Gaming : le Maroc, de joueur à créateur

Gaming : le Maroc, de joueur à créateur

Le jeu vidéo n’est plus un simple loisir au Maroc : c’est un terrain d’expression culturelle et un enjeu stratégique. Le Royaume veut passer du statut de consommateur à celui de créateur.

 

Par K. A.

Loin des projecteurs braqués sur l’Asie et l’Amérique, le Maroc avance méthodiquement dans l’univers compétitif de l’industrie vidéoludique mondiale. Un marché planétaire estimé à plus de 300 milliards de dollars que le Royaume entend aborder avec méthode : formation des talents, soutien aux startups, infrastructures dédiées et politique publique volontariste. Le 13 mai courant à Rabat, deux conventions de partenariat ont été signées.

L’une lie le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication à celui de l’Enseignement supérieur, l’autre à l’Office de la formation professionnelle (OFPPT). Au-delà du symbole, ces accords reflètent une vision stratégique : former massivement aux 150 métiers identifiés dans l’écosystème gaming, en misant sur une montée en compétence à la fois universitaire et technique.

«Le véritable enjeu, c’est la formation. Sans talents qualifiés, aucune industrie ne peut émerger. Il s’agit de créer un vivier de développeurs, de designers, de streamers et de techniciens capables de répondre aux exigences du marché international», analyse Hakam Boubker, expert en gaming et fondateur du Versus Arena Gaming Center. En effet, la convention signée avec le ministère de l’Enseignement supérieur prévoit le lancement de filières dédiées dès la rentrée 2025 dans les universités de Rabat-SaléKénitra : DUT, licences, masters, mais aussi la création de Game Labs pour encourager l’expérimentation.

L’autre convention, avec l’OFPPT, introduit des formations qualifiantes aux métiers d’avenir comme caster e-sport, technicien de labo ou streamer professionnel. Des profils encore marginaux au Maroc, mais dont la demande explose à l’échelle mondiale.

Une filière en gestation, un potentiel sous-exploité

Si le Royaume part avec du retard, les signaux sont encourageants. Selon les estimations de Grand View Research, le marché marocain des consoles atteignait 83 millions de dollars en 2023 et pourrait frôler les 153 millions à l’horizon 2030, soit une croissance annuelle moyenne de 9,2%. Le segment du PC gaming suit une trajectoire similaire, avec un marché appelé à tripler en sept ans. Mais la véritable bataille se joue ailleurs : dans la capacité du pays à générer sa propre offre de jeux, plutôt qu’à dépendre de l'import.

Pour stimuler cette dynamique, le Maroc a lancé en mars 2025 un programme inédit, baptisé «Video Game Incubator», en partenariat avec la France. Ce programme accompagne actuellement neuf startups marocaines, en leur offrant coaching, financement, visibilité et accès à un réseau d’experts internationaux. La pièce maîtresse de cette stratégie se dessine à Rabat, où le gouvernement mise sur un projet emblématique : la Rabat Gaming City. Installée sur trois hectares, cette zone dédiée regroupera d’ici 2026 des studios, des salles e-sport, des écoles spécialisées et des espaces de coworking. Coût estimé : 360 millions de dirhams.

Objectif : générer 5.000 emplois directs et positionner le Maroc comme un hub régional du jeu vidéo. Un projet porté notamment par la société de développement régional Rabat Région Aménagements, et soutenu par la région Rabat-Salé-Kénitra. Sur le plan éducatif, le partenariat noué avec ISART Digital, classée parmi les meilleures écoles mondiales du jeu vidéo, envoie un signal fort. Dès 2024, plusieurs formations co-construites avec l’Université Internationale de Rabat ont vu le jour, visant à adapter l’offre pédagogique aux réalités du secteur. Programmation, game design, animation, intelligence artificielle appliquée…, les cursus sont alignés sur les standards internationaux.

Une jeunesse prête à jouer… mais aussi à créer

Le pari du Maroc repose en grande partie sur sa jeunesse connectée. Avec une moyenne d’âge de 29 ans, un taux de pénétration Internet dépassant les 88% et une appétence grandissante pour les jeux vidéo, le socle est là. Encore faut-il que la filière parvienne à transformer cette passion en opportunité économique. C’est tout l’enjeu des compétitions nationales comme la Morocco Gaming Expo, dont l’édition 2025 se tiendra à Rabat du 2 au 6 juillet.

Cette édition offrira une cagnotte de 500.000 dirhams, avec des tournois sur Valorant, Street Fighter 6 ou EA Sports FC 25. Au-delà du spectacle, ces événements permettent d’identifier les talents, de créer de l’émulation et d’inscrire le Maroc sur la carte des compétitions internationales. En 2024, le pays a notamment accueilli le Championnat africain d’esport, une première qui a renforcé sa crédibilité en tant que hub régional. «Le marché local commence à s’organiser, mais ce sont surtout les perspectives régionales qui sont intéressantes. Le Maroc peut devenir une passerelle entre l’Afrique francophone et l’Europe dans le domaine du gaming, à condition de structurer tout l’écosystème, du financement jusqu’à la diffusion des jeux», estime Hakam.

Derrière les pixels, c’est bien une question de souveraineté culturelle qui se joue. Le Maroc ne vise pas la lune : capter 1% d’un marché mondial estimé à 300 milliards de dollars. Un objectif à portée de main, mais qui exige plus qu’un plan: une conviction profonde que le Royaume peut passer de la console à la création. Comme le dit le ministre Mehdi Bensaïd, «il faut croire que le Maroc est capable de faire naître ses propres univers, et non de se contenter de parcourir ceux des autres». 

 

 

 

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