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Investissements : Les deux faces de Janus

Investissements : Les deux faces de Janus

ideLe taux d’investissement élevé est en deçà des objectifs en termes de croissance et d’emplois. Même constat pour les IDE, d’où l’importance d’une analyse coût/bénéfice.

Les sorties au titre des dividendes impactent la balance des paiements : elles s’élèvent à 15 Mds de DH en 2014, soit 3,4% du stock des IDE. Plusieurs multinationales utilisent le Maroc comme un centre de profits, leurs investissements obéissant davantage à une logique financière.

Le constat est là : mal­gré toutes les réformes structurelles mises en oeuvre au cours de cette dernière décennie, le Maroc n’arrive toujours pas à insuf­fler une dynamique suffisam­ment forte à l’économie. Une dynamique qui se traduirait par un taux de croissance assez élevé, générateur de richesses, constant dans le temps et sus­ceptible de résorber le taux de chômage endémique qui oscille depuis quelques années dans la fourchette de 9 à 10%.

Aujourd’hui, la croissance natio­nale est soumise au diktat des aléas climatiques, dans un contexte où le PIB non agricole peine de plus en plus à décoller: selon le haut-commissariat au Plan (HCP), sa croissance est passée de 5% entre 2000 et 2007, à 3,2% depuis 2008, et à 2,1% au cours des trois der­nières années. D’où la nécessité de diversifier davantage le tissu productif, mais aussi d’établir les priorités en termes de poli­tiques publiques. Car, avec le recul, il semble de plus en plus que les options stratégiques adoptées par le Maroc, quand bien même elles ont eu des retombées socio-économiques, sont loin d’avoir atteint tous leurs objectifs. Autrement dit, elles n’ont pu, pour l’instant, être véritablement le levier sus­ceptible d’entraîner un proces­sus soutenu de transformation structurelle de l’économie natio­nale et de doper la croissance. C’est donc légitimement que des institutions comme le HCP ou Bank Al-Maghrib plaident, entre autres, pour une poursuite des réformes structurelles.

Les IDE pointés du doigt

«Le pays enregistre l’un des taux d’investissement les plus élevés au monde, mais les résultats restent bien en deçà des espé­rances aussi bien en termes de croissance que d’emplois». C’est le constat que vient de faire la Banque centrale dans son dernier rapport annuel, au demeurant confirmé par la baisse du taux de croissance non agricole (citée plus haut), mais également par le niveau élevé du chômage des jeunes, particulièrement en milieu urbain.

«S’il est vrai que la part impor­tante en infrastructures écono­mique et sociale peut expliquer les délais longs des retombées de l’investissement, force est de constater que son niveau élevé est maintenu depuis plus d’une décennie», souligne BAM, non sans préciser que «la probléma­tique du niveau de rendement concerne également les inves­tissements directs étrangers». A ce niveau, force est de constater que le Maroc déploie depuis quelques années le tapis rouge aux investisseurs étrangers, en leur accordant diverses facili­tés et autres incitations fiscales, tout en faisant de sa stabilité politique un argument pour les séduire, surtout dans une région particulièrement touchée par les chouanneries meurtrières. Et cela semble fonctionner. Les investissements directs étran­gers sont passés de 25,2 Mds de DH en 2009 à 36,5 Mds de DH en 2014, après un pic de 39,6 Mds de DH en 2013.

Malgré leur importance, la ques­tion du niveau de leur contribu­tion à la croissance et à l’emploi se pose avec acuité. «S’il est clair qu’il faut continuer à pro­mouvoir ces investissements, les incitations qui leur sont parfois accordées devraient être éva­luées sur la base d’une analyse coût/bénéfice rigoureuse pour s’assurer de leur apport pour le pays», souligne la Banque centrale, qui cite en exemple l’essor de l’industrie automo­bile: «bien qu’elle connaisse un succès remarquable sur le plan du développement des exporta­tions, son impact et ses effets d’entraînement sur l’économie nationale restent encore limités au regard de son faible taux d’intégration». D’où la néces­saire évaluation des politiques publiques mises en oeuvre.

Quid des rapatrie­ments de dividendes

Les IDE ont ceci de particulier qu’ils créent certes des emplois et de la valeur ajoutée dans les pays hôtes, mais ils entraînent tout autant des sorties de devises qui peuvent être impor­tantes. D’ailleurs, en des termes à peine voilés, Bank Al-Maghrib a tiré la sonnette d’alarme, esti­mant que «les sorties au titre des dividendes commencent à impacter sensiblement la balance des paiements». Le solde déficitaire des revenus s’est aggravé de 7,5 milliards à 21,2 milliards de dirhams. «Cette évolution résulte princi­palement de la hausse des sor­ties au titre des dividendes des investissements directs (…) et dans une moindre mesure de la diminution des revenus des pla­cements financiers à l’étranger à 1,3 milliard», fait remarquer BAM. En effet, après presque 20 Mds de DH en 2012 et 14 milliards en 2013, les sorties de dividendes au titre de 2014 ont atteint près de 15 milliards de dirhams pour un afflux d’IDE de 36,5 milliards. Ce qui repré­sente, dans l’absolu, 41% des montants investis. Pourcentage excessif ? «Pour les sorties des dividendes, je pense qu'il faut plutôt rapprocher le montant annuel avec le stock des IDE et non le flux annuel. Dans ce cas, un pourcentage de 5%-6% ne serait pas choquant. Le stock des IDE à fin 2014 est de 438 Mds de DH, ce qui fait que les dividendes distribués représentent 3,4% du montant investi, soit un niveau raison­nable qu'il faudra néanmoins retraiter par les management fees (prestations payées à la société-mère en contrepartie de services administratifs rendus et d'une implication dans la ges­tion et / ou la définition de la stratégie, ndlr)», précise Farid Mezouar, expert des marchés financiers et directeur du site Flm.ma. «Néanmoins, pour­suit-il, dans l'absolu, le chiffre avancé dans le rapport de BAM est inquiétant car les IDE nets (IDE bruts - dividendes - IDE marocains) seraient très faibles. D'ailleurs, l'essentiel des IDE attirés le sont par des cessions d'entreprises existantes comme Centrale Laitière, ce qui marque un manque d'attractivité du Maroc au niveau des investisse­ments physiques ex-nihilo».

Il faut rappeler que les inves­tisseurs choisissent généra­lement de s’installer dans un pays parce qu’il offre un cadre favorable au développement de leurs activités : marché potentiel intéressant, climat des affaires favorable, mesures fiscales et incitatives attractives, stabi­lité politique… Et tout cela doit avoir pour corollaire un business solide, avec des profits à la clé.

Sous ce rapport, comme toute entreprise commerciale, tous les groupes étrangers présents au Maroc, quels que soient leurs domaines d’activité, investissent dans le Royaume pour en tirer des bénéfices. Mais il y a quand même comme une forme d’in­décence de voir certains mon­tants astronomiques rapatriés, comparés à l’enveloppe initiale de l’investissement. Alors, le Maroc serait-il un centre de profits pour nombre d’investis­seurs étrangers, avec une pré­sence motivée uniquement par des considérations financières ? La réponse à cette interrogation n’est pas tranchée.

Pour Mezouar, «le rapatriement excessif de devises s'explique par le fait que beaucoup de multinationales investissent au Maroc dans une logique finan­cière et non industrielle. Ainsi, dès le départ, elles conçoivent l'investissement d'une manière à ce qu'il soit refinancé par les dividendes (ex Vivendi/IAM et ABB/JLEC) et les managements fees. Aussi, une fois cet inves­tissement refinancé, ces inves­tisseurs cherchent à le revendre avec une plus-value».

L’absence d’opportunités d’in­vestissement et le peu d’outils de placement disponibles sur le marché peuvent aussi inci­ter les filiales étrangères à une remontée massive de devises. Selon Abdou Diop, expert-comptable du cabinet Mazars, il y a d’autres facteurs qui entrent en jeu. «Compte tenu de la tension sur la trésorerie dans les différents pays et de la nécessité d'une gestion opti­misée et prudente, les groupes souhaitent centraliser la gestion de leur trésorerie», explique-t-il. Ajoutant qu’«il y a par ailleurs la stratégie de cash pulling de la holding. Autrement dit, cette dernière gère les excédents de trésorerie des filiales en fonction des projets d’investissement en cours et de leur rentabilité, en orientant notamment lesdits excédents vers les filiales qui présentent des besoins de tré­sorerie». A côté de cela, «le risque pays, la convertibilité de la monnaie ou les fluctuations qu’elle peut subir influent beau­coup sur les décisions de placer les excédents dans le pays ou de les rapatrier», conclut-il.

David William

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