Les banques à capital majoritairement français éprouvent de plus en plus des difficultés à asseoir leur posi-tionnement sur le marché national. Quand certains stigmatisent leur manque d’agressivité commerciale, d’autres mettent en relief la nécessité pour elles de prendre en compte certains paramètres, comme notamment le risque pays. La stratégie de cash pooling initiée par les maisons-mères peut être, également, une contrainte à leur poli-tique de développement.
Les filiales bancaires des groupes français établies au Maroc peinent de plus en plus à s’im-poser sur le marché national, surtout face à la concurrence agressive des banques à capital majoritairement marocain, particulièrement les banques panafricaines (Attijariwafa bank, BMCE Bank et Groupe Banque Populaire). La lecture des réalisations au titre du pre-mier semestre 2015 en témoigne. Crédit du Maroc a certes réussi à maintenir quasiment inchangé son pro-duit net bancaire à 1 Md de dirhams (+0,1%), mais son résultat net a litté-ralement fondu, passant de 184 MDH au premier semestre 2014 à 83 MDH au S1-2015. Avec, en toile de fond, une montée du coût du risque qui passe d’une période à l’autre de 233 à 371 MDH. A fin septembre 2015, les chiffres publiés par la filiale du Crédit Agricole font état d’un produit net bancaire en très légère contraction de 0,8% par rapport à septembre 2014, pour s’établir à 1,57 MDH, tandis que le résultat s’établit à 118 MDH contre 252 MDH un an auparavant. Le coût du risque passe, pour sa part, de 369 à 546 millions de dirhams. Quant à la BMCI, son PNB consolidé a accusé un repli de 1,2% à 1,6 milliard de DH au premier semestre, pour un coût du risque consolidé en augmen-tation de 21,3% à 484 MDH. La filiale du Groupe BNP Paribas réalise, au final, un résultat net part du groupe qui se déprécie de presque 14% à 221 MDH. Enfin, concernant Société Générale Maroc, la seule des trois banques à ne pas être cotée à la Bourse de Casablanca, son PNB au premier semestre 2015 est resté stable à 1,9 Md de DH, avec un gros effort de provi-sionnement : 1,1 Md de DH contre 847 MDH au S1-2014. Ainsi, le résultat net recule de 7,1% à 300 MDH, pour un coût du risque qui passe d’un semestre à l’autre de 613 à 500 MDH. Le constat qui se dégage est que ces trois banques ont en commun le niveau élevé du coût risque, comparé notam-ment aux banques marocaines. «A titre d'exemple, le coût du risque a aug-menté de 21% au niveau de la BMCI, absorbant 57,7% du PNB. Durant le même semestre, le coût du risque d'Attijariwafa Bank a baissé de 25,9%», précise un analyste de la place, pour qui, «probablement, les maisons-mères des banques françaises ont été échau-dées par les déboires de leurs filiales mondiales et ont décidé d'être volonta-ristes dans la couverture des risques». «Globalement, l’année 2015 a été diffi-cile pour le secteur bancaire marocain, si l’on se réfère au marché domestique. Cette situation est due à une conjonc-ture économique difficile et à des situa-tions critiques de certaines entreprises (Samir) ou secteurs (immobilier et BTP). Quand on développe l’analyse et qu’on raisonne en consolidé, on se rend compte néanmoins que les banques marocaines (BMCE, Attijariwafa bank et Banque Populaire) arrivent à tirer leur épingle du jeu», analyse, pour sa part, l’expert-comptable Abdou Diop. Selon lui, «cette situation dichotomique entre les banques marocaines et celles fran-çaises s’explique tout simplement par cet apport «d’air frais» qui émane des filiales africaines qui corrigent les résul tats mitigés du marché domestique».
Face justement à ces résultats mitigés, les banques à capital majoritairement français doivent-elles changer de fusil d’épaule, voire trouver de nouveaux relais de croissance pour être plus agressives sur le marché ? Surtout, le peuvent-elles, quand on sait notamment que leur stratégie de croissance est à l’image de celle de leur maison-mère ?
Ligotées ?
Au cours des dernières années, alors que des Groupes comme Attijariwafa bank, Banque Populaire ou encore BMCE Bank sont montés en puissance, les banques à capital majoritairement français ont vu leur croissance ralentir. Force est de constater, cependant, que tant Crédit du Maroc, la BMCI que la Société Générale n’ont visiblement pas les mêmes marges de manoeuvre que leurs homologues marocaines. En effet, elles ont plus ou moins les mains liées puisqu’elles sont plutôt dans une logique de Groupe, en ce sens que les décisions stratégiques reflètent celles des maisons-mères. Et cela est d’autant plus saillant en période de crise où la politique d’octroi de crédit reste fixée par les maisons-mères. Raison pour laquelle elles donnent l’impression de tirer volontairement sur le frein à main, voire d’être très prudentes en termes de développement. «Les banques françaises n’ont jamais eu de stratégie agressive sur le marché marocain. Elles ont souvent orienté leur action dans l’accompagnement des entreprises françaises et dans certains comptes premium. Par conséquent, un bon pan de l’économie n’avait pas été adressé dans le cadre d’une démarche commerciale ciblée», fait remarquer Abdou Diop.
Mais, à en croire notre analyste, il n’y a pas que ça. «La prudence des banques françaises est probablement aussi liée au risque pays, forcément supérieur à celui de la zone Euro. Ainsi, le potentiel des filiales marocaines est souvent davantage appréhendé sous l'angle du risque que selon celui de la croissance des revenus», souligne-t-il. Et d’ajouter que «durant ces dernières années, la Société Générale a affronté des problèmes internes (affaire Kerviel notamment, ndlr) quand BNP Paribas a dû gérer la forte amende américaine. Quant au Crédit Agricole français, il a davantage hérité du Crédit du Maroc du Crédit Lyonnais».
A côté de cela, les filiales bancaires de ces groupes français font face à ce qui peut s’apparenter à une contrainte dans le cadre de leur stratégie de développement au Maroc : la politique de cash pooling (le fait de remonter les soldes des comptes bancaires des filiales d’un groupe vers le compte centralisateur de la maison-mère) initiée par les maisons-mères. Dans le cadre du cash pooling, ces dernières peuvent, en effet, être amenées, après avoir tenu compte des projets d’investissement en cours et de leur rentabilité, à réorienter les excédents de trésorerie de ces filiales marocaines vers d’autres filiales qui ont des besoins de trésorerie. «Le cash pooling n’est qu’une résultante qui tient compte de la stratégie mise en place et des besoins de financement liés à cette stratégie. L’ambition de croissance sélective et maîtrisée suppose une utilisation optimale des ressources disponibles sur des comptes bien ciblés, sans aller dans une stratégie de masse et de conquête de parts de marché. Sur ce plan, quelques signes montrent une inflexion dans la stratégie et certaines banques françaises commencent à mettre en place une démarche plus agressive sur le marché marocain», souligne Diop.
Notre analyste, quant à lui, fait néanmoins remarquer que «la législation bancaire limite fortement le transfert de ressources. Toutefois, mécaniquement, les limites de crédit sont souvent fixées ou validées au niveau du siège parisien, en fonction de l'engagement de toutes les filiales et de la pondération du risque».
Aujourd’hui, après une période de ralentissement, les banques à capital majoritairement français vont-elles rebondir ? En tout cas, le Crédit du Maroc, à travers son Plan Cap 2018, en a bien l’intention.
Crédit du Maroc : Grande offensive commerciale
Le projet d’entreprise Cap 2018 est circonscrit autour de quatre objectifs principaux : l’amélioration de l’efficacité commerciale, l’excellence des ressources humaines, l’amélioration du service à la clientèle et la mise en oeuvre d’une stratégie d’innovation volontariste. Dans ce cadre, CDM a mis en branle une refonte profonde de ses services pour initier la transformation digitale. Elle a, à ce titre, lancé la signature électronique en agence, de même qu’une stratégie d’innovation et de diffé-renciation sur les produits de financement immobiliers. Tout autant, la banque a lancé l'activité d'affacturage et s’est positionnée dans l’agroalimentaire en proposant des produits spécifiques aux industriels du secteur.
David William