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Fiscalité: «L’Etat doit accélérer la mise en œuvre des recommandations des Assises»

Fiscalité: «L’Etat doit accélérer la mise en œuvre des recommandations des Assises»

Les conventions d’amnisties fiscales signées au mois de décembre 2020 comprennent certes des avantages, mais peuvent générer également des distorsions entre les entreprises.

◆ La mise en place d’un nouveau service intitulé «Corridor CGEM-DGI» milite en faveur de la restauration de la confiance entre le fisc et les entreprises marocaines, obligées de faire face aux nouveaux risques générés par la crise.

Tour d’horizon avec Hicham Mouchir, expert-comptable, économiste, consultant et co-fondateur du cabinet d’audit et de conseil Arobase Consulting.

 

Propos recueillis par M. Diao

 

Finances News Hebdo : En tant qu'expert-comptable, quel regard portezvous sur les multiples signatures de conventions fiscales entre la DGI et certaines fédérations professionnelles au cours de l'année 2020 ?

Hicham Mouchir : Tout d’abord, je tiens à préciser que cette action est un acte tout à fait légal qui s’inscrit parmi les six mesures fiscales d’amnistie introduites par la Loi de Finances pour l’année 2020, et approuvées par le Parlement. Ce dispositif fait partie des mesures de la réforme fiscale prévue au titre de la période 2020 - 2024, suite aux recommandations formulées à l’issue des dernières assises fiscales, tenues en mai 2019 à Skhirate. Pour rappel, le Maroc avait connu des opérations similaires dans les années 90, et même bien avant.

L’objectif affiché par les autorités étant de répondre aux défis posés par le contexte, de redynamiser l’économie et de permettre de rétablir la confiance entre l’Etat et les contribuables. C’est vrai qu’à mon sens ce type de conventions et d’amnisties crée des distorsions entre les sociétés qui respectent la loi et celles qui sous-déclarent pour éluder l’impôt, et ne sert pas clairement le principe de l’équité prévu par notre Constitution. D’aucuns la qualifient même de défaite de l’Etat face aux fraudeurs, qui risque au passage de renforcer le sentiment d’injustice chez une large catégorie de contribuables qui s’acquittent régulièrement de leur impôt. Cela dit, il ne faut pas oublier que le rétablissement de la confiance implique la nécessité de se mettre à table, de négocier et de tourner la page, à fortiori dans un contexte de crise et de baisse des recettes de l’Etat.

D’ailleurs, à l’instar du Maroc, d’autres pays ont mis également en place des dispositions de dispense, de régularisation et de libération fiscales, mais cela aura plus de sens et de crédibilité si elles sont suivies par un contrôle strict du respect de la loi par tous les contribuables. Ce dispositif constitue également le préalable à la mise en œuvre des actions de contrôle et de recoupement de la DGI sur la base de solutions informatiques et des données digitales puisées auprès des autres administrations et opérateurs locaux ainsi qu’auprès des administrations fiscales des pays partenaires du Maroc. Rappelons à cet effet que le Maroc a adhéré, en 2019, à l'accord de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) portant sur l'échange automatiques des données fiscales.

Néanmoins, sur le plan technique, ce que je déplore, c’est que premièrement certaines conventions ont été signées la veille du deadline, voire le même jour du 15 décembre 2020 pour être appliquées quelques heures aussitôt. Secundo, il y a eu d’innombrables difficultés d’application et d’interprétation relatives à la base imposable, au mode de calcul et à la saisie de ces informations sur la plateforme de la DGI. Enfin, mon souhait est que tous les contribuables s’inscrivent aux côtés de l’administration fiscale sur la voie de la confiance mutuelle et de la citoyenneté pour relever les challenges d’aujourd’hui et de demain. Nous en saurons un peu plus dans les prochains mois ou années à venir.

 

F.N.H. : La CGEM et le fisc ont conclu en début décembre une convention de partenariat pour la mise en place d’un nouveau service intitulé «Corridor CGEM-DGI». Peut-on légitimement prétendre à une relation plus apaisée basée sur la confiance en 2021 entre le fisc et les entreprises marocaines ?

H. M. : C’est ce que j’espère personnellement. En tout cas, cela augure à mon sens d’un vent positif d’optimisme et d’une relation visiblement plus concertée entre les opérateurs économiques et la DGI. Il faut noter à ce propos que ce gentlemen’s agreement, signé le 4 décembre dernier, a pour objectif, comme annoncé par la CGEM, d’accompagner les entreprises membres de la CGEM dans leurs démarches administratives tout en œuvrant à réduire les situations contentieuses, à lever les incertitudes juridiques et à donner de la visibilité aux entreprises sur la manière dont les textes en vigueur doivent s’appliquer. Il vise également à accroître le taux de conformité fiscale. Cette convention de partenariat se fixe donc comme finalité le rétablissement de la confiance entre la DGI et les TPE et PME.

Ainsi, le maître-mot est encore une fois la confiance. Ceci passe inévitablement par la clarté des textes, la stabilité et la justesse de leur application, la lutte contre la corruption et la fraude et plus de visibilité pour l’Etat et les entreprises, dont le but ultime est d’instaurer un climat sain des affaires. Pour ce, je crois qu’il est essentiel de réduire la marge d’interprétation de l’administration fiscale en clarifiant le Code général des impôts (CGI) et en facilitant l’échange et la résolution des conflits et des divergences dans l’application de ce texte. Il est aussi recommandé de faire valoir les bonnes pratiques de part et d’autre; l’administration fiscale dans certains pays félicite par écrit les bons contribuables.

La recherche à tout prix de recettes fiscales optimales (objectif par dossier) devrait également être recadrée pour éviter les abus lors des contrôles opérés par l’administration. De même, les entreprises doivent veiller à respecter la loi et à considérer le paiement des impôts comme un acte citoyen et non comme une contrainte. D’un autre côté, et sur un plan purement pratique, je n’ai pas encore d’informations précises sur la manière dont ce service sera fourni aux entreprises, la composition de l’équipe en charge et son articulation par rapport aux travaux des Commissions fiscales de taxation et de recours fiscal (CLT/CNRF), prévues par le CGI. Nous devrons peut-être attendre la mise en application de ce service pour en savoir davantage.

 

F.N.H. : L'exercice fiscal en 2020 a été particulier en raison de la crise liée à la Covid-19 qui perdure. Y a-t-il des enseignements à tirer de cette crise afin d'améliorer le système fiscal ainsi que les pratiques ?

H. M. : Absolument. L’année 2020 a été difficile et volatile. Nous commençons petit à petit à voir la lumière au bout du tunnel avec les bonnes nouvelles qui arrivent concernant les vaccins contre la Covid-19, mais je pense qu’entrevoir une reprise économique en 2021 ne sera pas une mince affaire et demandera plus de temps. Concernant les enseignements à tirer de cette crise, relativement au système fiscal marocain, je pense que l’Etat doit accélérer la mise en œuvre des recommandations des dernières assises fiscales en tenant compte des travaux de la Commission royale chargée du modèle de développement.

Cette crise a démontré avec insistance l’ampleur du secteur informel (plus de 5 millions de Marocains travaillant dans l’informel ayant bénéficié de l’aide publique Covid-19) et la nécessité de la généralisation de la couverture sociale pour tous les Marocains, de faire preuve d’un sens de solidarité et d’engagement collectif (Etat et citoyens) pour une société plus juste et plus égalitaire; et j’espère qu'il y aura d'autres avancées à l'avenir pour aider notre pays à remédier à ses fragilités.

En outre, ce passage à vide consacre l’importance d’avoir un tissu économique national fort et autonome et l’intérêt de soutenir la recherche et le développement, les secteurs numériques et de digitalisation, porteurs d’un énorme potentiel de croissance. La mise en place d’un régime fiscal avantageux pour l’innovation et les nouvelles technologies s’imposent à mon humble avis comme une priorité. De plus, l'économie n'est pas encore totalement tirée d'affaire. Le gouvernement devra donc prendre de nouvelles mesures pour aider les entreprises touchées par les restrictions et apporter plus de visibilité à travers notamment des pratiques administratives plus équitables.

 

F.N.H. : Enfin, que vous suggère l'année 2021 en tant que professionnel des chiffres et pourvoyeur de conseils en faveur des entreprises ?

H. M. : En tant que professionnel des chiffres et conseil des entreprises, je pense que l'économie marocaine soignera partiellement ses plaies en 2021. Il faut dire que des opportunités existent sur le marché, mais aussi des risques qu'il va falloir gérer. Les incertitudes qui existent en matière de demande internationale devront réorienter l’offre marocaine vers les opportunités créées par les nouveaux créneaux d’activité telles que la transformation numérique, l'innovation en matière de santé et le développement durable.

Durant cette conjoncture inédite, les entreprises ont intérêt à être mieux conseillées et d’être accompagnées pour faire face à ce contexte de forte volatilité. Nous avons tous constaté que le soutien des Etats a favorisé la reprise économique et, dans beaucoup de pays, l'Etat est et restera au chevet de l'économie. Certains responsables politiques pourraient hésiter en raison de la montée des déficits budgétaires, mais je pense qu’il est extrêmement important que le soutien de l’Etat marocain continue pendant cette période et au-delà. L’Etat doit plus que jamais montrer la voie aux entrepreneurs en soutenant l’investissement, en facilitant l’entrepreneuriat et en mettant en place les solutions idoines de financement à moyen et long terme.

 

 

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