La Tunisie sous protectorat ... de l'Algérie

La Tunisie sous protectorat ... de l'Algérie

De nouveau donc, l'histoire bégaie au Maghreb. Cette fois-ci c'est la Tunisie tranquille, celle de la «Révolution du jasmin» de 2011 qui s'illustre. Le produc- teur-réalisateur n'est autre que le président Kaïs Saïed; le scénario et la mise en scène sont signés d'un pays voisin dirigé par le président Abdelmajid Tebboune et la junte militaire des généraux en responsabilité. Une série noire, un mauvais film de série B...

De quoi s'agit-il en l'occurrence ? De la réception en grande pompe, le 26 août du chef de la milice séparatiste, Brahim Ghali, à l'occasion de la tenue à Tunis, les deux jours suivants, de la 8ème édition de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l'Afrique (TICAD). Il a eu droit à un protocole particulier : tapis rouge, accueil au salon d'hon-neur de l'aéroport - les autres chefs d'Etat n'ont eu droit qu'à la première ministre, Najla Bouden... La réaction de Rabat ? Le rappel de l'ambassadeur. Elle a été expliquée comme une réponse immédiate à une «hostilité» accentuée du président Kaïs qui a «multiplié récemment les positions et actes négatifs à l'égard du Royaume du Maroc et de ses intérêts supérieur». La Tunisie rappelle à son tour son ambassadeur à Rabat optant ainsi pour une escalade. Elle aurait pu ne pas le faire, comme ce fut le cas pour Madrid et Berlin lors des tensions de 2021 avec le Royaume. La Tunisie s'enfonce Elle se fend, le même jour, d'un communiqué précisant qu'elle main- tenait «une neutralité totale sur la question du Sahara occidental, en conformité avec la légitimité inter- nationale». Elle ajoute encore que c'est «l'Union africaine (UA) (qui) a fait circuler un mémorandum invitant tous ses membres, y compris le chef du front Polisario, à participer au sommet de la TICAD». Enfin, le communiqué indique que «le président de la Commission africaine a par ailleurs adressé une invitation directe à Brahim Ghali pour qu'il participe au sommet». Ce faisant, la Tunisie s'enfonce. Sa réaction officielle ne lève pas toutes les ambigüités existantes; elle ne fait que «les approfondir», comme le relève le porte-parole du ministère des Affaires étrangères.

Des explications utiles sont à donner à cet égard. L'une d'elles est que la TICAD (Tokyo International Conference on Africa Development) est un forum ouvert auquel participent non seulement les pays africains mais aussi les organisations internationales (Banque mondiale, PNUD, BAD...), le secteur privé et la société civile qui œuvrent au développement du continent. Son référentiel s’articule depuis sa création en 1993 autour de deux axes stratégiques : l'appropriation africaine et le parte- nariat international. Il s'inscrit dans le registre des partenariats africains tels ceux de la Chine, de l'Inde de la Russie, de la Turquie ou encore des Etats-Unis. Le pays initiateur, invitant donc, invite des Etats africains qu'il reconnaît. C’est dire que l'UA, en tant qu'organisation continentale, n'est pas partie prenante même si des commissions spécialisées de celle- ci y participent. Il a été convenu et arrêté avec la Tunisie qui était l'hôte de la 8ème édition - et ce dès le départ- que ne pourront participer à ce ren- dez-vous des 27-28 août courant que les pays ayant reçu en bonne et due forme une invitation officielle. Une initiative unilatérale De qui ? Elle doit être cosignée par
le Premier ministre japonais et le Président tunisien. Huit jours auparavant, le 19 août, la mission diplomatique du Japon auprès de l'UA, à Addis-Abeba, publiait une note verbale dans ce sens. Elle précisait bien que l'invitation à la TICAD est «l'unique et authentique invita- tion sans laquelle aucune délégation ne sera autorisée à participer à la TICAD-8»; et que «cette invitation n'est pas destinée à l'entité mention- née (il s'agit de la prétendue «RASD») dans la note verbale du 10 août 2022». C'est d'ailleurs sur cette seule base que pas moins de 50 invitations ont été envoyées aux pays africains ayant des relations diplomatiques avec le Japon.

Alors ? La Tunisie n'a pas respecté cette règle et n'avait aucun droit ni aucune qualité pour inviter, de manière «unilatérale, parallèle et spécifique» l'entité séparatiste, et ce contre la volonté clairement explicitée du Japon. Elle a ainsi enfreint les décisions des sommets de l'UA qui précisent que «le cadre de la TICAD n'est pas ouvert à tous les membres» de l'organisation continentale. La référence que fait, par ailleurs, Tunis «au respect des résolutions des Nations Unies» et à sa neutra- lité sur la question du Sahara n'est pas davantage recevable:

tant s'en faut. L'on en a eu une preuve, en octobre dernier, lorsque ce pays s'est abstenu de manière surprenante lors du vote de la résolution 2602 du Conseil de sécurité sur la ques- tion nationale du Sahara marocain.

Cela dit, comment évaluer la présente situation ? Ce premier constat : la Tunisie a dilapidé tout un capital diplomatique historique. Référence est à ses positions équilibrées dans sa politique étrangère depuis des décennies - les bons offices, la médiation, la paix et la sécurité; autant de préoccupations fortes en particulier pour ce qui est du Maghreb et des relations intermaghrébines. Est-ce le cas aujourd'hui ? Pas le moins du monde : ce pays s'est proprement aligné sur l'Algérie ! Et, en l'espèce, et pour tous les autres dossiers régionaux ou continentaux, sa voix ne sera pas - ou plus ? - audible. Cette nouvelle situation porte un nom : celui de la vassalisation. Une forme contemporaine de protectorat... Le président Kaïs a-t-il une quelque autonomie et liberté de décision ? Aucunement, en ce sens qu'il s'est placé dans un rapport de subordination avec Alger avec ce seul mot d'ordre : se couper du Maroc ! Des signes et des actes allant dans ce sens? L'ambassadeur du Royaume nommé en février 2019 par SM le Roi n'a présenté la copie de figurée de ses lettres de créance qu'en novembre à une secrétaired'Etat par intérim de cette année-là. Mieux, il n'a été reçu officiellement par le Chef de l'Etat que le 22 janvier2022 - trois ans plus tard... Vassalisation...

La déclaration de Carthage, au terme de la visite de Tebboune à Tunis, en décembre dernier, s'apparente à un pacte, une union sacrée même. Elle a été assortie d'un prêt d'Alger de 300 millions de dollars et de la signature de 27 accords et mémorandums. Les frontières terrestres ont été réouvertes le 15 juillet 2022 après deux ans de fermeture pour raisons «officielles» de pandémie Covid-19. Une autre aide de 200 millions de dollars va suivre. C'estque l'économie de la Tunisie est exsangue avec un endettement de 44 milliards de dollars (102 % du PIB) et une évaluation pratiquement négative des marchés et des institutions internationales. Malgré pas moins de quatre rencontres avec le FMI depuis un an, aucun accord n'a été conclu, l'institution de Bretton Woods demandant des réformes structurelles.

Avec l'Union européenne, les relations se sont dégradées pour ces mêmes considérations. Avec les Etats-Unis, l'aide des 500 millions de dollars sur cinq ans dans le cadre du programme Millenium Challenge Corporation est désormais remise en question, comme l'a annoncé le 24 août courant le sénateur démocrate, Chris Coons, à son retour d'une tournée en Afrique. L'administration américaine est très critique. Le 28 juillet der- nier, le Secrétaire d'Etat Antony Blinken a ainsi déclaré que «la nouvelle Constitution affaiblit la démocratie en Tunisie». La nouvelle Constitution soumise àun référendum le 25 juillet dernier est de fait déstabilisatrice.

Elle a généré une grave crise politique ouverte depuis le 25 juillet 2021: mesures d'excep- tion, destitution du gouverne- ment, nomination d'un nouvel exécutif, dissolution du Conseil supérieur de la magistrature et du parlement, promulgation de lois par décrets, tenue d'élections législatives anticipées prévues pour décembre 2022, etc.

Une situation qualifiée par des forces politiques tunisiennes comme un «coup d'Etat contre la Constitution de 2014 et la consolidation d'un pouvoir auto-
ritaire».

Des conséquences en interne: cristallisation des divisions, recul des acquis du printemps tunisien de 2011, répression des libertés, condamnation par des dirigeants de parti et dénonciation de la décision «irresponsable» par l'ancien Président tunisien Moncef Merzouki. Mais
aussi une nouvelle géopolitique régionale et continentale. La réunion de la TICAD à Tunis a divisé les pays africains : retrait et absence du Maroc, retrait du président de la Guinée- Bissau également président de la CEDEAO, regrets du Sénégal, de la République centrafricaine et des Iles Comores etc.

Kaïs Saïed ? Un passif - un grand passif même. Un «liquidateur» de la démocratie et de la stabilité dans son pays, de l'amitié historique et de la solidarité active entre les peuples tunisien et marocain. Une lourde responsabilité... ◆

 

Par Mustapha SEHIMI
Professeur de droit, Politologue

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