À Marrakech, la 49ème Assemblée générale de la Fanaf a mis en lumière les défis et ambitions d’un secteur assurantiel africain en quête d’inclusion et d’innovation. Avec un taux de pénétration qui peine à dépasser 3,5% en moyenne sur le continent, l’assurance reste encore un luxe pour une large partie de la population en Afrique.
Par Y. Seddik
Marrakech s'impose, le temps d’une semaine, comme l’épicentre des réflexions stratégiques sur l’assurance en Afrique. La 49ème Assemblée générale de la Fanaf (Fédération des sociétés d’assurances de droit national africaines), organisée sous le haut patronage du Roi Mohammed VI, a mis en exergue les défis et opportunités d’un secteur en quête d’innovation et d’inclusion. Au centre des discussions, le rôle du Maroc en tant que catalyseur de croissance et laboratoire de solutions pour le continent.
Dès l’ouverture des travaux, la ministre de l'Économie et des Finances, Nadia Fettah, a réaffirmé l’ambition marocaine d’accompagner le développement d’un secteur assurantiel africain plus robuste et inclusif. À travers une stratégie nationale d’inclusion financière, le Royaume entend élargir l’accès aux services financiers pour toutes les catégories de la population, un engagement qui entrera dans sa deuxième phase en 2025. Cette approche se veut pragmatique : il ne s’agit plus uniquement d’encourager l’adoption des produits d’assurance, mais de structurer un écosystème intégré où l’offre répond véritablement aux besoins des populations.
L’inclusion financière est, selon Fettah, un levier essentiel pour garantir la stabilité économique et sociale. Son importance a été démontrée lors du séisme d’Al Haouz, où le régime marocain de couverture des événements catastrophiques, instauré en 2020, a prouvé son efficacité. Ce dispositif, combinant une couverture assurantielle pour les titulaires de contrats et un système allocataire fondé sur la solidarité nationale pour les non-assurés, constitue une référence en matière de financement des risques climatiques.
Dans un continent où les catastrophes naturelles et les chocs économiques fragilisent les équilibres sociaux, cette approche pourrait inspirer d’autres initiatives. L’Afrique doit en effet relever plusieurs défis structurels : un taux de pénétration de l’assurance encore faible (3,5%), une offre souvent inadaptée aux réalités locales et une méconnaissance des produits assurantiels par une large partie des populations.
Comme l’a souligné César Ekomie-Afene, président de la Fanaf, l’industrie est appelée à davantage d’innovation pour répondre aux attentes pressantes des parties prenantes.
Digitalisation, micro-assurance et risques émergents
Justement, l'innovation et la digitalisation apparaissent comme des leviers incontournables pour accélérer l'inclusion assurantielle. Plusieurs pays africains, à l’instar du Kenya et de la Tanzanie, ont démontré qu’en adaptant les produits d’assurance aux usages mobiles et en misant sur des campagnes de sensibilisation ciblées, il est possible de transformer la perception du secteur et d’accroître son adoption. Mohamed Bensalah, président de la Fédération marocaine de l’assurance (FMA), a insisté sur la nécessité d’intégrer la micro-assurance comme un axe stratégique prioritaire.
«L’assurance ne doit plus être un produit réservé à une élite. Son accès doit être élargi aux populations les plus vulnérables, car leur protection économique est essentielle à la stabilité du continent», a-t-il affirmé. Une vision qui s’accompagne d’une proposition forte : l’instauration de couvertures obligatoires sur certains segments, comme la «multirisque habitation» ou la «responsabilité civile professionnelle» pour les secteurs à risques. Mais au-delà de l’inclusion, le secteur doit aussi anticiper de nouveaux périls. Parmi eux, la montée en puissance des cyber-risques constitue une menace majeure pour les économies africaines.
D’après un rapport d’Orange Cyberdéfense, les cyberattaques pourraient entraîner une perte de 10% du PIB du continent. Face à cette réalité, les assureurs africains sont appelés à développer des solutions adaptées, en partenariat avec les grands réassureurs internationaux. Si l’innovation et la diversification des produits sont cruciales, elles ne peuvent porter leurs fruits sans un cadre réglementaire solide. Abderrahim Chaffai, président de l’Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS), a insisté sur la nécessité d’une régulation adaptée pour accompagner ces mutations.
«Une régulation appropriée, une innovation soutenue et une collaboration renforcée entre assureurs et régulateurs sont essentielles pour bâtir un marché africain de l’assurance durable et inclusif», a-t-il déclaré. Une impulsion, mais quel moteur pour la suite ? Durant cette assemblée, un consensus s’est dégagé: l’Afrique doit accélérer sa transformation assurantielle, sous peine de voir son développement freiné par des risques mal couverts et une inclusion financière inachevée. Pourtant, si les ambitions sont affichées, la mécanique du changement reste encore hésitante.
Le Maroc, en fer de lance de cette dynamique, a montré la voie avec des dispositifs éprouvés et une volonté politique claire. Mais suffit-il d’un catalyseur pour déclencher un mouvement d’ensemble ? L’enjeu ne sera pas tant de multiplier les engagements que de synchroniser les actions, d’aligner les régulateurs et les acteurs privés sur une même trajectoire. L’assurance en Afrique est à un carrefour : soit elle continue de progresser par à-coups, entre bonnes intentions et mises en œuvre tardives, soit elle embrasse une transformation systémique, où innovation et régulation avancent de concert. Entre la promesse et la concrétisation, la route est encore longue mais la ligne d’arrivée ne sera pas franchie en solitaire.