Les restrictions drastiques d’obtention des visas qui ont dépassé les 70% sont l’arbre qui veut cacher la jungle. D’autres enjeux entrent en ligne de compte, qui dépassent ses affaires consulaires, une carte utilisée par Paris pour tordre la main à Rabat, qui reste droit dans ses bottes et refuse tout chantage ?
Absurde. C’est une aberration diplomatique doublée d’une méprise politique de la part de la République française et du président Emmanuel Macron, qui, depuis son premier mandat, multiplie les glissades, les faux-pas et autres erreurs de jugement. Le jeu trouble de Paris va, aujourd’hui, au-delà des restrictions d’obtention des visas pour prendre une dimension plus profonde, dans un climat géopolitique et géostratégique qui fait de Rabat la cible de plusieurs attaques de la part de la France. Cela va de la fausse affaire Pegasus et toutes ces allégations farfelues sur l'espionnage à la visite en Algérie, les 27 et 28 août 2022, avec la réception instituée de toutes pièces par Paris, tapis rouge de surcroît, du présumé chef de la Rasd, invité unilatéralement par la présidence tunisienne. La Tunisie, qui a payé, très vite, la lourde addition d’un acte aussi irresponsable et gratuit, non seulement à l’égard de son ex-allié le Maroc, mais vis-à-vis des autres pays africains participants au sommet avec le Japon, qui a fustigé la Tunisie et pointé du doigt son illogisme et son amateurisme criard.
Le dessous des cartes
Mais avant de développer cette histoire de blocage des visas, il y a une question cruciale à laquelle il faut trouver des réponses. D’abord, quels sont les dessous des cartes entre Paris et Rabat? La réalité ne souffre d’aucune ombre. Entre les deux pays, rien n’est au beau fixe. Ce que d'aucuns pensaient être une brume dans un ciel d’été, a dégénéré en véritable crise diplomatique qui touche les fondements mêmes des relations bilatérales entre les deux pays : Dans ce sens, l’ancien ambassadeur marocain, Ahmed Faouzi, donne le ton de toute cette affaire : «De l'extérieur, on a l’impression d’une véritable «zemmourisation» de la vie politique, qui étend à présent ses effets à la politique internationale du président Macron». Ce dernier refuse catégoriquement certains choix du Maroc. En premier lieu, la reprise des relations avec Israël et la reconnaissance, sans ambages, de la marocanité du Sahara, par Washington. Depuis, le président français voit rouge, surtout que le Maroc a renforcé sa présence en Afrique, point sur lequel Paris bute depuis plusieurs années, ne pouvant rivaliser ni avec la Chine qui traite avec des États souverains et non avec «des anciennes colonies», comme l’avait affirmé Pékin. A cela s’ajoute la solidité des relations entre le Maroc et les USA, qui, elles aussi, ont éjecté la France de plusieurs régions d’Afrique mettant fin à cette Françafrique qui a atteint sa date de péremption depuis de nombreuses années. Mais les Français continuent de faire grand cas de cette phrase de François Mitterrand, dite en 1986 : «Les colonies ne cessent pas d’être des colonies parce qu’elles sont indépendantes». Une grave erreur de jugement doublée du déni des mutations connues par cette Afrique qui refuse la tutelle des anciens colons et qui met en place, sous l’impulsion du Maroc et de la politique du Roi Mohammed VI, une véritable coopération Sud-Sud, décomplexée et surtout résolument tournée vers un ave- nir commun pour les Africains. Et c’est là que la politique du Maroc dérange la France qui accuse Rabat de marcher sur ses plates-bandes. Une accusation vide de sens, puisque Paris a raté plusieurs bons virages dans sa politique africaine. Des ratages que le Maroc a exploités, négociant les bons virages et s’installant comme une grande puissance régionale et surtout comme l’unique pays d’Afrique du Nord à la fois stable et solide. Car l’Algérie est au bord de l’implosion, la Tunisie, c’est fini, la Libye patauge dans le chaos, la Mauritanie tire la langue, le Mali a été presque décimé par la France et tout un Sahel, géré par Paris comme une mine à ciel ouvert pour l'uranium et autres terres rares. D’où toutes ces manœuvres de déstabilisation de la part de Paris, qui avait entraîné dans ses sillages Madrid et Berlin, ces deux dernières capitales ayant depuis revu leurs positions et reconsidéré leurs relations avec Rabat, sur des bases plus saines et surtout plus claires. C’est à partir de ce prisme qu’il faut comprendre le récent déplacement d’Emmanuel Macron à Alger où il a été hué en affichant un grand sourire figé. C’est aussi à partir de cet angle qu’il faut comprendre le hara-kiri de Tunis et l’annonce d’une prochaine visite du président français au Maroc, dans une ultime tentative de faire son mea culpa, après tant d’erreurs et de ratés.
Chantage et bras de fer
On le voit bien, l’affaire est plus vieille que cela, mais l’allume-gaz a été déclenché en septembre 2021, quand la France a décidé de réduire à 50% l’octroi des visas pour les Marocains au motif que le Royaume refusait de délivrer des laissez-passer consulaires nécessaires au retour de ses ressortissants expulsés. Ces 50% dépassent en réalité les 70% des restrictions consulaires, pour pratiquement stopper net durant tout l’été 2022. Une décision unilatérale qui a eu de graves conséquences. On se souvient d’ailleurs de la réponse du ministère marocain des Affaires étran- gères, par la voix de Nasser Bourita, qui avait affirmé : «Nous avons pris acte de cette décision et la considérons comme injustifiée pour nombre de raisons, dont la première est que le Maroc a toujours traité la question de la migration avec la logique de responsabilité et le nécessaire équilibre entre la facilitation de la circulation des personnes (Étudiants, hommes d’affaires et autres…), la lutte contre l’immigration clandestine et le traitement ferme réservé aux personnes en situation irrégulière».
Malgré toutes les bonnes dispositions du Maroc, en juin 2022, les choses sont allées plus loin puisque la politique de blocage des visas a empêché le président de la CGEM, Chakib Alj, d’effectuer un déplacement important dans le cadre de ses missions. Cela a également touché de nombreux hommes d’affaires marocains qui travaillent entre le Maroc et la France depuis plus de 20 ans. Cela a mis un point d’arrêt aux projets de très nombreux artistes, d’intellectuels qui devaient donner des conférences et autres rencontres, à des négociants, des commerçants, des enseignants, des journalistes avec ordres de mission dûment signés par leurs rédactions, à des familles qui devaient être au chevet d’un frère, d’une mère, d’un père, d’un fils ou d’une fille, malades et livrés à eux-mêmes. Certains ont perdu des membres de leurs familles et n’ont pas pu assister à leurs funérailles. Des affaires ont été annulées, des mariages sont tombés à l’eau, des projets artistiques ont échoué, comme c’est le cas de ce réalisateur marocain, Karim Doniazalle, qui a conclu des contrats avec deux grandes maisons de production, en Italie et en France et qui «a presque perdu ce projet sur lequel j’ai travaillé durant cinq ans mettant tout entre parenthèses pour réussir cette grande production. Mais comment voulez-vous que nos partenaires italiens et français nous prennent au sérieux quand ils voient que nous sommes incapables d’avoir un visa en tant que producteur ou en tant que réalisateur et artiste». Ce type d’exemples qui se comptent par dizaines de milliers, explique les chiffres d’obtention des visas qui sont constamment revus à la baisse. Il y a même plus tragi- comique quand on sait que les autorités françaises ont refusé d’octroyer le visa à un homme d’affaires marocain dont le chiffre d’affaires dépasse les 300 millions de dirhams par an. Le prétexte avancé par le consulat est que ce chef d’entreprise «n’a pas les garanties pécuniaires suffisantes pour passer des vacances en France».
D’ailleurs, face à ce genre de non-sens, le porte-parole et vice-président des entreprises de France (Medef) a réagi face à cette brouille entre les deux pays, surtout après les restrictions drastiques des demandes de visas. Dans ce sens, Fabrice Le Saché a affirmé sans détours qu’il faut «continuer de bâtir des projets communs» entre Rabat et Paris pour développer davantage les secteurs privés avec «le Maroc qui est un grand pays» surtout qu’une réunion importante est prévue de longue date entre Marocains et Français. Il s’agit de la Rencontre des entrepreneurs de France (REF) 2022, avec la présence d’une délégation marocaine dont la présence est souhaitée par le patronat français, les 29 et 30 août 2022.
Contresens
Selon les données publiées par le ministère français de l’Intérieur, en 2020, les Marocains ont obtenu environ 98.000 visas d’entrée en France, contre 346.000 en 2019, environ 303.000 en 2018 et 295.000 en 2017. La France se justifie en affirmant que «C’est une décision drastique, c’est une décision inédite, mais c’est une décision rendue nécessaire par le fait que ces pays n’acceptent pas de reprendre des ressortissants que nous ne souhaitons pas et ne pouvons pas garder en France», comme l’avait souligné l’ancien porte-parole du gouvernement français Gabriel Attal. Cela porte un nom : tordre la main à l’autre pour l’obliger à s’exécuter. Pourtant, cette décision de la part de Paris ne se base sur aucune donnée objective de la coopération migratoire entre le Maroc et la France, qui se déroule, dans l’en- semble, de manière efficace, puisque les autorités marocaines ont honoré leurs engagements en matière d'identification et d’établissement des laissez-passer consulaires, comme il est stipulé dans les accords entre les deux pays. C’est dans ce sens que cette décision revêt des allures de chantage pur et simple. Sauf que dans ce bras de fer, Paris semble oublier que Rabat ne tolère plus aucune méprise et traite d’égal à égal avec tous ses partenaires. Une condition sine qua non érigée en principe fondamental pour le Maroc dans ses relations avec l’ensemble de la communauté internationale.
Dans ce sens, la question rhétorique posée par le politologue, Mostapha Tossa, prend tout son sens : «la mauvaise humeur française à l’égard du Maroc serait-elle due aux récents choix stratégiques opérés par Rabat à travers sa toute nouvelle et précieuse alliance politique avec les USA et Israël ? Sans doute, ce désir d’émancipation et de multiplication des amitiés a-t-il provoqué des aigreurs et des grincements de dents qui ont trouvé dans l’arme des visas une manière de s'exprimer ?». Une carte qui ressemble à un pétard mouillé, vu les enjeux entre les deux pays, que Paris semble brader en essayant de jouer sur plusieurs tableaux, séduisant les militaires algériens, manipulant un président algérien sans envergure étatique, poussant à la faute une Mauritanie moribonde, tout en continuant de semer le chaos en Libye, participant fortement à l'effondrement programmé du Maghreb et d’une Afrique du Nord dont l’unique pilier solide et fiable reste le Maroc qui n’a pas fini d’étonner.
Par Abdelhak. Najib
Écrivain-Journaliste