Dans un contexte économique mondial incertain, le Maroc renforce son ancrage financier en obtenant une nouvelle ligne de crédit modulable du FMI. Une opération qui consolide la confiance internationale, mais qui interroge aussi sur la capacité du Royaume à transformer cette solidité en souveraineté économique durable. Entretien avec Rachid El Fakir, professeur et expert en économie monétaire.
Propos recueillis par Désy M.
Finances News Hebdo : Le Maroc vient d’obtenir une nouvelle ligne de crédit modulable du FMI. Selon vous, ce type de mécanisme reflète-t-il avant tout une solidité économique ou une vulnérabilité anticipée face à des chocs externes, à la lumière de la conjoncture internationale actuelle qui impacte l’économie mondiale, dont celle du Royaume ?
Rachid El Fakir : Les expériences du Maroc avec le FMI, en matière des lignes de crédit, datent de 2012. La seule différence qui marque la nouvelle expérience c’est qu’il s’agit d’une ligne de crédit modulable (LCM) et non pas d’une ligne de précaution de liquidité (LPL) dont le Maroc avait bénéficié en 2012 et 2020. A cette époque, le Maroc n’était pas éligible à obtenir une LCM. Constituant une facilité financière, la LCM soulève quelques questions quant à la solidité de l’économie et sa vulnérabilité aux chocs externes générés par l’incertitude qui gouverne le contexte international ces dernières années. Certes, l’obtention d’une LPL témoigne d’une certaine solidité des équilibres macroéconomique du pays bénéficiaire avec des fondamentaux (taux d’inflation, taux de croissance économique, solde budgétaire, taux d’endettement, etc.). Ce qui reflète des performances économiques qui respectent les normes du FMI en matière d’allocation de cette ressource de financement et qui témoignent d’une discipline budgétaire et d’une rigueur monétaire incontestables. Avec l’obtention d’une LCM, le Maroc a ainsi confirmé sa place parmi les pays membres du FMI à pouvoir tirer leur épingle du jeu face aux conditions de cette incontournable institution financière internationale. En effet, le dernier communiqué de presse N° 25/094 du 8 avril 2025, portant sur les consultations de 2025 au titre de l’article IV, et la troisième revue de l’accord au titre de la facilité pour la résilience et la durabilité avec le Maroc, confirment la bonne tenue de l’économie marocaine en termes de stabilité macroéconomiques et de la mise en œuvre de grands chantiers restructurant celle-ci. Dans ce sens, l’accord sur la LCM constitue sur le court terme une panacée pour accompagner cette bonne tenue de l’économie marocaine, tout en l’adossant aux grands chocs externes qui continuent de marquer l’environnement économique et politique international. Le risque de change combiné au besoin de financement du compte des transactions courantes pourraient mettre en jeu la vulnérabilité de l’économie marocaine, notamment en présence de signes de guerres commerciales entre les grandes puissances mondiales. Situation qui risque de compromettre les équilibres macroéconomiques du Maroc en le mettant sous de grandes contraintes inflationnistes et monétaires. Ces contraintes peuvent rendre l’économie marocaine vulnérable à terme; une gestion prudente des réserves de change devient alors un choix bien délibéré.
F. N. H. : Dans quelle mesure cette ligne de crédit peut-elle contribuer à renforcer la résilience du système financier marocain, notamment face aux pressions sur les réserves de change et à l’exposition croissante des banques à la dette publique ?
R. E. F. : Avec cette enveloppe monétaire, le Maroc et le FMI essayent de consolider leur confiance bilatérale en matière de mise en œuvre et d’accompagnement de politiques économiques visant l’optimisation des performances du Maroc en matière de développement économique et financier. En effet, avec cette LCM, l’économie marocaine va consolider la confiance des bailleurs de fonds internationaux et soutenir davantage les flux d’IDE qui constituent le pilier de tout décollage économique et financier. Les agences de notation internationales ne peuvent, quant à elles, que saluer cette opération en donnant de bons signes aux marchés des capitaux internationaux sur la santé financière de l’économie marocaine et réussir ainsi toute éventuelle sortie du Trésor et du secteur privé marocains sur ces marchés, à l’instar du grand succès de la dernière sortie à l’international du Trésor en mars 2025. En outre, avec les clauses de la dernière directive de l’Union européenne sur l’activité bancaire, pouvant porter atteinte au niveau des transferts des MRE vers le Maroc, cette LCM pourrait tempérer cette atteinte sur le court terme. En effet, cette enveloppe pourrait améliorer la liquidité du secteur bancaire en permettant de faire face au besoin de liquidité structurelle dont souffre le marché monétaire interbancaire. Avec cette manne financière, l'exposition potentielle des banques au risque lié à la dette publique pourrait s’estomper, sans oublier l’effet de ladite LCM sur la dynamique du marché boursier marocain en matière d’attractivité des capitaux étrangers. Agissant comme ligne de crédit préventive qui facilite l'accès immédiat à des liquidités pour atténuer les impacts découlant d'événements externes extrêmes, le Maroc compte bénéficier d’à-coups que procure cette liquidité immédiate pour faire face aux mauvaises conjonctures.
F. N. H. : Le FMI conditionne l’accès à la LCM à une trajectoire macroéconomique saine et à des réformes soutenues. Le Maroc remplit-il aujourd’hui ces critères? Et quelles sont, selon vous, les priorités à accélérer pour préserver cette crédibilité ?
R. E. F. : Comme déjà cité, le Maroc avait rempli les conditions du FMI qui gouvernent l’éligibilité de tout pays à bénéficier de sa LCM. En respectant certaines normes du FMI, le Maroc montre qu’il dispose d’une position extérieure viable, un compte de capital dominé par les flux privés, un historique d'accès régulier aux marchés financiers internationaux à des conditions favorables, une inflation faible et stable dans le contexte d'un cadre de politique monétaire et de change sain, une position de réserve de change confortable et une position de dette publique viable. En outre, en présence d’un système financier sain et solvable et une efficacité prometteuse, la stabilité systémique demeure garantie à court et moyen terme, notamment en présence d’une supervision efficace du secteur financier par Bank Al-Maghrib, garantissant ainsi la transparence et l'intégrité des données financières; sans oublier les cadres politiques institutionnels très solides dans lesquels évolue l’économie marocaine, salués par le FMI. Cependant, même avec ces atouts, la vulnérabilité de l’économie marocaine est à l’épreuve face aux contraintes induites par les mouvances que connait le monde ces dernières années. En mettant preuve face à de grands chocs externes ayant marqué l’actuelle décennie (covid 19, la guerre en Ukraine), l’économie marocaine devrait être adossée à des politiques plus vigilantes où la gestion des risques prône dans toutes actions monétaires ou budgétaires. La fragilité du commerce extérieur marocain, liée à sa forte concentration sur des produits, clients et fournisseurs bien définie, pourrait accroître l’intensité de cette vulnérabilité. Plus encore, la restructuration de la valeur ajoutée marocaine vers des produits à forte valeur ajoutée et où l’industrie constitue la grande locomotive de l’économie nationale pourrait limiter la dépendance de la croissance économique aux aléas climatiques et aux produits tertiaires plus vulnérables à la conjoncture économique. Enfin, la réforme du régime de change marocain est un chantier à accomplir avec plus de prudence et d’efficacité pour contourner tout risque lié à cette mission. La quête d’une souveraineté économique demeure un pari pour le Royaume. Réussir ce pari ne peut se faire du jour au lendemain; c’est un processus de long terme avec un souffle plein d’objectivité, de volontarisme, de confiance et d’optimisme.