Le 10 mars dernier, le sol a littéralement tremblé sous les pieds d’argile des principaux marchés financiers mondiaux. La Silicon Valley Bank (SVB) a fait faillite, entraînant dans son sillage, 2 jours plus tard, celle de la Signature Bank et de la Silvergate Bank. L’évènement n’a pas manqué de réveiller le douloureux souvenir de la tristement célèbre faillite de Lehman Brothers, qui fut en quelque sorte le déclencheur officiel de la grande crise financière de 2007/2008, un peu comme l’assassinat de l’Archiduc d’Autriche fut celui de la première guerre mondiale.
Autrement dit, les causes sont en réalité bien plus profondes, et la faillite d’une banque ne fait tout au plus que donner le signal, à l’image d’un arbitre sifflant la fin de la partie. Ironie du sort, il se trouve que le directeur administratif de la SVB, Joseph Gentile, n’est autre que l’ancien directeur financier de Lehman Brothers. Comme quoi, si vous pensez être nul dans votre métier, dites-vous que certains ont érigé la poisse en véritable art.
Mais que s’est-il réellement passé ?
Premièrement, la SVB est, ou plutôt fut, une banque de taille régionale spécialisée dans le financement des start-up. Durant la période Covid-19, la FED décida de réduire grandement son taux directeur jusqu’à atteindre 0,25% en mars 2020. Ce taux resta inchangé jusqu’en mars 2022, date à laquelle la Banque centrale américaine décida, face à une inflation galopante, d'opérer un virage en termes de politique monétaire, à travers une hausse graduelle et présentée comme inexorable de son taux directeur. La dernière a eu lieu le 1er février dernier, avec une hausse de 0,25 point pour atteindre le taux actuel de 4,75%.
Mais durant toute la période Covid, la FED s’était engagée à maintenir ses taux bas, afin d’éviter une implosion de l’économie américaine, soutenir l’emploi et ne pas décourager l’investissement. Face à ces chants de sirènes, certaines banques comme la SVB, décidèrent de placer leur surplus de liquidité dans des bons du Trésor américain d’une maturité moyenne de 5 ans. Ces derniers étaient faiblement rémunérés, 1,5% en moyenne, mais leur rendement était à cette époque supérieur à l’inflation. D’autant plus, rappelons-le, la FED se voulait plus rassurante quant à la crainte d’une hausse du taux directeur.
Mais, car il y a toujours un «mais» dans l’histoire, la FED a décidé que désormais, la priorité était la maîtrise de l’inflation. Comme on dit, les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Pire, la SVB n’a pas pris la précaution de se protéger d’un risque de fluctuations des taux à travers des contrats SWAP. Résultat des courses, le portefeuille obligataire de la SVB se déprécie brutalement. La nouvelle arrive aux oreilles aiguisées des marchés et des startupeurs, et ces derniers se précipitent pour retirer leurs pécules vu qu’il y a péril en la demeure. C’est le «Bank run», face auquel la plus solide des banques est impuissante. Incapable de restituer les fonds à leurs propriétaires, la SVB s’effondre, créant un vent de panique tout à fait justifié dans tout le secteur bancaire, plus particulièrement parmi les banques spécialisées dans la «Tech», à l’image de la Signature Bank.
Le spectre d’un risque systémique plane depuis sur tout le système bancaire. Et les dégringolades en Bourse finissent par traverser les frontières, puisque le Crédit Suisse a dû être racheté pour deux miettes par le géant suisse UBS, afin d’éteindre l’incendie qui couvait. Cependant, si sur le plan technique, ces faillites ne sont dues qu’à de mauvais placements, qui plus est spécifiques aux banques spécialisées dans la «Tech», pourquoi s’inquiéter alors ? Et bien, pour une raison très simple : c’est que le Crédit Suisse n’était aucunement spécialisé dans la «Tech». Il était une banque classique avec un portefeuille client très diversifié. Mais, comme nous risquons de le découvrir prochainement, il faisait partie d’une multitude de grandes banques, assises sur un bilan catastrophique et des produits dérivés hautement toxiques, et ce depuis la crise de 2007-2008. Si la longue période de surliquidité du système bancaire occidental a permis depuis 2008 de camoufler cet état de fait à travers une politique de taux bas, désormais, l’heure est peut-être au grand dévoilement. Autrement dit, il faudra tôt ou tard sortir les cadavres du placard, et ça ne sera certainement pas très agréable à voir.
Maintenant, qu’en est-il du Maroc ?
Si les secousses financières en Occident risquent d’impacter les banques marocaines comme en 2007-2008, le risque chez nous demeure mesuré, voire même nul si l’on pense à un risque de faillite. Et ce, pour différentes raisons. Premièrement, le système financier marocain est très faiblement intégré au système financier mondial. Deuxièmement, le marché des produits dérivés est embryonnaire au Maroc. Troisièmement, le crédit bancaire demeure hégémonique en tant que canal de financement de l’économie.
Quant au capitalrisque, son poids reste résiduel. Enfin, si le fort niveau de concentration bancaire au Maroc demeure problématique, il a cependant certains avantages, dont la solidité et la solvabilité. Donc «Calm down» comme dirait Bruno le Maire, en espérant pour ma part ne pas avoir le même niveau d’incompétence que ce dernier.
Par Rachid Achachi, chroniqueur, DG d’Archè Consulting