Le département des Finances a présenté dans le document de la programmation budgétaire triennale les principaux risques budgétaires, dont la matérialisation pourrait entraîner une déviation par rapport aux trajectoires cibles du déficit et de la dette, ainsi que des mesures mises en place pour les atténuer.
Ce premier exercice de son genre s'inscrit dans le cadre des efforts déployés par le Maroc pour renforcer davantage la transparence et la crédibilité de sa politique budgétaire.
Par Y. Seddik
Au cœur de la programmation budgétaire triennale 2024- 2026, les prévisions du cadre macroéconomique sont confrontées à une série de risques, tant internes qu'externes. Ces derniers, agissant à travers divers canaux, sont susceptibles d'impacter les trajectoires du déficit budgétaire et de la dette. Au niveau macroéconomique et sur la base d’une analyse rétrospective des principaux facteurs ayant impacté l’économie marocaine, trois principaux risques ont été identifiés, à savoir : le risque climatique, celui lié à la volatilité des prix des matières premières et énergétiques et le risque lié à un ralentissement brutal ou à une récession de la zone Euro.
Face à ces risques, le gouvernement adopte une approche proactive, combinant des mesures budgétaires d'urgence et des réformes structurelles. Les mesures d'urgence visent à répondre rapidement aux chocs économiques, avec des actions ciblées telles que le soutien exceptionnel aux professionnels du transport, la suspension temporaire des droits de douane sur le blé et la mise en œuvre de plans d'urgence sectoriels. Des transferts monétaires bien ciblés, limités dans le temps, sont également déployés via le registre social unifié pour atténuer les effets des crises sur les populations vulnérables.
En parallèle, des réformes structurelles sont en cours pour renforcer la résilience économique. Le Maroc s'engage dans des initiatives visant à anticiper et à s'adapter au changement climatique. Des stratégies sectorielles telles que la nouvelle stratégie agricole «Génération Green» et le programme national pour l'approvisionnement en eau potable et l'irrigation sont déployées pour améliorer l'adaptabilité aux changements climatiques, assurant ainsi une croissance durable à long terme.
Par ailleurs, le recours à la Ligne de crédit modulable du FMI, d’un montant de 5 milliards de dollars US, constitue une assurance contre les chocs exogènes et devrait permettre de soutenir la stratégie économique nationale et renforcer la confiance des partenaires et des investisseurs. En outre, la conclusion de l’accord au titre de la facilité pour la résilience et la durabilité (RSF), pour un montant de 1,3 milliards de dollars US, servira à appuyer les réformes engagées par le pays en matière d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.
Risques liés à l'exécution budgétaire
La surveillance attentive de l'exécution budgétaire est importante, en particulier face à l'évolution constante de la masse salariale. Ces dépenses sont passées de 119,3 Mds de DH en 2013 à 155,8 Mds de DH en 2023, soit une évolution globale de près de 40% et une évolution moyenne annuelle de 3,4%. Les risques potentiels liés à des recrutements imprévisibles ou à des ajustements salariaux sont aujourd’hui atténués par des plafonnements budgétaires et un contrôle strict des recrutements, conformément à la loi organique des finances entrée en vigueur en 2016. Les investissements publics, bien que cruciaux pour le développement économique, comportent également des risques budgétaires.
Le Maroc encourage des modes de réalisation plus performants, tels que le partenariat public-privé (PPP), pour accroître l'efficacité de l'exécution et attirer des investissements privés, tout en minimisant les risques liés aux coûts et à l'exécution. En parallèle, l’État poursuit sa feuille de route pour l’amélioration du climat des affaires afin d’attirer les investissements privés, nationaux et étrangers, et renforcer leur contribution dans la dynamisation de l’économie nationale et limiter la pression sur le budget de l’État. De leur côté, les recettes fiscales, autre pilier essentiel de l'équilibre budgétaire, sont sensibles aux changements législatifs et aux évolutions macroéconomiques, explique le document.
Pour minimiser les risques budgétaires énumérés ci-dessus, l’État a mis en place un cadre global de réforme du système fiscal national à travers l’adoption cadre n°69-19 portant réforme fiscale, et ce selon une démarche progressive. Dans ce cadre, la réforme de l’IS, introduite dans la LF 2023, et celle de la TVA, prévue dans le cadre du PLF 2024, s’inscrivent dans cette logique de donner une visibilité aux opérateurs économiques à moyen terme, ce qui permet de stabiliser relativement le système fiscal.
Risques liés aux garanties de l’État et aux EEP
Les garanties émises par l'État représentent un risque budgétaire significatif. Le ministère des Finances adopte des mécanismes d'atténuation tels qu'un examen approfondi des prévisions budgétaires des entités bénéficiaires, la restructuration des entreprises publiques pour réduire la dépendance aux garanties de l'État, et la mise en place d'une couverture prudentielle par le biais de la société nationale de garantie financière et d'équipement, SNGFE (Tamwilcom). Il est à rappeler, par ailleurs, que le contrôle du respect par la SNGFE de ses obligations prudentielles est du ressort de Bank Al-Maghrib, suivant un cadre prudentiel et de supervision spécifique. La gestion du portefeuille public, composé d'établissements et d'entreprises publics (EEP), nécessite une attention particulière.
Ce portefeuille public, caractérisé par sa consistance et la diversité des entités qui le composent, comprend, à fin septembre 2023, 272 EEP répartis entre 227 établissements publics et 45 sociétés anonymes à participation directe du Trésor. Certains EEP détiennent des filiales et/ou des participations totalisant 517 entités, dont 53% sont détenues majoritairement. En général, les risques budgétaires liés aux EEP dépendent de leur situation financière. Ils pourraient conduire à des manques à gagner au niveau des recettes non fiscales (Ex : versement moindre de dividendes ou autres produits) et/ou à une aggravation des dépenses sous l’effet des subventions occasionnées par une révision de politiques.
Il s’agit de sociétés de droit privé dont le capital est détenu directement totalement ou partiellement par l’Etat. Ces risques sont étroitement surveillés à travers un dispositif de gouvernance, de suivi des risques et des contrats-programmes établissant des objectifs clairs. Sur le plan stratégique, l’Etat s’est engagé dans la refonte du secteur des EEP en adoptant la loi-cadre n° 50-21 relative à la réforme de ce secteur. Cette réforme vise la restructuration du secteur afin, notamment, de réduire les subventions qui leur sont accordées et améliorer leurs contributions au budget de l’Etat. En conclusion, le gouvernement marocain adopte une approche proactive pour aborder les risques budgétaires.
Cette stratégie combine en effet des mesures immédiates en cas de crise, avec des réformes structurelles visant à renforcer la résilience économique et à assurer une gestion budgétaire durable. Rappelons que, comme annoncé au Parlement en juillet 2023, le gouvernement souhaite poursuivre le processus de consolidation budgétaire afin de ramener le déficit à 3% du PIB à l’horizon 2026 et d’inscrire la dette sur une trajectoire baissière à moins de 70% du PIB.