En juillet 2014, le normalisateur comptable international IASB a publié la version complète et définitive de la norme IFRS 9, qui remplacera la norme actuelle IAS 39 définissant le traitement comptable des instruments financiers. Le point avec Younes Araqi, d'Effyis Partners, un cabinet de conseil en management dans le secteur des banques et assurances.
Finances News Hebdo : Quelle est la différence idéologique entre l'ancienne norme IAS 39 et la nouvelle norme IFRS 9 et pourquoi ce changement ?
Younes Araqi : IFRS 9 est une réponse directe et audacieuse des dirigeants du G20 à la crise financière de 2008. Une solution pour éviter des faillites en série dans le secteur bancaire. Elle vient pallier certaines carences de la norme IAS 39 qui contenait beaucoup d’exceptions et de dérogations. Les dispositions en matière de comptabilité de couverture prévues dans IFRS 9 sont une réponse aux critiques à l’égard d’IAS 39 qui ne reflétait pas les politiques des établissements bancaires en matière de gestion des risques. La principale nouveauté apportée par IFRS 9 est le mode de provision que les banques doivent adopter : un mode de provision en pertes attendues. Auparavant, une banque ne provisionnait que dans le cas où elle constatait le défaut de paiement du débiteur. Sous la nouvelle norme, dès que la banque accorde un crédit, elle doit commencer à provisionner en prévision d’un éventuel défaut du débiteur. Le défaut d’un débiteur n’est actuellement constaté qu’après 3 échéances non payées (Normes de Bâle).
F.N.H. : Quel est le calendrier de déploiement de cette norme ?
Y. A. : En juillet 2014, l’IASB (Le Bureau international des normes comptables) a publié la version complète de la norme IFRS 9. Son entrée en vigueur implique de profonds changements organisationnels comparables à ceux relatifs à l’entrée en vigueur d’IFRS en 2005. Pour répondre à votre question, les banques européennes ont déjà pris les devants, bien que la date d’entrée effective de la norme ne soit prévue que pour le 1er janvier 2019. Les changements sont tellement impactants et profonds que les institutions devraient commencer à agir dès à présent pour se conformer à leurs exigences. Beaucoup, sinon la plupart des banques marocaines auront besoin de tout le temps qui reste avant le deadline pour se préparer et s’aligner sur cette nouvelle norme. Une liste non exhaustive de ces changements comprend une amélioration de la qualité des données, une adoption du système de scorecard pour tous les portefeuilles crédit et la quantification du risque par le développement de modèle interne pour tous les portefeuilles.
F.N.H. : Comment les banques marocaines se préparent-elles à accueillir cette norme ?
Y. A. : Selon une étude menée par notre cabinet Effyis Partners auprès des banques marocaines, la majorité de celles-ci sous-estime l’impact du passage vers cette norme, qui constituera un bouleversement pour le métier de crédit en raison de la difficulté de sa déclinaison opérationnelle. A titre d’illustration, la plupart des informations nécessaires à la classification des contrats n’existent que sous format papier, complexifiant ainsi l’analyse du stock. D’autre part, au regard du traitement des crédits jusqu’alors en coût amorti, l’approche de la classification et de calcul de justes valeurs constitue des nouveautés auxquelles les systèmes d’information des banques marocaines ne sont pas encore adaptés.
Pour les banques les plus avancées dans le déploiement de la norme, elles sont confrontées à des problématiques liées à la gouvernance des données d’une part, entre les Directions Risques et Directions Comptables, et d’autre part, entre la Direction Groupe et les filiales en ce qui concerne l’épineux problème de pilotage du résultat comptable.
Sachez-le, IFRS 9 sera un véritable changement de modèle pour les banques, pas seulement au Maroc, mais partout dans le monde. Ce changement n’affectera pas seulement les fonctions Finance et Risque, mais il impactera aussi l’organisation de la banque et c’est ce qui ressort d’ailleurs de nos interventions chez nos clients européens.
F.N.H. : Quels impacts peut avoir cette norme sur les bilans bancaires, particulièrement au Maroc ?
Y. A. : Le niveau supérieur des provisions de pertes induit par IFRS 9 va forcer les banques à revoir les exigences en capital. La gamme de produits et le businessmodel devront aussi être réévalués. Avec une hausse significative dans les provisions pour risque et son impact sur les comptes de résultat, ce sera un grand défi pour les banques qui devront tenir compte dans leur planification des immobilisations. Les banques marocaines n’auront que quelques leviers limités pour amortir la détérioration de la qualité de leurs actifs suite à la mise en oeuvre d’IFRS 9.
F.N.H. : Si nous devions nous projeter, outre les impacts cités plus haut, quel est le profil des banques qui seront désavantagées par cette norme ?
Y. A. : L’impact de la norme IFRS 9 est corrélé avec le profil de risque de la banque qui est lié à la composition de ses portefeuilles et des produits qui les composent au moment de la bascule. Pour les sociétés de leasing et les sociétés de crédit à la consommation, l’impact de la norme sera énorme. Il se traduira en effet par une hausse sensible des besoins en fonds propres de ces sociétés. Un certain nombre de banques européennes ont pris les devants en révisant la composition des portefeuilles : découvert, crédit auto, crédit d’équipement, crédit revolving et autres qui impactent fortement les provisions du risque de crédit avec le passage à IFRS 9.
F.N.H. : De manière générale, et pour conclure, quels sont les principaux défis réglementaires qui guettent l'industrie bancaire ?
Y. A. : Les priorités prudentielles pour les années à venir pour l’industrie bancaire tiennent compte de l’évaluation des principaux risques auxquels font face les banques ainsi que des évolutions de l’environnement économique. Parmi ces priorités, on retrouve la gouvernance des risques, la qualité des données, la liquidité, les risques liés au modèle d’activité et à la rentabilité, l’adéquation des fonds propres et le risque crédit. Nos clients bancaires en Europe sont aujourd’hui en ordre de marche et déploient les moyens nécessaires en réponse au contexte réglementaire fort et accéléré, notamment sur des sujets comme le KYC, Bâle 4, MIFID, FATCA, EMIR pour ne citer que ces exemples.
Les crises financières récentes ont montré la rapidité avec laquelle les problèmes affectant le secteur financier peuvent se propager.
Les banques marocaines, avec leurs stratégies de croissance externe sur le continent africain et même au-delà, sont appelées à accélérer leurs mises en conformité dans les meilleurs délais par rapport aux nouveaux standards internationaux.
Propos recueillis par A. Hlimi