Fraîchement introduite en Bourse et portée par 81.000 souscripteurs, Cash Plus arrive sur le marché coté sans changer de cap : s’appuyer sur un réseau physique massif, une technologie développée en interne et un positionnement de «supermarché des services» pour accélérer l’inclusion financière et capter le potentiel du paiement mobile. Son PDG, Nabil Amar, a détaillé au Salon de l’épargne une trajectoire de croissance qui reste très offensive.
Cash Plus a rejoint la Bourse de Casablanca au moment où son nom est déjà connu de quasiment tous les ménages marocains. Mais derrière l’image d’un simple opérateur de transfert d’argent, le groupe revendique un profil de fintech à part entière, bâtie sur un réseau d’agences franchisées, une forte capacité d’exécution technologique et un rôle de plus en plus central dans les flux financiers du quotidien.
L’entreprise rappelle d’abord son histoire : une petite structure familiale créée en 2004, transformée en profondeur à partir de 2015 avec l’entrée d’un fonds d’investissement et une refonte complète du management, des process et des systèmes.
Cash Plus se définit désormais comme «une fintech de services financiers», opérant via une plateforme technologique capable de gérer un réseau dense, de multiples connectivités partenaires et un catalogue d’environ 150 services dans chaque point de vente. Le cœur du modèle repose sur le réseau. Cash Plus compte environ 5.000 points de vente, dont plus des deux tiers en franchise, soit quelque 3.500 entrepreneurs qui investissent dans les locaux, le fonds de roulement et la marque.
Le franchisé est considéré comme un «premier client» : il accède à la plateforme Cash Plus et est rémunéré en variable, jusqu’à 70-90% de la commission selon les services. L’enjeu est de maximiser la rentabilité du point de vente en diversifiant les services et en générant du flux. Cette logique explique la multiplication des activités : transferts domestiques et internationaux, comptes de paiement, change (avec 225 agences agréées), services non financiers, messagerie express et, surtout, traitement de flux pour le compte de tiers.
Cash Plus est devenu un opérateur clé pour l’État : inscription et versement dans le cadre de la généralisation de la protection sociale, distribution d’aides sociales et d’indemnités, gestion de programmes publics. Sur les 3,6 millions de familles bénéficiaires d’aides sociales directes, environ 1,5 million sont payées via Cash Plus, soit près de 45% des flux. Le corporate est l’autre pilier discret du modèle.
Assureurs, sociétés de construction, entreprises d’intérim ou du monde agricole utilisent la plateforme pour verser des indemnités, des remboursements ou des salaires à des populations souvent peu bancarisées.
Cash Plus se positionne ainsi comme un intermédiaire de paiement de masse, capable de couvrir des zones où le réseau bancaire recule, notamment en rural. Cet ancrage périphérique crée aussi une contrainte logistique et financière - gestion du cash, distances, accès aux agences bancaires - que la société compte traiter en partie avec les fonds levés en Bourse. Sur les 750 MDH de l’opération, 400 MDH sont consacrés à une augmentation de capital.
Les fonds propres atteignent environ 600 MDH, après une précédente levée de 600 MDH, dont 200 MDH d’augmentation de capital. L’objectif est double : densifier encore la présence dans les zones rurales, en subventionnant si besoin certains points de vente pour les maintenir dans des localités isolées, et investir dans la technologie. Cash Plus traite environ 400 millions d’opérations par an, avec des pics spectaculaires: le 1er novembre, par exemple, 2 millions d’opérations ont été enregistrées sur les wallets en une seule journée, avec près de 600.000 clients venus retirer immédiatement les montants reçus.
C’est précisément là que se joue le prochain virage stratégique : le paiement mobile et la monétisation de cette base. L’entreprise compte environ 2 millions de clients qui reçoivent tous les mois plus de 500 dirhams sur leurs comptes avant de tout retirer en cash. Le projet est de les convertir progressivement en utilisateurs de moyens de paiement électroniques - wallet et carte - et d’équiper en parallèle les commerçants avec des solutions d’acceptation.
Pour lever le frein psychologique et fiscal du commerce de proximité (traçabilité, facturation, ICE), Cash Plus envisage d’instaurer un moratoire sur les frais, côté marchand : pas de commission, pas de facturation, donc pas de rupture brutale avec les pratiques actuelles. L’idée est de laisser le temps au commerçant de constater un gain de clientèle et de confort, avant d’introduire plus tard une tarification et une formalisation mieux acceptées.
C’est une stratégie d’amorçage ambitieuse, mais soutenue par la taille du réseau et une base de clientèle déjà massive. Sur le digital, le groupe affiche une cible claire à l’horizon 2030 : faire passer la contribution des canaux numériques, aujourd’hui de l’ordre de 15% du chiffre d’affaires (environ 250-300 MDH sur 1,8 Md de produits de commissions), à près de 50%. L’objectif est donc de rééquilibrer progressivement le modèle entre le réseau physique et les wallets, sans renoncer au rôle central des agences pour l’acquisition et le cross-selling.
Financièrement, Cash Plus prévoit de clôturer 2025 autour de 1,8 Md de DH de produits de commissions et 240 MDH de résultat net, soit une croissance d’environ 18-19% sur l’activité et 20-25% sur le bénéfice par rapport à 2024. Le management insiste sur un point qui parlera aux épargnants: l’activité est peu consommatrice de capital. L’endettement est très limité, les besoins portent surtout sur le fonds de roulement intra journalier pour absorber les décalages entre paiements aux clients et règlements par les partenaires.
Dans ce contexte, la levée de capital sert à financer la croissance sans remettre en cause la politique de dividende. Historiquement, Cash Plus a distribué 100% de son résultat à ses actionnaires, et Nabil Amar répète ne voir «aucune raison» de changer ce schéma, les nouveaux fonds devant précisément éviter d’arbitrer entre expansion et distribution. Pour les 81.000 nouveaux actionnaires, le message est donc double : le groupe se positionne sur des relais de croissance puissants - inclusion financière, paiements de masse, mobile payment, services aux corporates, messagerie, éventuels produits d’épargne en partenariat -, tout en affichant une volonté de continuité sur la rémunération du capital.
Pour la Bourse de Casablanca, Cash Plus illustre une autre facette de la dynamique IPO actuelle : celle d’acteurs hybrides, à michemin entre la finance, la tech et la logistique, qui construisent leur croissance sur le terrain, au contact direct de populations peu ou pas bancarisées. Un terrain où se jouera une bonne partie de la vraie inclusion financière des prochaines années.