◆ Dans cet entretien, Laila El Andaloussi, expert-comptable et dirigeante du Cabinet ABS Consulting, analyse avec lucidité la Loi de Finances rectificative et les mesures prises pour relancer l’économie nationale.
◆ Elle estime, par ailleurs, que les entreprises doivent revoir leur mode de gestion pour dégager des niches et des moyens à même de mieux rationaliser leurs dépenses.
Propos recueillis par D. William
Finances News Hebdo : Quelle lecture faites-vous de la Loi de Finances rectificative ? Est-ce, selon vous, réellement un budget de relance économique ou s’inscrit-il plutôt dans une optique de préservation des équilibres macroéconomiques ?
Laila El Andaloussi : La Loi de Finances rectificative s’est imposée à nous en raison de ce contexte instable et alarmant. La croissance économique a été amputée de façon considérable. Les recettes fiscales se sont contractées drastiquement. Après le plan de sauvetage mis en œuvre par le Comité de veille économique (CVE), aujourd’hui l’heure est à la relance.
La Loi de Finances rectificative qui vient d’être adoptée par la première Chambre n’a pas fait dans l’austérité. Les exigences de la relance ont pris le pas sur certains équilibres budgétaires. Car, dans ce contexte difficile, la priorité est à la consolidation des secteurs sociaux, à la relance de la demande, à l’amélioration de la couverture médicale et meilleure protection du citoyen, mais aussi à l’accompagnement des entreprises en proie à des difficultés graves. Le rôle de l’Etat dans cette politique de relance est incontournable.
Principal consommateur et commanditaire des marchés, il doit contribuer activement à l’effort d’investissement à un moment où les entreprises n’ont pas les moyens de le faire. Nombreuses sont en arrêt et n’ont ni la capacité d’investissement ni les moyens financiers. Mais l’Etat doit assurer le meilleur équilibre entre une dépense publique nécessaire et son rôle de moteur de cette reprise.
L’endettement auprès des instances internationales peut être bénéfique tant que notre souveraineté n’est pas remise en cause. Un niveau raisonnable et soutenable de déficit devrait être maintenu. En tout cas, je pense que cette option reste, dans ce contexte, meilleure que de recourir à une fiscalité plus lourde.
F.N.H. : Ne fallait-il pas laisser courir davantage le déficit budgétaire en soutenant plus les entreprises pour préserver les emplois ?
L. A. : Le niveau du budget général de l’Etat en termes d’investissement a été porté à un montant important, sans marquer véritablement une rupture avec l’orthodoxie budgétaire précédente. Le secteur informel a été fortement soutenu. La crise sanitaire a effectivement sévèrement sanctionné les entreprises.
Mais, aujourd’hui, face à la réduction des recettes fiscales, il sera très difficile de soutenir davantage le tissu productif pour relancer la machine, à l’exception des secteurs dans le coma, qui méritent des mesures d’urgence. Les entreprises elles-mêmes doivent revoir leur mode de gestion pour dégager des niches et des moyens à même de mieux rationaliser leurs dépenses.
Il y a des charges superflues et le respect d’une orthodoxie financière, notamment par les dirigeants, est une réflexion qui pourrait émerger suite à la prise de conscience induite par la crise.
F.N.H. : En tant qu’expert-comptable et commissaire aux comptes, vous êtes bien au fait des problématiques auxquelles font face les entreprises marocaines en cette période de crise. Quelles sont les difficultés qui remontent le plus ?
L. A. : Les mesures de confinement qui ont été prises, ont permis de sauver des vies mais, paradoxalement, ont eu un impact sur les grands agrégats de l’économie, et sur les entreprises. Beaucoup de secteurs ont été exposés, comme vous le savez. Par excellence, le tourisme et la restauration, mais aussi les secteurs exportateurs, le textile, le service, les industries agroalimentaires, les bâtiments travaux publics…
Les entreprises sont confrontées à des problématiques de trésorerie, dont une part importante est orientée vers le paiement des salaires, charges sociales, mais aussi les fournisseurs. L’activité est en train de reprendre progressivement et les entreprises sont à court de fonds.
Les mécanismes de financement et de garantie déployés par l’Etat, notamment le produit Damane Relance, qui promet d’apporter une bulle d’oxygène, offrent des conditions qui séduisent. Cependant,l’offre reste limitée à 10% du montant du chiffre d’affaires et reste insuffisante par rapport aux besoins nécessités par la relance pour certaines TPE.
F.N.H. : Pensez-vous, dans ce cadre, que tous les mécanismes sont actuellement réunis pour la relance économique ?
L. A. : La relance doit d’abord se focaliser sur les secteurs qui ont été très durement touchés. Pour ces derniers, il y a vraiment urgence et danger. Elles devraient, à mon avis, bénéficier d’aides directes et de subventions pour couvrir leurs charges de structures fixes. Ce serait des mécanismes à court terme qui permettraient de cibler directement les entreprises guettées par la mortalité pour que les bénéficiaires soient ceux réellement en difficulté.
F.N.H. : Fallait-il d’autres leviers à activer et lesquels, compte tenu cependant des marges de manœuvre du gouvernement ?
L. A. : Parmi les piliers de cette loi, il y a la préservation de l’emploi qui reste un facteur de cohésion sociale avant toute chose. Allouer des fonds spéciaux d’ici la fin de l’année et accompagner certains secteurs plus spécifiquement dans un cadre contractuel devraient se concrétiser dans les meilleurs délais. Face au problème du cash, le crédit Damane Relance n’est pas suffisant à mon avis, comme je l’ai souligné. Le système bancaire devrait davantage jouer le jeu, d’autant plus que la politique monétaire a été activée à deux reprises cette année pour réduire les taux directeurs. Cette baisse devrait se répercuter au niveau des banques et concerner tous les types de crédit afin d’encourager davantage la reprise.
F.N.H. : A la lumière des enseignements tirés de cette crise, comment devrait donc se construire le modèle de développement en cours d’élaboration ?
L. A. : La pandémie a été effectivement riche en enseignements. Le nouveau modèle de développement ne peut en faire l’impasse. Les contributions faites dans ce cadre ont intégré l’impact de la pandémie sur la vision future du Maroc de demain, de l’entreprise de demain, de la société de demain, à travers un nouveau paradigme. Celui qui s’impose désormais privilégie une société plus inclusive, qui doit accélérer les changements et remettre en cause aussi notre système de santé, tel qu’il est actuellement.
On devrait s’orienter vers une entreprise plus apprenante et collaborative dont le cœur et le centre sont le capital humain. Une entreprise qui arrive à mobiliser le génie, la compétence et le talent de ses acteurs et dont la digitalisation n’est qu’un processus support et incontournable. Une régulation plus importante sur le plan international des échanges s’impose également, pour réduire notre dépendance en approvisionnement que la crise a mise à nu de façon alarmante. La transition écologique devient aussi une urgence. La fiscalité doit prendre pied dans ces ambitions comme levier incitant ces progrès.
F.N.H. : Enfin, question plus personnelle, cette crise a-t-elle changé votre rapport à l’entreprise marocaine d’une manière générale ?
L. A. : Cette crise a mis en évidence le besoin des entreprises en accompagnement sur le volet financier, technologique, approche stratégique et fiscalité. L’entreprise doit développer son capital immatériel. Cela aura un impact sur le conseil qui doit être plus qualitatif et innovant.