Le Forum des pays exportateurs de gaz (GECF) a tenu son 7ème sommet à Alger, du 29 février au 2 mars. La conjoncture énergétique mondiale est fortement marquée par autant d'incertitudes que de défis. Tous les pays y font face, qu'ils soient producteurs, consommateurs, exportateurs ou importateurs de ressources énergétiques fossiles. Ce rendez-vous a lieu trois mois à peine après la Cop 28 à Dubaï (E.A.U.), tenue du 30 novembre au 12 décembre 2023. Il faut rappeler que les énergies fossiles ont fait face à une véritable levée de boucliers et à un réquisitoire sévère. Tel n'avait pas été le cas une année auparavant avec la COP 27, laquelle avait plutôt considéré le gaz comme «source d'énergie relativement propre».
Sécurité de l'offre et de la demande
Le GECF a été fondé en 2001 et réunit 12 pays : Algérie, Qatar, Russie, Iran, Bolivie, Égypte, Guinée équatoriale, Libye, Nigéria, Trinité -et-Tobago, Venezuela et Émirats Arabes Unis. Trois autres pays ont été admis, à savoir le Sénégal, la Mauritanie et le Mozambique lors de ce septième sommet. Ce qui a été mis en relief à cette occasion, c'est la nécessité d'un dialogue continu entre producteurs et consommateurs; c'est aussi la construction d'une vision prospective commune reconnaissant le rôle croissant du gaz naturel dans le mix énergétique mondial; c'est enfin sa qualité de source durable et compétitive à même de garantir la sécurité énergétique.
D'ici 2050, la demande de gaz naturel devrait augmenter fortement de 34%; sa part dans le mix énergétique mondial passerait alors de 23 à 26%. Pour 2024, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a estimé que la demande mondiale de gaz devrait enregistrer une croissance améliorée par rapport à 2023. Depuis la reprise post-Covid, fin 2021, et plus encore depuis la guerre Ukraine-Russie déclenchée le 24 février 2022, l'alimentation des importations de GNL s'est faite par mer, notamment en provenance des EtatsUnis, et ce pour compenser les réductions drastiques de livraisons de gaz russe dans les pipelines vers l'Europe. La Déclaration finale résume les objectifs et la stratégie des producteurs et exportateurs de cette source d'énergie. Elle rejette «les entraves à l'investissement dans des projets gaziers au nom de la lutte contre le réchauffement climatique». Elle réclame la garantie de sécurité de l'offre et de la demande, la promotion de la stabilité du marché en faveur de marchés du gaz naturel ouverts, transparents, exempts d'obstacles et non discriminatoires.
«Troïka» maghrébine : un acte de division
En marge du 7ème sommet des pays exportateurs de gaz, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a tenu une réunion trilatérale avec le président tunisien, Kaïs Said, et le président du Conseil présidentiel libyen, Mohamed Younes El-Menfi. Dans le communiqué officiel, il est indiqué que l’évaluation a porté sur les points suivants : résultats du sommet, l'examen de la situation au Maghreb et la «nécessité d'unifier et d'intensifier les efforts pour relever les défis économiques et sécuritaires au service des intérêts des trois peuples». Il a été décidé par ailleurs la tenue d'une rencontre maghrébine tripartite, tous les trois mois, la première devant se tenir en Tunisie après le mois de Ramadan. Plus spécifiquement, les deux chefs d'État algérien et tunisien ont tenu une réunion sur le renforcement des relations bilatérales… Que dire de cette nouvelle «troïka» maghrébine qu'initie aujourd'hui Alger ?
Le président mauritanien, Mohamed Ould El-Ghazouani, présent au sommet, a été approché pour être partie prenante dans ce montage trilatéral, en vain. Il a écourté son séjour à Alger, estimant sans doute qu'il ne pouvait cautionner un tel acte de division du Maghreb; qu'il était hostile à la forme institutionnelle prévue des rencontres trimestrielles; et qu'au surplus il était attaché à la neutralité positive de son pays dans la question du Sahara marocain ainsi qu'au partenariat privilégié qui se consolide avec Rabat. Il faut ajouter un autre paramètre : celui de la présidence de l'Union africaine qu'il assure désormais pour un an, cette responsabilité imposant un rôle d'unité. Le sommet a aussi conduit le président Tebboune à inviter, pour des visites officielles, le président iranien Raïssi et le président du Mozambique, Filipe Nyusi, à la tête de pays exportateurs de gaz. L'on doit noter qu'ils sont hostiles au Maroc.
Dans son discours devant son hôte iranien, A. Tebboune a évoqué longuement la question du Sahara marocain sans que celle-ci ne fasse l'objet de la moindre référence du côté de son invité... La diplomatie d'Alger n'a plus d'autre cadre d'expression. Elle n'est pas audible dans le continent; elle ne l'est pas davantage au Moyen-Orient où les acteurs de premier plan occupent le terrain (Qatar, Arabie Saoudite, Égypte, Iran) et consolident à un titre ou à un autre leur influence couplée à leur capacité d'intermédiation. Enfin, au Conseil de sécurité dont l'Algérie est membre depuis le 1er janvier, les prises de position de ce pays par trop «activistes» restent de peu d'effet; elles s'apparentent à des postures pour la consommation intérieure d'un président finissant son mandat et préparant sa reconduction en décembre prochain pour un nouveau quinquennat..
Par Mustapha SEHIMI, Professeur de droit (UMV Rabat) Politologue