Passée la découverte du Budget 2020, des voix fusent pour en dénoncer certaines dispositions.
Pour l’économiste Najib Akesbi, ce PLF porte l’empreinte très visible des organismes internationaux.
Par D.W
Accorder la priorité aux secteurs sociaux, à la stimulation de l'investissement et au soutien aux PME : c’est, entre autres, le cap que s’est fixé le gouvernement dans le cadre du projet de Loi de Finances 2019. L’exécutif a, ainsi, fait des arbitrages budgétaires et des choix économiques qui, avec le recul, font de plus en plus réagir.
Les partis d’opposition, comme le Parti du progrès et du socialisme, ont été les premiers à monter au créneau pour critiquer la teneur du Budget 2019
Tout autant, certains observateurs avertis l’apprécient avec beaucoup de réserve et l’accueillent avec un œil critique. Et ce, tout en soulevant d’emblée un certain nombre d’interrogations, dans la mesure où les détails de ce PLF 2020 ont été dévoilés quelques jours seulement après le remaniement ministériel.
«Qui l’a élaboré ? Est-ce que les nouveaux ministres, qui sont là en principe pour leurs compétences, ont eu leur mot à dire ?», se demande l’économiste Najib Akesbi, pour qui ce projet de loi porte l’empreinte de l’ancien gouvernement.
Mieux encore, poursuit-il, ses orientations générales sont «celles, précisons-le bien, de l’Etat marocain, mais dictées par les institutions financières internationales».
«Le Fonds monétaire international ne va pas renouveler la ligne de précaution et de liquidité (LPL, ndlr) s’il n’a pas de garanties, d’abord en termes de politique économique», argumente Akesbi.
Il faut, à ce titre, rappeler que depuis 2012, le Maroc a signé 4 lignes de précaution et de liquidité avec le FMI. Le premier accord LPL en faveur du Royaume, d’un montant de 4,1 milliards de DTS (environ 6,2 milliards de dollars au moment où il a été approuvé), a été approuvé le 3 août 2012.
Le deuxième, d’un montant de 3,2 milliards de DTS (environ 5 milliards de dollars au moment où il a été approuvé), a été approuvé le 28 juillet 2014. Le troisième, d’un montant de 2,5 milliards de DTS (environ 3,5 milliards de dollars au moment où il a été approuvé), le 22 juillet 2016, tandis que le 4ème a été approuvé le 17 décembre 2018, pour un montant de 2,1 milliards de DTS (environ 2,97 milliards de dollars).
En conséquence, Akesbi, qui assimile cette LPL à «un programme d’ajustement qui ne dit pas son nom», estime que «nous sommes en face d’un gouvernement qui commence par obtenir le feu vert du FMI avant d’élaborer la Loi de Finances». D’autant que cette dernière «est dans la ligne droite de l’orthodoxie financière, du soi-disant maintien du déficit budgétaire à 3% du PIB que nous n’arrivons pas à atteindre, de la diète au niveau des créations d’emplois... C’est un corpus que la Loi de Finances prolonge», ajoute-t-il.
Si plusieurs ministres assurent d’ores et déjà le service après-vente de ce PLF 2020, c’est que la grogne commence à monter chez certains opérateurs qui le jugent indigeste.
L’Association marocaine des exportateurs (Asmex) a ainsi haussé le ton pour dénoncer la «suppression de l’exonération quinquennale sur les nouvelles créations d’entreprises exportatrices, le relèvement du taux de l’IS de 17,5% à 20%, le relèvement à 15% du taux de l’IS pour les entreprises ayant le statut CFC, ainsi que le relèvement à 15% du taux de l’IS pour les entreprises installées dans les zones franches d’exportation».
L’Asmex estime, de fait, que le PLF 2020 présente «des risques majeurs de fragilisation des exportations et des parts de marchés acquises».
Dans un contexte marqué par un déficit commercial structurel, avec un gouvernement qui avait fait de la promotion des exportations un pilier de sa stratégie, on peut en effet s’interroger sur la pertinence de telles dispositions fiscales.
Najib Akesbi est, lui, convaincu que le Maroc subit pleinement le diktat des organismes internationaux. «La première chose qui frappe dans cette Loi de Finances, de façon absolument caricaturale, c’est la soumission aveugle, et à la limite humiliante aux diktats de l’Union européenne et de l’OCDE sur la question dite des dérogations aux exportations, aux zones franches, etc.», peste-t-il.
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«Ce sont précisément les pays du Nord qui, il y a 20 ans, 30 ans, nous recommandaient de multiplier les zones franches et offshore, les exonérations et autres avantages et dérogations aux exportateurs, parce qu’à l’époque, ça rentrait parfaitement dans leur stratégie dite de sous-traitance internationale. Ils étaient en pleine dynamique de mondialisation et avaient besoin d’implanter des filiales dans différents pays. J’insiste là-dessus, parce que parfois les gens ont la mémoire courte : ce que l’UE et l’OCDE nous demandent d’annuler, c’est ce qu’ils nous ont imposé à une certaine époque parce que c’était leur stratégie», argumente-t-il.
Aujourd’hui, poursuit-il, «puisqu’on ne parle plus de délocalisation à tout-va, mais plutôt de relocalisation, ils changent de vision. Car les délocalisations, qui posent des problèmes en termes d’emploi, sont devenues, pour eux, de la concurrence dite déloyale».
Et, selon lui, «le plus grave, c’est que nos gouvernants marchent au doigt et à l’œil et ne sont pas cohérents avec leur stratégie de promotion des exportations».
Mais nos gouvernants ont-ils vraiment le choix ? Rappelons que le Maroc est toujours sur la «liste grise» de l’Union européenne des juridictions non coopératives à des fins fiscales.
C’est pourquoi d’ailleurs il a signé, le 25 juin dernier, l'Accord multilatéral entre autorités compétentes pour l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers entre les pays de l'OCDE. L’objectif du Royaume est donc de sortir de cette liste grise. Et certaines dispositions fiscales contenues dans le PLF 2020 s’inscrivent dans cette veine.
De l’avis de Akesbi, «la stratégie de promotion des exportations, qui n’a pas produit des résultats très probants, va en produire encore moins. On ne peut pas, d’un côté, continuer à prêcher l’ouverture, la mondialisation, miser sur les investissements directs étrangers… et, de l’autre côté, supprimer les avantages à l’export».
«Pour rester dans la grâce de l’UE, de l’OCDE et des organismes internationaux, ils (nos dirigeants, ndlr) sont capables de tout, y compris de renier leur stratégie. Ils sont en train de se faire hara-kiri», conclut-il.
Comment attirer alors les investisseurs étrangers si certains avantages sont supprimés? La question mérite d’être posée quand on sait que sur ce registre, précise Akesbi, «le Maroc n’est pas un dragon». Et ce, même s’il est vrai que les entrées nettes d’investissement étranger direct au Maroc se sont raffermies de 36% pour totaliser 3,6 milliards de dollars en 2018, selon la CNUCED.
Grâce à ce résultat, le Royaume a amélioré son positionnement régional, se situant à la quatrième position en Afrique en termes d’accueil des IDE, juste derrière l’Égypte (6,8 milliards de dollars), l’Afrique du sud (5,3 milliards) et le Congo (4,3 milliards), indique-t-on dans le rapport économique et financier du PLF 2020.
Aujourd’hui, avec ce PLF 2020, le gouvernement s’inscrit dans la logique de respecter ses engagements internationaux, mais doit tout autant faire face à la nécessité de booster les exportations et à la grogne des opérateurs. Dans pareille situation, le Parlement réussira-t-il à faire approuver des amendements ? ◆