Algérie: mal élu en 2019, Tebboune rempile le 7 septembre

Algérie: mal élu en 2019, Tebboune rempile le 7 septembre

Jeudi 21 mars, un bref communiqué officiel a fait état de la tenue d'une élection présidentielle anticipée fixée au samedi 7 septembre prochain. Il a été publié à la suite d'une réunion présidée par le chef de l'État, Abdelmadjid Tebboune, en présence du Premier ministre, des présidents des deux Chambre du parlement, du chef d'état major de l'armée (Salah Chengriha) et du président de la Cour constitutionnelle. Il faut bien le dire : cette décision a totalement surpris tout le monde, alors que la tenue de ce scrutin était normalement prévue en décembre prochain, au terme du mandat de cinq ans de A. Tebboune. Surprise donc et perplexité.

Sur les réseaux sociaux, l'étonnement est général : «Mafhemna walou...». Il n'y a eu qu'un seul précédent d'une présidentielle anticipée  : en septembre 1998, le président Liamine Zeroual annonçant qu'il ne serait pas candidat. Or, il n'y a rien de tel dans ce communiqué. C'est d'autant plus problématique qu'il y a quelques semaines seulement, le 27 février, l'agence officielle Algérie presse service (APS), directement reliée à la direction de la Communication de la présidence de la République, répondait à des rumeurs sur un possible report du scrutin présidentiel et faisait cette précision : «Les élections auront lieu en temps, tel que c'est prévu par la Constitution, et ce par respect pour le peuple algérien, seul détenteur de la souveraineté».

Passif du bilan

Que s'est-il donc passé pour que le président Tebboune prenne cette décision, la Constitution lui donnant cette prérogative selon les dispositions de l'article 91 ? A un premier niveau d'analyse, on serait tenté de dire qu'il n'y a pas «péril en la demeure». Malgré le passif de son bilan dans tous les domaines, tant en interne qu'à l'international, pas de crise politique, ni de crise institutionnelle, ni de graves dissensions au sommet de l'État, malgré les luttes intestines et les règlements de comptes récurrents entre les clans militaires (une bonne trentaine de généraux en prison, des dizaines d'autres mis d'office à la retraite, sans parler de l'extrême instabilité des responsables de l'appareil sécuritaire civil et militaire). Faut-il prendre en compte un désaccord de fond avec notamment une partie de l'establishment militaire ?

Le président Tebboune est âgé : il a 79 ans, avec une santé chancelante par suite de la pandémie Covid-19 dont il a réchappé après une longue hospitalisation en Allemagne durant plusieurs mois (29 octobre 2020 - 29 décembre 2021), puis le 10 janvier 2022 pour une intervention chirurgicale au pied, et enfin le 22 juillet 2023 avec son évacuation à la fin de sa visite officielle en Turquie. Cette dernière hospitalisation n'a pas été rendue publique et ne lui a pas permis de participer au sommet Russie - Afrique le 27 juillet à Saint-Pétersbourg, présidé par son «ami» Vladimir Poutine, se faisant représenter alors par son Premier ministre, Aimen Benabderrahmane. Cela dit, l'hypothèse d'un second mandat était dans l'air depuis des mois.

La propagande officielle entretenant ainsi le thème de «L'Algérie Nouvelle», voulant traduire le changement avec les vingt ans de la présidence de Bouteflika (1999- 2019) et marquer le retour sur la bonne voie. Elle met ainsi en relief ces indicateurs : des réserves de change de 70 milliards de dollars grâce à l'envol des cours des hydrocarbures, excédent du compte courant, diminution du déficit budgétaire, etc. Mais en creux, des indicateurs en rouge : 10% d'inflation, croissance de 2% en 2024, 12% de chômage... Un bilan de quatre ans que le président Tebboune a jugé cependant utile de présenter le 26 décembre dernier devant le Parlement (Assemblée nationale populaire et Sénat), comme le lui permet la Constitution (art. 150), qui fait cependant référence à l'adresse d'un «message». Le seul précédent de convocation du Parlement par le chef de l'État remonte à 2016, avec Abdelaziz Bouteflika à propos de la révision de la Constitution et de la possibilité pour lui de briguer un quatrième mandat. Cela fait trois mois, depuis son discours au Parlement.

La presse officielle a été à cette occasion dithyrambique : «L'Algérie se porte bien», «L'Algérie se développe, ayez confiance en notre peuple», «Un discours pour l'histoire». Des parlementaires lui ont demandé de briguer un second mandat. Il a répondu : «La parole revient au peuple, et que Dieu nous prête la santé nécessaire»... Publiquement, il ne fait pas part de ses intentions futures. Mais en son for intérieur, il œuvre constamment dans la perspective d'un second mandat (2024- 2029). A ses visiteurs de confiance, il explique que son œuvre est inachevée par suite de la pandémie Covid-19 (2020- 2022), de son hospitalisation et de sa longue convalescence.

Soutien de l’armée ?

Alors ? Peut-être faut-il avancer une autre lecture ? Il est connu que la direction de l'armée était divisée sur le soutien à lui apporter compte tenu de son peu de charisme, de son insuffisante capacité à réaliser l'union et des fortes incertitudes ne pouvant que s'accentuer dans les années à venir. De plus, le patron de l'ANP et ses généraux estimaient qu'il était difficile, dans le contexte social et politique actuel, d'attendre durant de longs mois, jusqu'à décembre 2024, pour régler la problématique du locataire du palais d'El Mouradia. Selon certaines informations, il était favorable à un scrutin plus rapproché, au lendemain du mois sacré du Ramadan pour lever cette hypothèque.

Un accord se serait fait à cet égard pour le 7 septembre prochain. Une date qui présente plusieurs avantages : prendre de court d'autres candidats et profiter des mois d'été qui ne favorisent pas la mobilisation des campagnes électorales des autres candidats; éviter que la campagne n'ait lieu en pleine rentrée scolaire et sociale, une séquence traditionnellement marquée par des mouvements sociaux multiples; et ne pas effectuer une visite officielle en France comme prévu à la fin septembre ou début octobre prochain, comme si Paris confirmait son adoubement quelque deux mois avant le scrutin présidentiel prévu en décembre 2024.

Tebboune paraît bien être en dernière instance un candidat par défaut, les généraux n'ayant pas trouvé, semble-t-il, un autre profil pouvant présenter des critères «marketables» a minima au moins. Il faut y ajouter la perte d'influence d'Alger à l'international, en Afrique, au Sahel, au Moyen-Orient et ailleurs, complétée par le recalement à l'admission dans les pays BRICS, en août dernier, en Afrique du Sud. Pas de candidature officielle au cours de l'année 2023 donc, mais les signes n'ont pas manqué pourtant.

A preuve, les manœuvres préparées de longue main par la présidence du côté de partis satellites du pouvoir. En juin dernier, c'est la bannière de «l'unification» qui a été ainsi brandie pour baliser le terrain. Le 4 juin, un accord à huis clos a été conclu entre les formations suivantes : le FLN, le RND, le Rassemblement Front El-Moustakbal, la Voix du peuple, le parti El-Karama, de l'Espoir algérien (TAJ), l'Union des Forces démocratiques et sociales ainsi que le Mouvement Ennahda. S'y sont également joints des syndicats et des organisations nationales. Le texte commun des 29 signataires affirme vouloir «renforcer la cohésion nationale, renforcer le front intérieur, et faire face aux menaces et aux risques qui pèsent sur la sécurité, les institutions et l'unité de l'Algérie».

Comment vont se présenter les mois à venir, d'ici le 7 septembre ? Du côté des autres candidats possibles, qu'en est-il ? Pour l'heure, seule Zoubida Assoul, qui dirige le parti Union pour le Changement et le Progrès (UPC), a franchi le pas en déclarant sa candidature. La formation à référentiel islamiste, le Mouvement de la société pour la paix (MSP) fondé par Abdallah Nahnah, s'inscrit dans ce même schéma, son dirigeant Abdelali Hassani tablant sur l'approbation de son conseil «Choura» - il est déjà représenté au gouvernement avec plusieurs ministres. Il faut ajouter Louisa Hanoun, responsable du Parti travailliste, ou encore Lamine Osmanie, ancien membre du FLN, qui a créé en 2019 le Parti de la Voix du Peuple.

Sur ces bases- là, le président Tebboune sera certainement élu le 7 septembre au premier tour. Mais avec quel score ? D'abord, quelle sera la participation électorale ? En décembre 2019, celle-ci avait été médiocre avec 23% de votants seulement (5.628.401 pour 24.453.992 électeurs inscrits et 1.111.678 bulletins nuls). Et sur les suffrages exprimés de 4.610.723, il avait obtenu 58,13% des voix devant quatre autres candidats (Abdelkader Bengrina, Mouvement El Bina, 17,37%; Ali Benflis, Avant-garde des Libertés, 10,55%; Azzedine Mihoubi, RND, 7,28%; et Abdelaziz Belaid, Front El Moustakbal, 6,67 %). C'est dire que de tels résultats ont pesé sur la légitimité de Tebboune depuis quatre ans : moins d'un quart du corps électoral, soit 23%, lui a apporté ses voix, avec le concours de l'appareil d'État et de l'armée mobilisés à cette fin. Une étape dans le cheminement du régime, mais la consécration d'un état des lieux critique de la démocratie. Avec son lot d'atteintes aux libertés, une justice aux ordres, une répression tous azimuts. Un régime attaché à son maintien et à sa survie... 

 

 

 

 

 

 

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