Après un an d’exercice, le Centre marocain de médiation bancaire (CMMB) est parvenu à résoudre 80% des dossiers traités. Depuis sa création, la saisine du CMMB a connu une montée en puissance. Dans le traitement des dossiers, le surendettement des ménages est une préoccupation majeure. Valeur aujourd’hui, le champ de compétences du CMMB reste méconnu chez un bon nombre de clients. Mohamed El Ghorfi, médiateur, nous éclaire sur le rôle et, surtout, les avantages de la médiation bancaire.
Finances News Hebdo : Un an après, quel bilan chiffré pouvons-nous faire du Centre marocain de médiation bancaire (CMMB) et jusqu’à quel degré a-t-il permis de prévenir les contentieux judiciaires ?
Mohamed El Ghorfi : Depuis le démarrage du CMMB en avril de l’exercice écoulé, nous avons traité un peu plus de 250 dossiers (95 en 2014 et 160 au terme du premier semestre 2015), avec un total de capitaux de plus de 15 MDH. Mais à ce niveau, il y a lieu de tenir compte de deux éléments d’appréciation :
-l’efficacité d’un centre de médiation se mesure plus à la capacité de résolution des différends qu’au nombre de dossiers traités; autrement dit, c’est le nombre de dossiers résolus rapporté au nombre de dossiers traités qui est le ratio le plus important. A fin juin dernier, ce ratio avoisinait les 80%;
-la phase de démarrage requiert toujours un certain nombre d’actions très consommatrices de temps et de patience, notamment la sensibilisation des partenaires et une communication à large spectre pour informer la clientèle des établissements de crédit de l’existence du CMMB, ses atouts ainsi que les avantages de la médiation par rapport aux autres modes de résolution des conflits. C’est une action durable à différents niveaux, et donc un investissement dans le temps.
Le rôle du CMMB à terme est d’alléger le contentieux bancaire avec un règlement amiable qui permet aux parties de continuer leurs relations d’affaires dans un climat serein et apaisé. Notre but est d’équilibrer les rapports de force entre les parties, ce qui n’est pas toujours évident.
F.N.H. : En dépit de la mise en place du CMMB, les créances en souffrance continuent à grimper, soit 54 milliards de DH à fin avril. Quelle est la part de conflits dans ce montant très important ?
M. E. G. : D’abord, il s’agit d’un stock cumulé sur plusieurs années avec des entrées et des sorties à la fin de chaque exercice civil que les établissements de crédit gèrent conformément à la règlementation de BAM. Pour notre part, il est matériellement difficile de chiffrer la part des conflits au sens stricto sensu. Cela, nous le savions pertinemment au départ : que notre action ne pouvait avoir un impact significatif la première année pour au moins deux raisons :
-le démarrage de notre Centre s’est effectué avec le premier compartiment (c’est-à- dire les litiges dont le montant est inférieur à un million de dirhams). Rappelons au passage, qu’au fil des mois, plus le Centre était connu à travers les medias plus sa saisine augmentait. La saisine du Centre a connu une montée en puissance progressive grâce, d’une part, au caractère de protection des droits du consommateur devenue une préoccupation majeure des différents intervenants public/privé et, d’autre part, à la gratuité de ce service offert aux clients n’ayant pas toujours les moyens de recourir aux frais et prestations d’un contentieux judiciaire.
- le lancement du deuxième compartiment (c’est-à-dire les litiges dont le montant est supérieur à un million de dirhams) n’a vu le jour réellement qu’après avril 2015, soit après l’approbation de notre Conseil d’administration. Compte tenu des montants importants qui pourraient nous être confiés à l’avenir, nous demeurons optimistes quant à l’impact que pourrait avoir notre action sur l’allègement du contentieux des établissements de crédit.
Il paraît évident à cet égard que la nature de certains conflits d’investissement ou commerciaux ne s’accommode pas toujours des procédures judiciaires, qu’elles soient commerciales ou civiles.
Nous avons constaté que le nombre de demandes de médiation concernant les difficultés liées au remboursement des créances est de plus en plus à la hausse, surtout pour les cas prévus par la loi 31-08, à savoir les personnes physiques qui ont une situation sociale imprévue ou qui font l’objet d’un licenciement ou d’une perte d’emploi. Cette catégorie représente 16% des dossiers traités.
Par ailleurs, le surendettement demeure un problème majeur. Nous remarquons qu’il est devenu un phénomène social relatif au mode de vie de la plupart de nos concitoyens, de la classe moyenne.
F.N.H. : Vous gérez deux dispositifs de médiation : un dispositif de médiation institutionnelle et un autre de médiation conventionnelle. Hormis les montants en jeu, quelles sont les différences entre ces deux compartiments ?
M. E. G. : Notre activité est régie par la loi 08-05 relative à la médiation conventionnelle. Les principales différences s’articulent autour de trois points :
-la première consiste en le délai de traitement. Il est prévu un délai règlementaire de 30 jours pour traiter un litige d’un montant inferieur à un million de dirhams. Le but de ce délai court est «d’évacuer» les litiges de faible montant pour la continuation et la reprise rapide des relations à la satisfaction des parties. Pour les litiges dont le montant est supérieur à un million de dirhams, nous nous référons à un délai plus long, soit trois mois, prévu par la loi;
- la deuxième consiste en la recevabilité. Pour le 1er compartiment, tous les litiges portés devant une quelconque juridiction sont irrecevables devant la médiation bancaire. Les deux modes de résolution ne peuvent pas fonctionner en parallèle. Par contre, pour les médiations engagées dans le second compartiment, nous avons la possibilité de suspendre une procédure judiciaire jusqu’à épuisement du processus de médiation, bien entendu en respect des délais susvisés et après accord du juge territorialement compétent;
- la troisième consiste en le règlement des frais liés au service de médiation. Les dossiers traités dans le cadre du premier compartiment bénéficient de la gratuité totale. Pour les dossiers traités dans le deuxième compartiment, le processus de médiation est payant, mais demeure attractif par rapport aux frais de justice.
F.N.H. : Quels sont les mécanismes mis en place par votre organisme pour faire face aux différends financiers ?
M. E. G. : Le CMMB ne peut être saisi par la clientèle qu’après épuisement de tous les recours internes mis en place par l’établissement concerné. Ce dernier dispose d’un délai de quinze jours pour répondre à la réclamation, si sa réponse ne satisfait pas ou n’est pas reçue par le client, ce dernier peut officiellement saisir le CMMB.
Pour saisir le CMMB, une demande de médiation (imprimé) est mise à la disposition du client qui doit être obligatoirement remplie et signée par le plaignant. L’imprimé de cette demande peut être téléchargé à partir de notre site web au Maroc ou à l’étranger.
Le médiateur déclare la recevabilité du dossier qui lui est soumis après réception de tous les justificatifs nécessaires relatifs à l’objet de la médiation.
Le champ de compétences du médiateur est assez bien détaillé dans notre règlement de médiation (publié également dans notre site web en arabe, français et anglais). Il concerne toutes les opérations globalement liées au compte du client, les difficultés de règlement des TPME, les cas sociaux ainsi que la délivrance des documents sollicités.
Est exclu du champ de compétences du CMMB le recouvrement des créances en souffrance des établissements de crédit.
Le médiateur est responsable de la conduite du processus de médiation jusqu’à son achèvement (réunions avec les parties en aparté ou en plénière, expertises externes si nécessaire etc). Il est tenu de rédiger et de signer le protocole transactionnel avec les parties (protocole transactionnel ayant autorité de la force jugée) ou seul en cas de désaccord des parties, conformément aux dispositions légales et règlementaires.
Le médiateur dispose d’une force de proposition jusqu'à un certain seuil auprès des établissements de crédit. Ces derniers ont un délai réglementaire pour passer à l’exécution.
F.N.H. : Quelles sont les difficultés que le CMMB a rencontrées durant un an d’exercice et qui, d’une manière ou d’une autre, ont conduit à l’échec de résolution des conflits ?
M. E. G. : Nous recevons par courrier beaucoup de dossiers des quatre coins du Royaume ne relevant pas de notre champ de compétences. Il faut dire aussi que les clients ne connaissent pas encore suffisamment le champ de compétences de notre Centre. Nous nous attelons à rectifier le tir autant de fois que cela est possible en comblant ce déficit de communication. En ce qui concerne l’échec de résolution des conflits, il incombe souvent à un type de clientèle désemparée qui frappe à toutes les portes et se voue à la première qui s’ouvre devant elle en délaissant momentanément les autres ou bien carrément en refusant les propositions du médiateur.
F.N.H. : Dans le même sillage, en cas d’échec entre les parties en conflit, quelles sont les voies de recours dont elles disposent ?
M. E. G. : Le recours à la médiation est volontaire, conformément au respect de la loi des parties. En cas d’échec de la médiation, les parties bénéficient du droit de recourir aux juridictions de droit commun ou à l’arbitrage après achèvement de la médiation, mais en aucun cas en parallèle. Le médiateur n’est pas tenu de restituer les pièces versées à son dossier et encore moins de comparaître devant le juge saisi du même litige.
Pour conclure, l’introduction d’une partie neutre dans le processus de règlement d’un conflit a pour but de vider ce litige de sa charge émotionnelle et d’essayer de rapprocher les points de vue des parties vers des positions plus rationnelles. Passer de la confrontation au dialogue par un tiers indépendant, bien formé et bien informé, est déjà un pas positif dans les conditions de réussite de la mediation.
Propos recueillis par Soubha Es-siari