Le rush des institutionnels sur le papier ANP renseigne sur le degré de frustration des investisseurs.
Les émetteurs non financiers privés se font rares. L’argent n’a jamais été aussi bon marché au Maroc, mais les opérateurs n’en profitent pas.
Par A.E
La dernière sortie de l’Agence nationale des ports (ANP) sur le marché obligataire a donné lieu à un véritable rush de la part des investisseurs. Une ruée qui soulève bien des questions et montre que quelque chose ne tourne pas rond dans notre économie.
L’Agence, qui est engagée dans un vaste programme d’investissement et qui a sollicité le marché pour lever un montant d’un milliard de dirhams remboursables sur 10 ans, a reçu une demande dépassant les 73 milliards de DH, soit un taux de souscription de 73,8 fois et un taux de satisfaction de 1,35%. Du jamais vu, de mémoire d’analystes !
Il y a bien sûr, dans un premier temps, la qualité de la signature de l’Agence. Celle-ci présente en effet de bons fondamentaux sur le plan financier, se lance dans un programme d'investissements couvrant la période 2019-2021 pour un montant qui s'élève à 3,1 Mds de dirhams, s’appuie sur une gouvernance solide et offre un couple rendement-risque intéressant. Il est donc normal que l’émission ait suscité l’engouement des investisseurs. Mais cela ne justifie pas l’ampleur de la demande.
Ce rush sur le papier ANP renseigne surtout sur le manque cruel d’alternatives de placements et sur le degré de frustration des investisseurs institutionnels. Ces derniers regorgent de cash mais ne savent pas trop quoi en faire. Car le marché actions, indépendamment de son degré d’attractivité, ne peut absorber la totalité des liquidités.
En outre, le Trésor sort moins sur le marché étant donné la bonne tenue des recettes fiscales, ce qui génère une baisse des taux. Ainsi, du court terme au long terme, toutes les maturités ont connu une contraction entre décembre 2018 et mai de cette année. Sur les maturités courtes, le 52 semaines et le 2 ans en l'occurrence, la baisse est respectivement de 12 et 19 points de base (pbs). Sur les maturités plus longues, les baisses sont encore plus marquées : jusqu'à 31 points sur le 10 ans, qui est passé en dessous de la barre symbolique des 3% la semaine dernière.
Le manque d’alternatives de placements est à lier, aussi, au fait que les entreprises du secteur privé ne se bousculent pas pour emprunter sur le marché de la dette. Comme le rappelle CDG Capital Research dans une analyse récente consacrée au marché de la dette privée, ce dernier a été essentiellement tiré par les banques (pour renflouer leurs fonds propres et se conformer aux exigences prudentielles) et les établissements et entreprises publiques (engagés dans d’importants programmes d’investissements pluriannuels comme l’ANP, Al Omrane, Autoroutes du Maroc, ONCF, etc.).
Pour le reste des entreprises, c’est plutôt le calme plat. «Le recul des encours de certaines entreprises privées s’explique par le ralentissement de certains secteurs, notamment l’immobilier et activités connexes ainsi que les mines», note la recherche de CDG Capital. Cette situation est pour le moins aberrante :
l’argent n’a jamais été aussi bon marché au Maroc, mais les entreprises privées (hors banques) n’en profitent pas. Ce qui en dit long sur le peu d’appétence à l’investissement des opérateurs. ◆
«Les perspectives du marché de la dette privée, pour les deux prochaines années, s’affichent prometteuses», estime la recherche de CDG Capital dans sa note sur la dette privée au Maroc. Les établissements et entreprises publics en particulier devraient renforcer leur présence sur le marché obligataire.
En effet, selon le rapport du ministère des Finances sur les EEP, les investissements des EEP devraient s’accroître considérablement, au cours des deux prochaines années, pour passer à 99 Mds de DH et 92 Mds de DH respectivement en 2019 et 2020, contre seulement 61 Mds DH réalisés en 2018. «Cette hausse considérable devrait être favorisée par l’engagement de l’Etat pour le déblocage des crédits TVA au profit de ces organismes. Par conséquent, le marché des obligations pourra être tiré par le renforcement de la présence de ces derniers», indique CDG Capital Research.