La semaine dernière, la Bourse de Casablanca a ouvert son capital à de nouveaux entrants.
Les banques deviennent plus présentes dans le tour de table, les assurances prennent une participation de 11% et Casablanca Finance City fait son apparition dans le capital. Outre l'institutionnalisation importante du capital de la Bourse, certains aspects dans ce deal complexe laissent présager d'un avenir rayonnant pour la Bourse de Casablanca. Détails.
Boussaid l'a promis, Boussaid l'a fait. Naïf celui qui pense que cela était aussi simple que de mettre une lettre à la poste. Car, il fallait mettre tout le monde d'accord, aussi bien sur la répartition du capital que celle du Conseil d'administration ou encore en ce qui concerne les réserves de la Bourse de Casablanca. Au final, un compromis arraché quasiment à la dernière minute, puisque les négociations se poursuivaient devant les caméras venues couvrir l'évènement en masse, a permis de résoudre joliment cette équation à plusieurs variables. D'abord, concernant le capital, il sera détenu à hauteur de 39% par les banques, 11% par les assurances, 5% par CFCA, 20% par les sociétés de Bourse et 25% par le groupe CDG. La participation de CDG sera ramenée à 5% au profit d'un investisseur industriel étranger, sans doute la Bourse de Londres avec laquelle les entreprises de marché marocaines (Bourse et Maroclear) collaborent étroitement. Mais aucun calendrier n'a été avancé là-dessus. Autrement, ç'aurait été un sans-faute. Quant aux réserves, elles seront distribuées aux sociétés de Bourse à hauteur du tiers, le deuxième tiers ira au Budget de l'Etat et le dernier restera en réserves, bien au chaud, au sein de la Bourse de Casablanca.
Enfin, le Conseil d'administration sera revu en conséquence avec l'apparition d'administrateurs indépendants et un pouvoir clairement mis entre les mains des trois majors marocains que sont BMCE Bank of Africa, Attijariwafa bank et le Groupe Banque Populaire, qui auront 3 sièges au Conseil, alors que toutes les autres banques en auront un seul. Les sociétés de Bourse indépendantes auront 2 sièges, la CDG 2, les assurances et CFCA 1 siège chacun. Signalons enfin que la société gestionnaire sera transformée en une holding. En plus de gérer le marché au comptant, elle prendra une participation dans de nouvelles institutions de marché qui seront créées prochainement. Il s'agit de la société gestionnaire du marché à terme et de la chambre de compensation. La Bourse aura des participations majoritaires dans ces entreprises, ce qui écarte l'hypothèse d'une tutelle de la part de Maroclear.
Taillée pour grandir
La Bourse de Casablanca ne sera plus, à partir de janvier 2016, une entreprise «régalienne», dont l'objectif est de veiller au bon déroulement des séances de cotation. Sa transformation en holding, et surtout, la quasi-mainmise des trois premières banques marocaines sur son capital laissent présager qu'elle deviendra, à terme, un ogre financier avec des prises de participation dans d'autres Bourses de la région, en s'appuyant sur ses actionnaires présents en Afrique et sur Casablanca Finance City qui, malgré une participation relativement faible dans le capital (5%), aura un siège dans le Conseil, soit l'équivalent de 7 banques. Mais ce n'est pas tout, l'histoire des Bourses montre que celle de Casablanca ne fait que suivre un chemin tracé par le passé et emprunté par toutes les Bourses crédibles dans ce monde. En effet, une étude, quelque peu visionnaire, de l'OCDE publiée fin 2014 et intitulée «Bourses en zone Mena : faut-il vraiment aller vers la démutualisation ?», explique que toutes les Bourses modernes étaient au départ détenues par les courtiers avant d'ouvrir leur capital, pour ensuite devenir complètement libéralisées et à but purement lucratif. Lors de l'élaboration de cette étude, l'OCDE évoquait la démutualisation de la Bourse de Casablanca comme un souhait des autorités, faisant du Maroc et du Koweït les plus avancés en matière de réflexion à ce sujet, devant des Bourses bien plus développées comme celle de l'Egypte. Toujours selon l'étude, aucune Bourse dans le monde n'a regretté ce choix. «La démutualisation apporte une flexibilité opérationnelle et une ouverture plus simple sur l'environnement international. Ensuite, lorsque les actionnaires ouvrent le capital au public, cela se traduit par une multiplication de produits pour rentabiliser cette désormais entreprise privée qu'est la Bourse», peut-on lire dans ce rapport. D'ailleurs, la plus grande Bourse au monde, le NyseEuronext, est une entreprise cotée en Bourse, et c'est loin d'être une exception. Ainsi, et selon les traces laissées par ce nouveau schéma et les expériences passées, tout porte à croire que lorsqu'un investisseur étranger entrera dans le capital, de nouvelles perspectives s'offriront à la Bourse, dont une plus grande ouverture de son capital au public.
La démutualisation ne résout pas le problème de liquidités
Karim Hajji, DG de la Bourse, a pris la parole en premier, lors de la cérémonie d'ouverture du capital de la Bourse. Son discours était, à notre sens, un plaidoyer contre l'activité des institutionnels sur le marché. Profitant de la présence de la presse et des différents présidents de banques, de sociétés de gestion et de SDB, Hajji a, en effet, déploré le classement du Maroc à la cinquième place africaine en termes de liquidités, alors qu'il est classé troisième par sa capitalisation. «Nous avons peu d'entreprises en Bourse et beaucoup d'institutionnels.
Je profite de votre présence pour rappeler à vous tous que le problème de liquidités qui en découle entrave le développement potentiel du marché, mais aussi de l'économie ». Toujours selon Hajji, «une Bourse liquide engendre jusqu'à 2 points de croissance additionnels ». Et si Hajji en parle de la sorte, c'est parce qu'il a en tête l'expérience du Luxembourg où le marché local est une véritable Bourse de listing, qui ne sert qu'à valoriser les entreprises aux prix du marché au profit des fonds d'investissement. Un exemple qu'il cite souvent d'ailleurs.
Le problème est que l'ouverture du capital de la Bourse n'apporte nullement une solution à cette problématique à court terme. Difficile en effet d'imposer aux institutionnels d'être plus actifs. Il faudra attendre le développement de nouveaux produits, puisque selon le ministre de l’Economie et des Finances, Mohamed Boussaid, «chercher du papier frais à tout prix n'est pas une solution. Liquidité rime avec crédibilité».
Adil Hlimi