagné par son avocat. Le pouvoir discrétionnaire du juge est profondément impacté s’il n’a pas tous les éléments. 

 

 

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