Après les banques, les opérateurs économiques et les médias, la Banque centrale s’est enfin réunie avec le monde académique et de la recherche scientifique pour sensibiliser, expliquer et, surtout, lever le doute et les ambiguïtés sur un sujet qui fait l’objet de controverses.
Passer d’un régime de change fixe où l’ancre est le taux de change à un autre flexible où l’ancre est le ciblage de l’inflation, suscite de nombreuses interrogations chez les faiseurs d’opinion et essentiellement chez les opérateurs qui se sont habitués à une sorte de rente économique.
A l’instar des chefs d’entreprises, les universitaires s’interrogent sans cesse : pourquoi abandonner un régime fixe qui, durant des années, a acquis ses lettres de noblesse ? Quels sont les avantages de la flexibilité ? Le timing est-il adéquat ? Des mesures d’accompagnement sont-elles prévues pour éviter le scénario catastrophe ? En somme, comment gérer le stress du changement de la politique de change.
C’est d’ailleurs tout l’objet des Journées internationales de macroéconomie et de finance organisées récemment par la Banque centrale, en collaboration avec l’Université suisse de Bâle et le laboratoire de recherche INREDD de Marrakech.
Tirer des enseignements des expériences qui ont réussi, mais aussi de celles qui ont échoué, se veut entre autres l’une des attentes de cette semaine scientifique. En quelques points, les enseignements tirés des expériences de certains pays ont démontré que les taux fixes ne sont pas éternels et qu’à long terme, ils mènent à une forte volatilité, ne garantissent pas la stabilité nominale et qu’il est donc impératif de penser à une alternative, voire une aptitude à mettre en œuvre de nouveaux instruments.
Une ébauche de réponse aux détracteurs au changement qui plébiscitent le taux de change fixe. Dans ce sillage, il est à rappeler qu’au cours des dernières années, plusieurs pays ont transité par des régimes de taux de change plus flexibles pour adopter le ciblage de l’inflation vers la fin de ce processus. «La plupart de ces transitions se sont produites dans des conditions désordonnées, quoique certaines aient été relativement graduelles et lisses», explique David Vavra, expert en modélisation macroéconomique. Ce dernier a d’ailleurs conseillé des dizaines de Banques centrales (Russie, Turquie, Ukraine et Serbie) sur la stratégie de transition vers un régime de change flexible et la mise en place du cadre de ciblage de l’inflation.
A ce problème de sortie désordonnée, les responsables de Bank Al-Maghrib clament haut et fort que le processus a été longuement réfléchi, il a pris le temps qu’il fallait et, surtout, la flexibilisation se fera de manière graduelle (voir entretien p.11).
Mais à en croire les paroles de D. Varva, indépendamment du fait qu’il s’agisse d’une sortie ordonnée ou désordonnée, ces transitions sont complexes d’un point de vue institutionnel et opérationnel. Les expériences internationales suggèrent pour une transition réussie vers le flottement, quatre ingrédients nécessaires : un marché de change profond et liquide, une politique d’intervention cohérente, une ancre nominale alternative appropriée (par exemple l’inflation) et des cadres analytiques adéquats pour évaluer les expositions du secteur public et privé.
Les expériences montrent également, selon D. Vavra, que lorsque les pays approfondissent leur intégration dans les marchés financiers internationaux, une régulation efficace des flux de capitaux devient très difficile à mettre en œuvre. Ces enseignements ont été tirés en analysant les expériences des pays qui ont réussi à faire la transition d’une manière relativement progressive et ordonnée, transité dans un contexte de crise, adopté pendant une certaine période un régime de flottement, mais sont revenus progressivement à un régime de change plus contrôlé et ont adopté un régime intermédiaire lors de la phase de transition. Des expériences qui appellent à la vigilance !
Pour certains opérateurs économiques et faiseurs d’opinion marocains, le passage à un taux de change flottant représente un risque élevé de pression sur la balance des paiements et, par ricochet, sur les réserves de change. D’après eux, si l’on passe à un taux de change flottant, il y aurait baisse de la valeur du Dirham et de facto une hausse du coût des importations, avec tout ce que cela pourrait engendrer sur la croissance économique. Ils se posent également des questions sur le degré de développement du marché de change quant à sa profondeur et sa liquidité. Aussi, la méthode ARA, même ajustée, utilisée pour l’évaluation de nos réserves internationales les laisse un peu sceptiques. Ils craignent tout bonnement un scénario turc ou égyptien.
A ces appréhensions, Jilali Kenzi, adjoint au directeur du Trésor et des Finances extérieures, répond qu’aujourd’hui tous les prérequis sont en place. Il met en exergue la diversification des exportations, leur amélioration technologique et, du coup, leur forte valeur ajoutée, l’intégration de l’économie marocaine avec la signature de plusieurs accords de libre-échange. Il met également en évidence le niveau important des réserves de change, la solidité du secteur financier et le développement relatif du marché de change. Le représentant de la Direction du Trésor évoque que le pass-through est relativement faible. «La répercussion des fluctuations des taux de change sur les prix à la consommation (pass-through) est relativement faible», annonce-t-il.
Même son de cloche chez M. Razki, représentant de BAM, qui explique que dans le contexte actuel, le change fixe a atteint ses limites et qu’il est temps de basculer vers la flexibilité. «C’est un moyen de faire face aux chocs externes», tient-il à rappeler.
Et pour ceux qui craignent un choc brutal, il répond que contrairement à l’Egypte et à la Turquie qui ont adopté le régime de change dans un moment de crise, au Maroc, le processus est bien choisi, ficelé et se fera d’une manière graduelle pour permettre aux opérateurs économiques et aux intervenants du marché de s’adapter à la réalité du marché. «Pour chaque étape, la Banque centrale va examiner si les prérequis aussi bien quantitatifs que qualitatifs sont là. Si demain les fondamentaux se détériorent, nous allons accélérer le processus», explique M. Razki. Des propos qui restent pour l’instant confus.
En ce qui concerne la bande de fluctuation, l’inflation tolérée, le timing, l’identification des phases de ce processus graduel… rien ne filtre pour l’instant. Autant d’éléments qui alimentent les craintes des opérateurs et auxquels BAM doit donner des réponses claires, nettes et précises. ■
Par S. Es-siari