Un pas après l’autre, le Maroc avance dans l’intégration du crowdfunding comme levier alternatif de financement des projets. Après l’entrée en vigueur de la réglementation encadrant le secteur, qu’en est-il aujourd’hui ? Entretien avec Sofiane Gadrim, directeur des nouvelles technologies (CTO) et co-fondateur d’Atela.
Propos recueillis par D. M.
Finances News Hebdo : Après la mise en place de la réglementation du Crowdfunding au Maroc, la publication des circulaires d’application par Bank Al-Maghrib et aussi le lancement du portail spécifique d’accompagnement des acteurs de crowdfunding par l’AMMC pour l’obtention d’agréments, comment se comporte aujourd’hui l’écosystème autour de ce mode de financement alternatif ?
Sofiane Gadrim : Le crowdfunding au Maroc montre des signes encourageants grâce aux nouvelles réglementations et au soutien institutionnel. Toutefois, nous en sommes encore aux premières étapes avec de nombreux défis à surmonter. Avant l'introduction du cadre réglementaire, les plateformes fonctionnaient dans un environnement flou, limitant leur développement et la confiance des investisseurs. Prenons l'exemple d'une startup marocaine développant une application d'éducation numérique. Avant la réglementation, l'accès au financement était difficile. Désormais, cette startup peut lever des fonds directement auprès de particuliers intéressés par l'éducation et la technologie, ce qui pourrait améliorer l'accès à l'éducation numérique dans les régions moins desservies. Pour le moment, les plateformes de crowdfunding marocaines se concentrent principalement sur des projets à vocation sociale. Les outils pour l'investissement direct, la prise de participation en capital ou les prêts nécessitent encore du développement. Les défis incluent la sensibilisation du public, l'augmentation de la confiance des investisseurs et le renforcement des infrastructures numériques et réglementaires. Le crowdfunding au Maroc est encore à ses débuts et n'offre pas encore la diversité des options disponibles ailleurs. C'est un bon début, mais il est crucial de continuer à développer et adapter cet outil pour qu'il devienne une partie intégrante du financement entrepreneurial au Maroc.
F.N.H. : Avant l’entrée en vigueur de la loi 15-18 ainsi que des différents textes et circulaires d’application, il existait des plateformes qui opéraient déjà dans ce domaine du financement participatif. Selon vous, ce dispositif d’encadrement facilite-t-il la vie de ces plateformes ?
S. G. : Les plateformes de crowdfunding bénéficient maintenant d'un cadre légal sécurisant leurs opérations et structurant le marché. Elles peuvent désormais opérer sereinement, rassurant investisseurs et donateurs sur la protection de leurs fonds. Bien sûr, le cadre actuel doit être ajusté en fonction des retours des acteurs du marché. En France, par exemple, des ajustements ont été nécessaires après la mise en place des lois sur le crowdfunding pour mieux répondre aux besoins des plateformes et des investisseurs. Le développement des outils d'investissement direct, de prise de participation en capital et de prêt reste crucial pour maximiser le potentiel du crowdfunding. En somme, cette loi a jeté les bases d'un écosystème de crowdfunding structuré au Maroc. C'est une avancée significative, mais il est essentiel de rester pragmatique et d'ajuster continuellement le cadre légal pour assurer un développement durable et inclusif.
F.N.H. : Quel serait l’impact socioéconomique d’une ouverture plus large du crowfunding au Maroc ?
S. G. : L'ouverture du crowdfunding au Maroc pourrait avoir un impact positif sur le paysage socioéconomique du pays. En démocratisant l'accès au financement participatif, le crowdfunding permettrait à de nombreux entrepreneurs de concrétiser leurs idées. Pour les citoyens marocains, devenir investisseurs dans des projets locaux et innovants pourrait diversifier leurs revenus et renforcer leur engagement communautaire. Par exemple, un artisan à Agadir, qui voudrait commencer à investir sans avoir un gros capital au début, pourrait investir dans une entreprise de technologie verte locale, lui permettant potentiellement de générer des revenus supplémentaires et contribuer à des initiatives durables. En 2023, plus de 2 milliards d'euros ont été collectés sur les plateformes de financement participatif à travers le monde. Le Maroc pourrait suivre cette tendance. Actuellement, les plateformes marocaines sont plus orientées vers des cagnottes en ligne plutôt que des investissements directs, des participations en capital, ou des prêts dynamiques qui stimuleraient l'économie et soutiendraient les entreprises et les nouvelles idées. Pour réaliser le potentiel économique complet du crowdfunding, il faut élargir les offres disponibles et assurer la sécurité et la transparence des transactions. Les plateformes doivent également monter en gamme techniquement pour devenir plus attractives et accessibles, offrant une interface utilisateur intuitive et garantissant la sécurité des données. De plus, il est crucial que les startups marocaines voient le crowdfunding comme une méthode de financement viable. Cela nécessite une meilleure communication et une sensibilisation accrue.
F.N.H. : Très récemment, Bank Al-Maghrib a accordé 3 agréments à des plateformes marocaines de crowdfunding. Quels sont les risques qui existent dans la pratique de ce mode de financement, tant pour les contributeurs/investisseurs que pour le porteur de projet ?
S. G. : Le crowdfunding au Maroc présente plusieurs risques qu'il est crucial de gérer pour protéger les investisseurs et assurer la viabilité du modèle. La fraude et les arnaques sont des dangers majeurs, avec des projets fictifs pouvant détourner les fonds collectés. Un seul scandale pourrait suffire à éroder la confiance des investisseurs. Les risques technologiques sont également importants. Les plateformes doivent être robustes pour éviter les pannes et les failles de sécurité. La protection des données des utilisateurs est essentielle, car une violation pourrait nuire à la réputation de la plateforme. Les cyberattaques sont de plus en plus sophistiquées, et les plateformes doivent améliorer leurs systèmes de sécurité. Un autre risque est celui de la nonréalisation des projets. Certains projets peuvent échouer, laissant les investisseurs sans retour sur investissement. La transparence et la communication sont essentielles pour maintenir la confiance des investisseurs. Les risques de scams et l'utilisation abusive de l'intelligence artificielle ajoutent une couche de complexité. L'IA peut générer de faux projets ou manipuler les investisseurs, rendant la détection plus difficile. Les plateformes doivent mettre en place des mécanismes avancés de détection et de prévention. La protection des consommateurs doit être une priorité. Les régulateurs doivent garantir que les plateformes suivent des normes strictes de transparence et de sécurité, avec des audits réguliers et des mécanismes de recours efficaces.
F.N.H. : Quels sont les critères de due diligence mis en place pour permettre aux plateformes de crowdfunding d’évaluer la fiabilité et la viabilité des projets inscrits pour une demande de financement participatif ?
S. G. : Pour opérer efficacement, les plateformes de crowdfunding au Maroc doivent adopter des critères de due diligence rigoureux. Cela garantit la fiabilité des projets, mais ce processus est complexe et coûteux. L'analyse des plans d'affaires nécessite des analystes qualifiés, représentant un investissement significatif. Vérifier la crédibilité et l'expérience des équipes fondatrices demande du temps et des ressources, impliquant souvent des recherches approfondies. Les projections financières doivent être scrutées avec soin, nécessitant des compétences en analyse financière et des outils technologiques robustes. Assurer la conformité légale et réglementaire des projets est également complexe, impliquant souvent des consultations avec des experts juridiques. Tout ce processus doit être soutenu par une technologie robuste. Les plateformes doivent investir dans des systèmes de gestion de données sécurisés et efficaces. Bien que coûteux, cet investissement est indispensable pour garantir la crédibilité des projets et la protection des investisseurs.
F.N.H. : Comment les régulateurs peuvent-ils garantir l’équilibre entre l’impératif de développement de l’industrie du crowfunding et l’encadrement légal pour la protection des acteurs ?
S. G. : Pour équilibrer le développement du crowdfunding et la protection des acteurs au Maroc, une approche pragmatique et flexible est essentielle. Les régulateurs doivent instaurer des normes de transparence et de responsabilité, tout en évitant des contraintes excessives. Les plateformes doivent être soumises à des audits réguliers et à des exigences strictes de divulgation d'informations. Toutefois, il faut laisser de la place à l'expérimentation et à l'adaptation des modèles économiques. Un dialogue constant entre les régulateurs, les plateformes et les investisseurs est nécessaire pour ajuster les règles en fonction des évolutions du marché. En parallèle, développer des programmes de formation pour sensibiliser les entrepreneurs et les investisseurs aux bonnes pratiques du crowdfunding est nécessaire. Cela aidera à construire un écosystème solide où la confiance est maintenue et où les projets peuvent prospérer.
F.N.H. : Quelles mesures d’adaptation peuvent être prises pour rendre cette pratique plus accessible et en faire un véritable levier pour l’entrepreneuriat et pour le développement économique du Maroc ?
S. G. : Pour que le crowdfunding devienne un levier pour l'entrepreneuriat et le développement économique au Maroc, plusieurs mesures sont nécessaires. Tout d'abord, il faut renforcer la sensibilisation et l'éducation autour du crowdfunding. Des campagnes de communication et des programmes de formation doivent informer les entrepreneurs et les investisseurs des avantages et des risques. Ensuite, simplifier les procédures d'agrément pour les nouvelles plateformes est essentiel. Réduire les coûts et les formalités administratives facilitera l'entrée de nouveaux acteurs sur le marché. Le développement technologique des plateformes est également important. Elles doivent offrir une expérience utilisateur intuitive, être disponibles sur plusieurs supports, que cela soit web et mobile, et garantir la sécurité des données. Encourager les partenariats public-privé peut aussi jouer un rôle déterminant. Les autorités à l’échelle des localités peuvent collaborer avec des plateformes de crowdfunding pour financer des projets d'infrastructure communautaire et ciblés. Ces initiatives peuvent transformer les communautés locales et stimuler l’économie. En conclusion, rendre le crowdfunding plus accessible et efficace au Maroc nécessite une combinaison d'éducation, de simplification administrative, d'innovation technologique et de collaboration stratégique. Avec ces mesures, le Maroc peut créer un environnement propice où le crowdfunding prospère, soutenant ainsi la croissance économique et l'innovation.