Partenariat Afrique - Europe: les malentendus des politiques migratoires

Partenariat Afrique - Europe: les malentendus des politiques migratoires

 

 

Le VIème sommet Afrique-Europe est prévu les 17-18 février courant à Bruxelles. Le thème central ? Le partenariat dans ses multiples facettes. Un rendez-vous préparé activement par le Belge Charles Michel, président du Conseil européen. Le chef d'Etat français, Emmanuel Macron, préside pour ce premier semestre l'UE, tandis que Macky Sall, son homologue sénégalais, va représenter l'Afrique en sa qualité de nouveau président de l'UA. Que faut-il attendre de ce rendez-vous ? Du côté de Bruxelles, les thèmes suivants ont été retenus dans l'ordre du jour: hisser les relations à un niveau supérieur, définir les priorités clés de l'avenir, baliser les orientations politiques et stratégiques, soutenir les solutions africaines et les défis africains, enfin aider davantage l'Afrique dans la lutte contre la pandémie Covid-I9. Oui, sans doute. Mais qu'en sera-t-il pour ce qui est d'autres domaines: développement social et humain, éducation, transition verte, accès à l'énergie verte, transformation numérique, etc. Et la question migratoire ? Elle sera abordée, mais l'on attend, en Afrique, qu'elle soit bien classée comme prioritaire. C'est en tout cas la position du Maroc. Et le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a tenu à le souligner ces derniers jours. Dans une allocution prononcée par visioconférence, lors d'une réunion de haut niveau sur «La migration et la mobilité dans le partenariat Afrique– Europe» organisée par la Fondation Afrique Europe, il a tenu à bien cerner la problématique  : «Si la migration constitue un enjeu commun, les intérêts qui y sont liés restent souvent contradictoires». Et d'ajouter que pour que les intérêts puissent converger, «il faut dissiper les malentendus qui entourent le phénomène migratoire...»

 

Pas de relation asymétrique

Quels sont aujourd'hui les termes de référence de ce grand dossier ? Il faut le dire tout net : il y a bien des malentendus. La migration constitue un enjeu commun pour les deux continents - ce n'est guère contestable. Mais qu'en est-il des intérêts qui y sont liés ? C'est évident : ils ne sont pas convergents; ils sont même contradictoires… Et pour surmonter cette situation, que faire ? Mettre au net les vrais problèmes et dissiper ainsi les incompréhensions, les préjugés et les malentendus. Pour cela, il importe d'œuvrer à une meilleure connaissance du phénomène migratoire: les flux des pays de départ aux pays de transit jusqu'aux pays d'accueil - des chiffres, des données objectives au plus près. Alors, l'on verra mieux ceci : que la crise n'est pas migratoire, mais politique. Une conclusion qui tranche avec un certain discours polémique, d'instrumentalisation électoraliste, par des groupements qui en font leur fonds de commerce. Le deuxième malentendu intéresse, lui, les objectifs des politiques migratoires.

La migration est aussi vieille que le monde. L'on ne peut arrêter en effet les flux migratoires. Même une pandémie ne peut rien y faire. La migration est bel et bien un phénomène historique, naturel, lié à l'histoire et à la mobilité des hommes et des populations. Le troisième malentendu regarde plutôt la méthode. Cela veut dire quoi ? Que les clés de la politique migratoire ne doivent pas être confiées aux passeurs et à des réseaux criminels. Il faut en effet se préoccuper de ce qui relève des voies d'accès légales à l'Europe. Le fléau, ce n'est pas donc la migration, mais autre chose : la traite des migrants. Un marché économique et financier qui est la 3ème source de profits des organisations criminelles. Comme l'a déclaré le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, «il faut reconnaître que la migration n'a pas besoin de stratégies palliatives et immédiates», mais d'autre chose : «des mesures créatives et ingénieuses déclinées sur le court, le moyen et le long terme». Il faut le préciser: la migration, ce n'est pas - comme on le soutient souvent en Europe - la gestion des frontières; elle est aussi la promotion et l'organisation de la mobilité légale. Entre l'Afrique et l'Europe, la gestion migratoire doit s'inscrire dans le cadre d'une véritable coopération, pas dans celui d'une relation asymétrique. Et même pratiquement à sens unique. Comme l’a rappelé Nasser Bourita, le continent veut faire de la migration «la force et non le talon d'Achille du partenariat entre l'Europe et l’Afrique». Et «bien qu'elle soit souvent pointée du doigt, l'Afrique remplit sa part», a-t-il ajouté. Un partenariat à rénover donc. Et à dynamiser. A réarticuler aussi autour d'un référentiel différent.

 

La vision marocaine

Le Maroc, pour sa part, a développé depuis des années une vision à cet égard. Un engagement conséquent et actif. En témoigne le rôle de leader africain sur les questions migratoires que le Souverain assume depuis 2010, et ce par décision de l'UA. C'est SM le Roi qui a défini, impulsé et accompagné la politique africaine unifiée contenue dans «L'Agenda africain pour la migration». Dans cette même ligne, a été créé l'Observatoire africain des migrations inauguré, voici un an, le 18 décembre 2020. C'est également le Maroc qui a été présent dans tous les débats régionaux et internationaux sur la migration, et ce du Forum mondial sur la migration au Dialogue euro-africain sur la migration et le développement - dit Processus de Rabat. Sans oublier encore le Pacte de Marrakech - officiellement appelé Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières - formellement adopté d'ailleurs, le 19 décembre 2018, par l'Assemblée générale des Nations unies. Même s'il relève de la catégorie du «droit mou», n'étant pas juridiquement contraignant, il peut avoir des conséquences en termes de responsabilité internationale.

 

Un dialogue d’égal à égal

L'enjeu du partenariat sur cette question migratoire est d'engager un dialogue d'égal à égal, franc et courageux entre l'Afrique et l'Europe. Il importe de l'appréhender non pas seulement en aval, mais aussi dans ses causes profondes : éradication de la pauvreté, prévention et résolution des conflits, lutte contre les effets des changements climatiques, développement durable et inclusif. Il n'y a pas de «tsunami» des migrants africains vers l'Europe. La migration Sud-Nord est minoritaire. Marginale même.

Les Africains émigrent assez peu en Europe. Au regard de la population du continent, cette migration est quasiment constante depuis trente ans - autour de 3%. Le gros de la migration est majoritairement ... au sein des pays africains. Enfin, l'on ne peut évacuer le dossier des compétences africaines migrant vers l'Europe. L'UE s'oriente en effet de plus en plus vers une immigration choisie, qualifiée. Le rapport sur le nouveau Pacte sur la migration et l'asile le précise bien dans son chapitre 7. Une approche qui interpelle le Maroc. Ainsi, le Souverain a fait état de la politique européenne qui voit «les meilleurs talents africains (faire) l'objet de convoitises européennes, au mépris de l'investissement de leur pays d'origine en termes de formation»-, une «hémorragie des cerveaux déplorable»… (Discours de SM le Roi, sommet UA-UE, Abidjan, 28 novembre 2017).  

 

 

Par Mustapha SEHIMI

Professeur de droit, Politologue

 

 

 

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