Après une longue hésitation, la Banque centrale marocaine s’apprête à autoriser les banques islamiques au Maroc sous l’appellation, toutefois, de banques participatives.
L’article 52 du projet de loi précise que les banques participatives sont des personnes morales habilitées à exercer à titre de profession habituelle en conformité avec les préceptes de la Charia, les activités suivantes :
• la réception de fonds du public ;
• les opérations de crédit ;
• la mise à la disposition de la clientèle de tous moyens de paiement, ou leur gestion.
Outre ces activités réservées aux établissements de crédit, les banques participatives sont également habilitées à réaliser les opérations commerciales, financières et d’investissement, à l’exclusion de toute opération impliquant la perception et le versement d’intérêt.
Deux éléments retiennent l’attention dans les dispositions de ce projet de loi :
• la conformité des activités aux préceptes de la Charia ;
• la réalisation des opérations commerciales, financières et d’investissement
Le premier élément renvoie à l’identité islamique de ces banques qui s’abstiennent de percevoir ou de verser les intérêts assimilés au Riba prohibé par la Charia. Le deuxième élément renvoie, quant à lui, à la nature de ces banques qui sont assimilables à des banques d’affaires.
L’article 53 précise la nature participative de ces banques : «Les banques participatives sont habilitées à recevoir du public des dépôts d’investissement dont la rémunération est liée aux résultats des investissements convenus avec la clientèle».
Il ne s’agit donc pas des classiques dépôts à terme rémunérés à base d’intérêt, mais de dépôts rémunérés selon le principe de la Moudaraba que l’article 56 définit comme étant «tout contrat mettant en relation une banque participative (Rab El Mal) qui fournit des fonds et un entrepreneur (Moudarib) qui fournit son travail en vue de réaliser un projet».
Au sens de l’article 56, la responsabilité de la gestion du projet d’investissement repose entièrement sur l’entrepreneur (la banque). Les bénéfices réalisés sont partagés selon une répartition convenue entre les deux parties et les pertes sont assumées exclusivement par Rab El Mal (le client) sauf en cas de fraude commise par le Moudarib (la banque).
Notons que la banque peut être un investisseur direct ou confier elle-même les fonds ainsi collectés à un autre investisseur et se transformer ainsi en Rab El Mal à son tour.
Outre les dépôts d’investissements à base de Moudaraba qui concerne la réception des fonds du public et sa gestion, la banque participative peut procéder au financement de la clientèle à travers notamment les produits ci-après (article 56) :
• Mourabaha, définie comme étant tout contrat par lequel une banque participative acquiert un bien meuble ou immeuble en vue de le revendre à son client à son coût d’acquisition plus une marge bénéficiaire convenue d’avance.
Le règlement par le client est effectué selon les modalités convenues entre les parties ;
• Ijara, définie comme étant tout contrat selon lequel une banque participative met, à titre locatif, un bien meuble ou immeuble déterminé, identifié et propriété de cette banque, à la disposition d’un client pour un usage autorisé par la loi. L’Ijara peut revêtir l’une des deux formes suivantes :
• Ijara tachghilia qui consiste en une location simple ;
• Ijara wa iqtinaa qui consiste en une location assortie de l’engagement ferme du locataire d’acquérir le bien loué à l’issue d’une période convenue d’avance ;
• Moucharaka, définie comme étant tout contrat ayant pour objet la participation, par une banque participative, dans un projet, en vue de réaliser un profit.
Les deux parties participent aux pertes à hauteur de leur participation et aux profits selon un prorata prédéterminé.
La Moucharaka peut revêtir l’une des deux formes suivantes :
• la Moucharaka Tabita : les deux parties demeurent partenaires jusqu’à l’expiration du contrat les liant ;
• la Moucharaka Moutanakissa : la banque se retire progressivement du projet conformément aux stipulations du contrat.
• Moudaraba déjà définie ci-dessus.
Afin de rassurer la clientèle quant à la conformité des opérations de la banque participative aux préceptes de la Charia, le projet de loi prévoit, dans son article 61, une instance de contrôle de conformité rattachée au Conseil des Oulémas dénommée «Comité Charia pour la Finance» .
Selon l’article 61 le comité est habilité à :
• se prononcer sur la conformité à la Charia des opérations et produits offerts au public ;
• répondre aux consultations des banques ;
• donner un avis préalable sur le contenu des campagnes de communication des établissements de crédit exerçant l’activité prévue par le présent titre ;
• proposer toute mesure de nature à contribuer au développement de tout produit ou service financier conformes à la Charia.
Le projet de loi précise que «Les avis prononcés par le Comité charia pour la finance sont opposables aux banques participatives et à toute autre institution financière offrant des produits ou des services conformes à la Charia. Ils prévalent sur toute interprétation contraire» (Article 63).
Ce comité est tenu, selon l’article 64, de publier un rapport annuel faisant ressortir les avis prononcés au cours de l’exercice écoulé ainsi que son appréciation/évaluation quant à la conformité des banques participatives aux préceptes de la Charia.
Ce contrôle externe est doublé d’un contrôle interne via un Comité d’audit (article 67), chargé:
• d’identifier et de prévenir les risques de non-conformité à la Charia ;
• d’assurer le suivi de l’application des avis du Comité charia pour la finance et d’en contrôler le respect ;
• de mettre en place les procédures et les manuels afférents aux préceptes de la Charia à respecter ;
• d’adopter les mesures requises en cas de non-respect avéré des conditions imposées dans la mise en application d’un produit au sujet duquel un avis Charia a été émis.
Les conditions et les modalités de fonctionnement de ce comité sont arrêtées par circulaire du wali de Bank Al-Maghrib, après avis du Comité des établissements de crédit.
Le comité d’audit interne est chargé d’élaborer un rapport sur la conformité à la Charia que la banque participative doit communiquer à Bank Al-Maghrib.
A la lecture du projet de loi, il est clair que la Banque centrale est déterminée à insuffler une nouvelle dynamique à «l’islamic banking» au Maroc afin de trancher avec l’attitude hésitante que les autorités monétaires et financières ont toujours observée à l’égard de cette finance prometteuse.
Notons que dès 2007 la Banque centrale marocaine avait autorisé les établissements de crédit à commercialiser trois produits financiers islamiques (Mourabaha, Ijara et Moucharaka) sous l’appellation de produits financiers alternatifs mais avait sommé les banques à ne pas faire appel à leur connotation islamique dans leurs campagnes publicitaires, ce qui a contribué à freiner nettement leur développement. Le chiffre d’affaires de ces produits, déjà modeste, a même chuté passant de 900 millions de dirhams en 2010 à 800 millions de dirhams en 2011.
Le développement de la Bourse de Casablanca et la perspective de sa transformation progressive en place financière majeure (Casablanca Finance City), les sollicitations permanentes des acteurs majeurs de la finance islamique (banques islamiques du Moyen-Orient tout particulièrement), la crise financière mondiale ainsi que l’avènement d’un gouvernement d’obédience islamique (le parti Justice et Développement) ont largement contribué à l’émergence de «l’islamic banking» au Maroc qui, au demeurant, est le dernier pays arabo-islamique à profiter de la manne financière que constitue la finance islamique que les spécialistes estiment à près de mille milliards de dollars.
Par Abderrazzak ELMEZIANE,
Professeur de finance à l’Université MohammedV-Agdal