L’accompagnement et le financement de l’entreprise sociale au coeur du débat de la deuxième édition du Social Talk. L’entreprise sociale représente plus de 10% du PIB des pays développés ayant adopté cette forme d’entrepreneuriat. Pour ce faire, nombre d’ingrédients doivent être réunis. g Détails avec Younès El Jouahri, président d’Olea Institute.
Finances News Hebdo : Pourquoi le choix de l’accompagnement et du financement de l’entreprise sociale comme thématique de cette deuxième édition du Social Talk ?
Younès El Jouahri : Olea Institute oeuvre pour la mise en place du contexte d’action de l’entreprise sociale au Maroc. Nous sommes convaincus que ce type d’entreprise peut présenter une réelle alternative pour l’auto-emploi des jeunes. Pour cela, nous avons beaucoup travaillé pour mettre en place, rapidement, un cadre où les entrepreneurs sociaux marocains peuvent agir. A ce titre, nous lançons, en partenariat avec la Caisse centrale de garantie, Attijariwafa bank, Maroc PME et le Comptoir de l’innovation (filiale du groupe SOS, leader européen de l’entrepreneuriat social) le «label entreprise sociale» ainsi qu’un «package d’accompagnement et de financement». Ce cadre sera disponible à partir de 2016 et permettra de faire émerger les entreprises sociales en gestation.
F.N.H. : Sachant toutes les problématiques de financement auxquelles sont confrontées les entreprises au Maroc, qu’en est-il de l’entreprise sociale ?
Y. E. J. : Le financement de l'entreprise sociale passe nécessairement par la mise en place de plate-formes nouvelles et innovantes. Nous parlons dans ce cas d'outils solidaires. Cinq points ressortent :
1 - La subvention : Au même titre que les autres structures sociales, l'entreprise sociale devrait pouvoir bénéficier des subventions de l'Etat. Cela est justifié par l'impact social de son action et, surtout, par le fait qu'elle réserve une grande partie de ses résultats à la réalisation de son objectif social.
L'entreprise sociale se présente, à ce titre, comme une bonne solution pour réaliser l'optimisation des dons annuels que réserve l'Etat aux associations. Il est important à ce niveau d'insister sur le fait que l'action de l'Etat envers l'entreprise sociale ne doit pas concurrencer son action envers les associations et autres structures sociales. Cette recommandation doit obligatoirement être considérée dans un cadre de complémentarité entre ces différentes entités.
2 - La fiscalité : Notre recommandation consiste à mettre en place un arsenal fiscal spécifique pour l'entreprise sociale, qui reposerait sur les éléments suivants :
• prévoir un régime préférentiel pour les fonds non distribués et investis dans l’action sociale;
• ce régime sera sélectif et non généralisé à l'ensemble des entreprises sociales;
• mettre en place des critères stricts d'accès;
• créer une charte d'engagement pour les entreprises sociales désireuses de bénéficier de ces facilités;
• assurer un système de suivi et de contrôle.
Il est important à ce niveau d'insister sur le fait que ce régime préférentiel envers l'entreprise sociale ne doit pas concurrencer les entreprises conventionnelles. Cette recommandation doit obligatoirement être considérée dans un cadre de complémentarité.
3 - La garantie : Le financement de l’entreprise sociale, comme celui de l'entreprise classique, passera nécessairement par un fonds de garantie. Cela rendra la prise de risque plus accessible pour les bailleurs de fonds et institutions de financement. C'est aussi une marque de confiance donnée à ce type d'entrepreneuriat.
La Caisse centrale de garantie a déjà mis en place un fonds de garantie pour les projets d'associations et de TPE. Ce fonds de garantie a été créé du fait que les structures sociales à vocation économique existantes ont démontré leur capacité à porter des projets viables.
L'entrepreneuriat social a manifestement besoin de faire ses preuves. Les projets portés devront, comme les projets des entreprises classiques, présenter les garanties de succès nécessaires au financement. Ils devront, par ailleurs, démontrer leur capacité à réaliser l'impact social préconisé. C'est un double challenge auquel les entreprises sociales auront à faire face, mais c'est bien là leur principale raison d'être.
4 - Les nouveaux outils : Le financement de l'entreprise sociale est un champ d'innovation majeur. Les «outils de financement solidaires» sont en grande partie encore à créer.
Nous avons relevé le «crowdfunding» comme principal outil ayant émergé récemment pour être une source de financement appropriée.
Organiser l'action des donateurs pourrait être une bonne piste de réflexion et d'innovation. A ce titre, nous pourrions imaginer une plate-forme nationale qui serait alimentée par l'argent de la «Zakat» et des dons de particuliers. Ces fonds pourront être gérés selon un système alliant efficacité, transparence et culture du résultat au service de l'entrepreneuriat social.
5 - La pérennisation : Créer et financer l'entreprise sociale nécessite aussi de mettre en place les conditions de sa pérennisation. Une forte implication des acteurs institutionnels et privés serait souhaitable à ce titre. Il s’agit, essentiellement, d’assurer un accompagnement concret au niveau de la création et de faciliter l’accès au financement et au marché (la commande publique et privée). La coordination de l’INDH et d’autres institutionnels pourrait jouer un rôle prépondérant dans ce sens.
F.N.H. : Quelle est la finalité du «Label entreprise sociale» que vous comptez créer ?
Y. E. J. : L’entreprise sociale n’existe pas au Maroc. Plusieurs initiatives existent dans ce sens, mais aucun cadre juridique ne réglemente ce type d’entreprise. La loi sur l’économie sociale et solidaire est toujours en cours d’élaboration et devrait, à notre sens, aborder ce sujet. Cela prendra, toutefois, beaucoup de temps.
Ainsi, pour permettre à l’entreprise sociale d’exister, et aux entrepreneurs sociaux d’avoir un cadre d’action, nous avons élaboré ce label avec des critères précis qui définissent à notre sens, l’entreprise sociale. Ce cadre est adopté par des institutionnels, un opérateur international et notre institut en tant qu’acteur social. Cela lui donnera la légitimité nécessaire.
Cela dit, il est important que la loi sur l’économie sociale et solidaire intègre l’entreprise sociale et définisse un statut juridique spécifique. C’est un préalable à toute action que pourrait envisager l’Etat.
Nous avons proposé, au sein du Social Talk review, dix-neuf (19) recommandations à l’Etat pour mettre
en oeuvre l’entreprise sociale au Maroc. Ces recommandations ne peuvent prendre forme qu’à partir de l’élaboration d’une règlementation claire de ce type d’entreprise.
L’entreprise sociale représente plus de 10% du PIB des pays développés ayant adopté cette forme d’entrepreneuriat. Cela représente une voie de croissance concrète pour le Maroc et une autre façon de créer de la richesse. C’est aussi une réelle alternative pour l’emploi et l’auto-emploi des jeunes. L’accompagnement de ce type d’entreprises permettra de faire émerger des initiatives qui seront au service de l’entrepreneur et de la communauté.
F.N.H. : Quelles sont vos recommandations à l’Etat marocain pour mettre en oeuvre l’entreprise sociale ?
Y. E. J. : L'action de l'Etat est primordiale pour le développement de l'entrepreneuriat social, en général, et de l'entreprise sociale, en particulier. Nous avons identifié dix-neuf recommandations.
1 - Définir de façon officielle et claire l'entreprise sociale au Maroc : Il est important de préciser formellement le concept d'entreprise sociale. L'Etat devra aussi identifier les similitudes et les différences qui existent entre ce type d'entreprise et les structures existantes. Il devra, par ailleurs, préciser sa place et son statut dans les secteurs socioéconomiques.
2 - Adopter la loi sur l'entreprise sociale : Cette loi devra définir, de façon claire, les éléments constitutifs de l'entreprise sociale en précisant ses droits et obligations. Il est important à ce niveau d'élaborer un statut type.
3 - Développer une stratégie nationale intégrée pour l'entrepreneuriat social : Il est question, à ce niveau, de concevoir une politique nationale pour l'entrepreneuriat social. Cette politique fera participer les acteurs institutionnels, économiques et sociaux afin de créer une synergie globale qui profitera directement à tout entrepreneur social.
4 - Instaurer un mécanisme de convergence des politiques publiques en matière d'entrepreneuriat social : Il serait intéressant de mettre en place une structure de mise en oeuvre dans les secteurs et activités de l'entrepreneuriat social. Cette structure permettrait d'harmoniser les actions et de faciliter les interactions entre les différents intervenants.
5 - Assurer l'accompagnement des entreprises sociales : Cet accompagnement se manifestera par une attention particulière au profit des entrepreneurs sociaux. Il s'agit essentiellement de créer une dynamique nationale de promotion de l'entreprise sociale. Cette dynamique nécessitera la mise en place d'un environnement propice et de structures dédiées à l'entreprise sociale.
6 - Renforcer l'action des organismes d’intervention (agences, établissements et institutions publics ou privés), notamment Maroc PME, envers l'entreprise sociale : ces organismes devront préciser des programmes dédiés à l’appui pour l’éclosion, la promotion et la pérennisation de l’entreprise sociale. Ces programmes permettront également aux entrepreneurs intéressés d'accéder aux outils, à l'information et à l’aide nécessaires pour entreprendre social.
7 - Mener des études sectorielles et territoriales : cela permettra aux entrepreneurs sociaux de mieux identifier les opportunités d'investissement et les territoires favorables à de telles initiatives.
8 - Faciliter l'accès à la commande publique : il serait intéressant d'octroyer certains privilèges aux entreprises sociales au niveau de la commande publique. Nous pourrions même envisager la possibilité de leur dédier une partie des marchés publics.
9 - Favoriser les partenariats public/privé à travers l'entreprise sociale : mettre en place des systèmes incitatifs qui favoriseraient une utilisation plus grande des entreprises sociales dans le cadre de partenariats entre le secteur public et le secteur privé.
10 - Offrir des facilités aux entreprises sociales : Ces facilités peuvent se constituer des subventions mises à la disposition des associations. L'Etat peut aussi envisager de fournir certains avantages fiscaux.
11 - Améliorer le système d'octroi des aides aux acteurs sociaux : cela permettrait d'optimiser les opérations de dons et d'adopter la notion de rentabilité offerte par l'entreprise sociale.
12 - Permettre le financement de l'INDH : Les entreprises sociales devront être intégrées aux structures finançables par l'INDH. Cela peut se faire sous forme de dons ou de prêts d'honneur.
13 - Créer un fonds de garantie au sein de la CCG au service de l'entreprise sociale : Ce fonds servirait à encourager l'investissement social en présentant des garanties aux structures de financement classiques.
14 - Développer des plates-formes commerciales en faveur des entreprises sociales : Cela serait une initiative pour développer le contexte d'action des entreprises sociales. Ces plates-formes commerciales permettront un accès plus facile au marché.
15 - Améliorer la communication et l'accès à l'information : Il serait bénéfique de permettre aux acteurs dans des régions éloignées d'être informés des programmes et actions réalisés en faveur de l'entrepreneuriat social.
16 - Développer la formation à l'entrepreneuriat social à partir du primaire : L'éducation est un élément fondamental pour instaurer une culture d'entrepreneuriat social. Cette éducation doit démarrer très tôt.
17 - Définir la connaissance collective : Il s'agit de développer la littérature de l'entrepreneuriat social en se basant sur des expériences locales. Cela passera, dans un premier temps par l'encouragement de la recherche dans ce domaine au sein de l'université.
18 - Accompagner les entreprises et les structures associatives qui veulent se transformer en entreprises sociales : cela passera par la sensibilisation et la formation.
19 - Eviter que l'Etat défavorise l'entreprise conventionnelle.
F.N.H. : Vous avez l’ambition d’initier en 2016 un processus d’accompagnement qui a pour objectif la transformation de dix-huit structures sociales existantes en entreprises sociales. Peut-on avoir plus de précisions à ce sujet ?
Y. E. J. : Notre action se structure en trois étapes. Nous avons démarré la première phase en 2014 par faire connaître l’entreprise sociale à travers une définition précise et l’élaboration des voies de sa mise en oeuvre. La deuxième phase consiste à dresser le cadre d’action à travers le lancement du label entreprise sociale et du package d’accompagnement et de financement. La troisième phase consistera à créer des entreprises sociales.
Pour réussir cela, nous avons décidé par la transformation de structures sociales existantes qui présentent les critères nécessaires pour adopter cette façon de faire. Notre objectif est d’accompagner dix-huit entités sociales (associations et coopératives).
Notre action portera aussi sur les projets en lancement. Nous avons signé, à ce titre, un partenariat avec le Comptoir de l’innovation qui porte sur la mise en place en 2016 d’un fonds d’investissement pour l’entreprise sociale au Maroc. Ce projet en est encore au stade de la réflexion. Nous n’excluons pas, à ce niveau, l’intervention de certains acteurs nationaux qui sont, sans nul doute, fortement intéressés par le développement au Maroc de l’entrepreneuriat social.
Entreprise sociale : cinq éléments de définition
• La prise de risque : L'entreprise sociale est avant tout une initiative entrepreneuriale. Cela suppose investir des ressources dans un environnement risqué en vue de réaliser des résultats.
• La vocation sociale : L'entreprise sociale oeuvre pour réaliser une finalité sociale. Cela conditionne son fonctionnement et fait d'elle un réel outil du développement inclusif.
• Le modèle économique de rentabilité : L'entreprise sociale est appelée, pour assurer sa pérennisation, à rentabiliser globalement ses investissements. Elle opère selon des modes d'intervention qui mettent la rentabilité et l’efficience au coeur de son action. Elle ressemble en cela à l'entreprise privée conventionnelle.
• Le mode de gouvernance basé sur la participation égalitaire : L'entreprise sociale ne privilégie pas la détention du capital. Son mode décisionnel attribue une voix à chaque intervenant. Le détenteur du capital peut détenir une grosse partie de l'entreprise sans pour autant avoir de privilège au niveau de la prise de décision : une voix une personne.
• L'affectation d'au moins 50% des résultats à l'objectif social : L'entreprise sociale n'est pas au service du capital. Ses résultats ne peuvent pas servir ses «actionnaires».
Propos recueillis par Imane Bouhrara