Cela fait huit années que Karim Hajji a troqué sa tunique de président Directeur général de la banque d’investissement Atlas Capital Groupe, qu’il a créée en 1999, pour celle de Directeur général de la Bourse de Casablanca. Passer de la finance d’entreprise et la gestion d’actifs au marché boursier était une suite logique à sa carrière.
Une carrière durant laquelle il a eu à accéder à de hauts niveaux de responsabilité, fort de son riche cursus universitaire. En effet, ce titulaire d’un MBA de l’Université de New- York, diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et titulaire d’un Master dans les marchés des capitaux de l’Université Paris- IX Dauphine, a roulé sa bosse durant huit années à l’international, notamment à Eli Lilly & Co aux Etats-Unis, ensuite en Italie et en Suisse. Il intégrera par la suite le Groupe ONA en 1990 en tant que conseiller du président, avant d’être nommé Directeur général de la Monégasque, filiale du holding spécialisée dans la semi-conserve d’anchois, puis directeur financier de l’ONA en 1994.
Son acquis professionnel et son expertise légitimaient ainsi largement le fait que Hajji soit nommé patron de la Bourse de Casablanca en 2009. Il n’était pas en terrain inconnu. Et il nourrissait, et nourrit toujours d’ailleurs, beaucoup d’ambitions pour la place casablancaise.
Huit ans après, a-t-il bien fait les choses ? Celui qui est, entre autres, membre de Global Board of Advisors, de la Fondation «Opération Hope» depuis 2011, et vice-président de l'Association des Bourses africaines a-t-il surtout répondu aux attentes des différents intervenants du marché ?
Le temps qui passe
Karim Hajji n’a pas fait ses études supérieures en Espagne (sic !). Car, là-bas, il aurait certainement eu connaissance du célèbre proverbe espagnol qui dit : «Pour le bien, l'action est plus que l'intention; pour le mal, l'intention est plus que l'action». A son arrivée à la tête de la Bourse, Hajji était bardé de bonnes intentions. Mais il s’est trouvé confronté à deux réalités dont il n’avait certainement pas bien mesuré la profondeur :
• Primo : les investisseurs n’avaient plus foi en la Bourse. Cette crise de confiance se traduisait par un marché atone, sans relief et boudé par les investisseurs.
Paradoxalement, en 2009, comme le soulignaient d’ailleurs les analyses de l’époque, les niveaux de valorisation à la Bourse de Casablanca étaient dix fois plus attrayants que ceux de la Bourse du Caire et douze fois plus que ceux de la Bourse de Tunis. Cette dernière avait bouclé l’exercice 2009 sur une performance de 40%, alors que la place casablancaise perdait 4,9%, après s’être effrité de 13,3% en 2008.
Pis encore, malgré la panoplie de mesures fiscales incitatives destinées aux entreprises potentiellement cotables, l’année 2009 s’est soldée par zéro introduction en Bourse.
Il fallait donc regagner la confiance des investisseurs et redonner du crédit à un marché gangrené par les compromis suspects, les transactions douteuses et autres suspicions de délits d’initié, qui avaient d’ailleurs valu à une société de Bourse de la place une amende de 10 MDH.
Mais la confiance ne se décrète pas, elle se gagne. Et la crédibilité d’un marché boursier s’accommode mal de la compromission et des entorses à l’éthique et à la déontologie. Il a donc fallu beaucoup de temps pour voir la Bourse reprendre des couleurs et susciter l’intérêt des investisseurs.
• Secundo : Karim Hajji a découvert, à ses dépens manifestement, que ses ambitions légitimes de réformes et de modernisation de la place sont otages… du temps politique. Il n’a pas toutes les cartes en main. Car les longs délais relatifs à l’adoption des textes de loi minent son action et nuisent à la fluidité des affaires. Cette rigidité du cadre réglementaire et législatif justifie aujourd’hui, le manque de profondeur du marché financier. Si bien que certaines réformes préconisées (marché à terme, chambre de compensation…) tardent cruellement à se mettre en place, quand bien même certaines initiatives ont été prises, à l’instar du changement du tour de table de la Bourse de Casablanca.
Résumons : tout au long de ces années à la tête de la Bourse de Casablanca, Karim Hajji aura eu successivement à faire face à un marché en perte cruelle de confiance, une concurrence malsaine entre conseillers financiers, qui a conduit à une survalorisation excessive de plusieurs sociétés cotées, et à essayer de développer le marché boursier tout en s’accommodant du temps politique. Cela explique certainement pourquoi l’un des principaux objectifs qu’il s’était fixé à l’horizon 2015 semble, aujourd’hui, être une simple clause de style: avoir 150 sociétés cotées pour 500.000 investisseurs. Le marché ne compte actuellement que 74 entreprises cotées.
Malgré ce pari manqué, il aura réussi de bons coups. Son plus joli coup de maître reste sans aucun doute le Programme Elite, qui scelle encore davantage le partenariat stratégique entre la Bourse de Casablanca et London Stock Exchange. En cela, c’est un truisme de dire que les ambitions de Hajji pour la place casablancaise, à laquelle il a su faire bénéficier de ses nombreuses connexions tant au Maroc qu’à l’étranger, restent intactes. Aura-t- il néanmoins le temps de les concrétiser ? Pas sûr.
Et ce, d’autant qu’il est à la veille de la fin de son mandat. La question est donc de savoir s’il sera reconduit à son poste afin de continuer à accompagner le processus de réformes enclenchées. Va-t-on se «séparer» d’un homme qui a su donner de la visibilité à la Bourse sur les radars internationaux, au moment où, justement, la place casablancaise aspire à être un hub financier régional de référence ?
Il semble par ailleurs utile de rappeler, à ce propos, que l'Association des Bourses africaines, dont il assure la vice-présidence, travaille actuellement sur le projet d'interconnexion des 6 principales Bourses, une initiative qui est soutenue par la Banque africaine de développement. ■
Par D. William