Bourse & Finances

Tous les articles

Cryptoactifs : «Le Maroc tourne la page de l’interdiction pour entrer dans l’ère de la régulation»

Cryptoactifs : «Le Maroc tourne la page de l’interdiction pour entrer dans l’ère de la régulation»

Après des années d’hésitation, le Maroc s’engage sur la voie de la régulation des cryptoactifs, un marché jeune mais impossible à ignorer. Entretien avec Badr Bellaj, expert en Blockchain et cryptomonnaies et cofondateur de «Mchain».

 

Propos recueillis par Y. Seddik

Finances News Hebdo : Pourquoi le Maroc a-t-il jugé nécessaire de se doter aujourd’hui d’un cadre légal pour les cryptoactifs, et quels risques ce texte cherche-t-il à encadrer ?

Badr Bellaj : Pour plusieurs raisons. D’abord, l’adoption croissante des cryptoactifs par les Marocains. Le pays compte une population jeune, très exposée aux nouvelles technologies. Des études indépendantes, notamment de Chainalysis, estiment qu’entre 2023 et 2024, près de 12,7 milliards de dollars d’échanges de cryptoactifs ont eu lieu au Maroc, qui se classe 24ème au niveau mondial (il était 20ème quelques années auparavant). Autrement dit, il existe une activité crypto bien réelle, même si sa taille exacte peut être débattue. Les autorités ont constaté que l’interdiction de facto- plus proche d’une mise en garde qu’une prohibition totale- n’a pas donné de résultats. Elle a même eu un effet pervers : la création d’un marché noir informel. Deuxième facteur : le changement de posture à l’échelle internationale. De nombreuses autorités, autrefois hostiles, adoptent aujourd’hui une approche d’inclusion et de régulation.

L’Europe, par exemple, a mis en place le règlement MICA (Markets in crypto-assets), qui inspire fortement le texte marocain. On peut dire que cette loi est en quelque sorte une «MICA marocaine», en version miniaturisée. Enfin, il y a les recommandations d’instances internationales, notamment le GAFI (Groupe d’action financière). La recommandation n°15 demande aux pays d’évaluer les risques de blanchiment liés aux actifs numériques et de soumettre les prestataires à un agrément et une supervision. Ce sont des principes repris dans le texte marocain. En résumé, cette loi vise à renforcer l’intégrité des marchés, à lutter contre la fraude, le blanchiment et le financement du terrorisme, à préserver la stabilité financière, et à protéger les consommateurs.

 

F. N. H. : En quoi ce projet de loi pourrait-il changer la perception des cryptoactifs au Maroc, longtemps associés à l’informel ou à des usages non régulés ?

B. B. : C’est avant tout un changement de position officielle. Avec ce texte, l’État reconnaît les cryptoactifs comme des actifs financiers légaux. Cela bouleverse la perception dominante qui les associait à la marginalité ou à la fraude. La loi encadrera précisément comment acheter, vendre, détenir ou transférer des cryptoactifs. Cela donnera confiance à une partie des Marocains (particuliers comme entreprises) qui restaient en retrait faute de cadre clair. Cette clarification juridique pourrait alors accélérer l’adoption des cryptos et stimuler l’innovation financière, notamment dans les domaines des paiements ou des transferts transfrontaliers, où la demande est forte.

 

F. N. H. : Peut-on dire que le Maroc s’aligne sur les standards internationaux en matière de crypto-régulation ?

B. B. : Oui, tout à fait. Le Maroc s’aligne sur les recommandations du GAFI, notamment la recommandation n°15, qui impose l’agrément et la surveillance des opérateurs de cryptoactifs, ainsi que la mise en œuvre de règles contre la fraude et le financement du terrorisme. Le texte introduit aussi la «Travel Rule», qui oblige à tracer les transferts entre prestataires de services crypto, comme cela se fait déjà en Europe ou aux ÉtatsUnis. Par ailleurs, la loi s’inspire directement du règlement MICA européen, dont certaines dispositions ont été reprises quasi mot pour mot.

 

F. N. H. : En quoi l’approche marocaine se distingue-telle de celle d’autres pays ?

B. B. : Le Maroc reprend largement l’approche européenne, mais avec quelques adaptations. D’abord, il refuse de considérer les cryptoactifs comme moyens de paiement. Contrairement à l’Europe, il n’existe donc pas au Maroc de catégorie de «jetons de paiement». Ensuite, le texte ne fait pas de distinction entre les portefeuilles privés (auto-hébergés) et ceux des plateformes, alors que c’est le cas dans l’Union européenne. Le projet marocain reste aussi plus généraliste : il ne traite pas en détail des stablecoins, contrairement aux États-Unis ou à l’Europe. Les Américains, par exemple, encouragent l’usage des stablecoins comme monnaies quasi officielles; une approche jugée trop audacieuse pour le Maroc. Enfin, contrairement au Royaume-Uni ou au Canada, aucun plafond de détention en crypto n’a été introduit. En somme, on peut dire que le Maroc s’inspire des meilleures pratiques internationales, tout en adaptant la régulation à sa propre réalité économique et technologique.

 

 

 

Articles qui pourraient vous intéresser

Jeudi 13 Novembre 2025

Industrie : l'activité s'améliore en septembre 2025

Jeudi 13 Novembre 2025

Cash Plus : les analystes à l’achat

Jeudi 13 Novembre 2025

Aéroports 2030 : l’ONDA renforce ses infrastructures de contrôle aérien

Jeudi 13 Novembre 2025

Cryptoactifs : le Maroc passe du «no man’s land» à un marché régulé

L’Actu en continu

Hors-séries & Spéciaux