3 mois après le report de dernière minute de la réforme de la flexibilisation du Dirham, Abdellatif Jouahri, wali de Bank Al-Maghrib (BAM), s’est exprimé pour la première fois de manière officielle sur le sujet.
Pourquoi la réforme a-t-elle été reportée ? «Le chef de gouvernement a déjà répondu à cette question», s’est contenté de dire Jouahri, tout sourire. Saad Eddine El Othmani, à qui appartient in fine la décision politique de migrer vers un régime de change plus flexible, avait en effet jugé en juillet dernier que la réforme nécessitait des études complémentaires, pour notamment mieux mesurer son impact sur le pouvoir d’achat des Marocains.
Le gouvernement a-t-il demandé à la Banque centrale de réaliser ces études ? «Jusqu’à présent, non», rétorque le wali. «Il se peut que l’on nous demande de faire ces études complémentaires et nous le ferons à ce moment-là», ajoute-t-il.
De manière générale, le fil semble pour le moment couper entre Bank Al-Maghrib et la primature. Aucun contact n’a eu lieu entre Jouahri et El Othmani depuis le report de la réforme.
Mais passons, paraît dire Jouahri, qui se montre beau joueur, et semble trouver à ce report quelques vertus. «On peut percevoir positivement cette décision du report si le gouvernement l’a prise pour mieux apprécier les conséquences de la réforme, la soutenir, et la mener de bout en bout, surtout qu’elle s’étale sur le long terme», a-t-il ainsi déclaré. Reculer pour mieux avancer en quelque sorte.
La réforme du DH doit se faire
Jouahri n’en démord pas : la réforme doit se faire. Le statu quo n’est pas tenable. «Le Maroc va devoir avancer avec des réformes. Nous en avons besoin. Si nous voulons aller vers un autre modèle de développement économique, vers l’émergence, vers une meilleure distribution des revenus, cela ne se fera qu’à travers ce genre de réformes», affirme le wali, le ton grave. La réforme du régime de change s’inscrit dans le sillage des autres réformes structurelles, auxquelles elle doit servir de levier, explique-t-il.
«Si le Maroc veut être compétitif, si nous voulons améliorer la productivité et la valeur ajoutée des exportations, acquérir d’autres marchés, faire de Casablanca Finance City un centre financier à vocation régionale, comment le faire sans réforme ?», s’interroge le haut responsable. Et de prévenir : «si vous ne le faites pas, d’autres le feront. Et plus on attend, plus le retard sera difficile à rattraper. L’Egypte va mieux et la Tunisie aussi». Bref, la réforme doit se faire, et le plus vite sera le mieux.
Autocritique
Dans cette affaire, la Banque centrale a également fait son autocritique. Elle porte essentiellement sur la question de la communication. Jouahri concède, en effet, que la vulgarisation de la réforme en direction du grand-public n’a pas été optimale et «un peu tardive». Car la Banque centrale, dans les premiers mois précédant la réforme, s’est essentiellement focalisée sur la communication à destination des opérateurs économiques, des banques, etc. à travers une vingtaine de réunions. La communication destinée au grand-public est, de l’aveu de BAM, arrivée un peu tard. Ce qui explique qu’une grande partie de l’opinion publique, en panique, a manifesté, principalement sur les réseaux sociaux, sa vive crainte de la flexibilisation du Dirham.
En tout cas, Abdellatif Jouahri devra soigner sa communication envers les partenaires internationaux du Maroc, institutions de Bretton Woods en tête. En effet, le gouverneur de BAM doit se rendre la semaine prochaine à Washington pour les assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale. Le gouvernement et la Banque centrale devront nécessairement se parler d’ici là pour se mettre d’accord sur ce qu’ils diront à leurs partenaires internationaux.
«Le problème du report sera certainement évoqué à Washington», souligne le gouverneur. «Les agences de notation ne manqueront pas de soulever la question. Il faudra bien leur dire ce qu’on envisage de faire».
Enquête de l’Office des changes
Abdellatif Jouahri n’a pas manqué de revenir sur ce qui s’est passé en juin dernier lorsque les opérateurs économiques ont eu recours plus que d’accoutumée aux instruments de couverture, craignant une dévaluation du Dirham, en dépit des garanties apportées par BAM. Le wali a apporté à ce propos des précisions de taille.
La première est que les quelque 25 milliards de DH en devises ne se sont pas «évaporées», et n’ont pas quitté le Maroc. Ces devises ont juste été transférées du bilan de la Banque centrale vers celui des banques pour servir les demandes de leurs clients. Ce qui explique que depuis le 8 août, les banques n’ont pas effectué d’achats de devises auprès de la Banque centrale.
Deuxième précision : BAM ne mène pas d’enquête auprès des banques, et n’a pas demandé à l’Office des changes d’en mener une. C’est l’Office lui-même qui s’est saisi de l’affaire. «L’Office des changes a mené une enquête pour détecter les opérations non conformes à la réglementation des changes», souligne le patron de BAM. «Le rapport est en train d’être finalisé et sera remis au ministre des Finances. Cela ne saurait tarder», conclut-il. ■