Les nouvelles technologies induisent de profonds changements sur les marchés financiers.
Les dépositaires centraux doivent faire face à cette réalité en faisant preuve de réactivité et d’agilité.
Par Badr Chaou
Les dépositaires centraux des quatre coins du monde se sont réunis pour une cinquième fois à Marrakech. Après Hong Kong, c’était au tour de la ville ocre d’abriter la conférence du Forum mondial des dépositaires centraux des titres des valeurs mobilières «World Forum Conference of CSDs» (WFC), à l’initiative de Maroclear, sous le thème «La nature changeante des marchés financiers».
La séance d’ouverture a connu la présence d’une multitude d’acteurs des marchés financiers, dont Fathia Bennis, PDG de Maroclear, Nezha Hayat, présidente de l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC), Karim Hajji, président de la Bourse des valeurs de Casablanca, ainsi que le président du dépositaire central du Japon, Byughrae Lee, et celui de l’organisation des dépositaires centraux d’Afrique et du Moyen-Orient (AMEDA), Mohamed Abdel Salam.
«C’est un évènement d’importance mondiale, qui réunit tous les dépositaires centraux du monde, et certains y participent pour la première fois. J’en suis très heureuse et pour le pays et pour notre marché, car cela nous permettra d’aller de l’avant et d’échanger nos expériences avec les autres dépositaires centraux, surtout dans un cadre où la technologie évolue rapidement», nous a confié à cet effet Nezha Hayat. «Nous sommes là pour aborder tous les sujets traitant des nouvelles technologies en lien avec les marchés. L’objectif est d’avoir plus de transparence et connaître quels seront les nouveaux métiers en rapport avec ce progrès technologique», ajoute-t-elle.
Le digital au cœur du débat financier
Justement, les marchés financiers connaissent un profond changement ayant trait au développement des nouvelles technologies. L’impact de ces dernières (blockchain, cybersécurité, fintech…) sur les dépositaires et leurs activités était, entre autres, parmi les thématiques phares abordées lors de cet événement d’envergure.
Pour Fathia Bennis, la nature changeante des marchés financiers exige une action rapide des dépositaires centraux des titres des valeurs mobilières pour faire face aux différents défis. «Aujourd'hui, ce n'est plus la technologie qui distingue les grandes firmes des petites, mais plutôt les talents et l'agilité», fait-elle remarquer.
Dans ce cadre, souligne la patronne du dépositaire centrale marocain, l'usage des nouvelles technologies, désormais accessibles à l'ensemble des opérateurs, «nous offre des opportunités pour transformer nos activités, élargir nos produits et services, améliorer leur qualité et les rendre plus accessibles, moins coûteux et plus sûrs».
Le sujet de l’avancée technologique et son influence sur les activités de marché reste pour autant une préoccupation mondiale : entre danger et valeur ajoutée, la question est de savoir comment en tirer profit pour un marché efficient et sécurisé.
Nasser Seddiqi, directeur des opérations financières et marchés à l’AMMC explique que «les nouvelles technologies vont avoir des impacts très importants sur les marchés de capitaux. Il faut donc que l’ensemble des acteurs s’adapte à ces évolutions technologiques de manière à se les approprier et à en tirer tous les bénéfices».
«Nous savons aujourd’hui que les nouvelles technologies comme la Blockchain peuvent apporter des gains considérables aussi bien en termes de rapidité de traitement des transactions, qu’en termes de sécurité. Mais, comme toute nouveauté, il faut bien évidemment prendre toutes les mesures nécessaires pour qu’elles puissent s’implémenter de manière sécurisée en vue de pouvoir protéger continuellement les investisseurs, sachant que la confiance dans les marchés de capitaux est un élément indispensable», poursuit-il.
Et bien évidemment, le marché financier marocain ne sera pas immunisé contre ces nouvelles technologies. «Chaque fois qu’il y a une nouvelle technologie dans le monde, elle se diffuse partout. Il faut donc que tous les acteurs du marché soient prêts, que ce soit au niveau de la régulation, des intervenants ou des investisseurs, de manière à s’approprier ces nouvelles technologies et à en faire un bon usage», précise Seddiqi.
Interconnectivité des dépositaires centraux
La digitalisation entraîne la connectivité des acteurs des marchés, que ce soit les régulateurs ou les investisseurs, ou encore les dépositaires centraux. Une donne qui revient au fait qu’il y a de plus en plus de titres qui sont cotés dans différentes places boursières.
«L’exemple au Maroc, c’est la valeur Maroc Telecom, listée sur la place casablancaise, mais également sur la Bourse d’Euronext à Paris», fait remarquer Ferran Bernard, Directeur général à Euroclear Bank pour les Amériques, Royaume-Uni, Moyen-Orient et Afrique.
Selon lui, «dès lors que l’on parle du même titre, il est important que les dépositaires centraux, en l’occurrence Maroclear et Euroclear France, puissent communiquer entre eux, car les investisseurs sont de plus en plus amenés à faire un arbitrage. Ils achètent à Casablanca et vendent à Paris et vice versa, dans le cas de cette valeur notamment».
Pour Ferran Bernard, «le rôle du dépositaire central est important et l’interconnectivité entre dépositaires est nécessaire. Cela demande une standardisation de la messagerie, car il y a des formats ISO, tels que Swift, qui est une référence dans tout le secteur bancaire».
Cette interconnectivité est en lien avec l’impact des nouvelles technologies qui ont émergé au cours de ces dernières années et qui commencent à être de plus en plus adoptées par les places internationales. Des nouveautés qu’il faudrait, d’après les experts, adopter progressivement au regard des risques qu’elles comportent.
«Il y a beaucoup de gestation, surtout en ce qui concerne la partie Blockchain, la Distributed Ledger Technologie (DLT). Elle a été jusqu’ici testée dans un petit environnement. La Blockhain pourrait apporter un effet centralisateur, qui permet de pouvoir centraliser sous le même Ledger, autrement dit sous le même registre, toutes les transactions en lien avec le même titre. C’est une donnée qu’on étudie énormément en tant que dépositaire, car il y a un risque de déploiement de manière plus élargie», fait savoir Ferran Bernard.
C’est pour cela, ajoute-t-il, que «nous restons attentifs sur le déroulement de cette expérience ailleurs. La Bourse de l’Australie a éprouvé son souhait de le déployer, et cela devrait être une bonne expérience et une bonne base d’analyse, car elle est importante en termes de volumes. Si ça marche là-bas, ça ira ailleurs aussi, et d’autres Bourses adopteront le même système par la suite». ◆
Encadré : Le Maroc, deuxième pays africain à accueillir le WFC
Ce Forum, qui se tient tous les deux ans, constitue l’occasion idéale pour les principaux dépositaires centraux du monde de discuter de l’actualité et des pratiques du secteur et de questions d’intérêt commun. Il s’agit aussi d’échanger sur les expériences propres à chaque dépositaire, afin d’en faire bénéficier leurs homologues. Notons que c’est la première fois que le WFC est organisé au Maroc, qui devient le second pays du continent après l’Afrique du Sud à recevoir cet événement de référence. Il réunit les principaux dépositaires centraux du monde sur pas moins d’une vingtaine de panels. Ce rendez-vous international comprend un important programme de rencontres.
Pour rappel, la Fédération mondiale des CSD (WFC) est composée de cinq associations régionales de CSD : Asia Pacific CSD Group (ACG), Americas Central Securities Depositories Association (ACSDA), Association of Eurasian Central Securities Depositories (AECSD), Africa and Middle East Depositories Association (AMEDA) et European Central Securities Depositories Association (ECSDA). Les associations rassemblent environ 135 membres.