Le risque de concentration des groupes bancaires est désormais suivi de près par la Banque centrale. Face aux nombreuses défaillances de certaines grandes entreprises, les banques sont désormais tenues de consortialiser les crédits supérieurs à 500 millions de DH. Le coefficient de division des risques passe de 20% à 15%.
Il est assez rare de voir le Wali de Bank Al-Maghrib tancer en public, même avec tact et diplo-matie, les groupes bancaires. En effet, lors de la dernière conférence de presse suivant le Conseil trimestriel de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, gouverneur de la Banque centrale, a déploré qu’en dépit de tous les garde-fous réglementaires mis en place, les banques ont trop concentré leurs risques sur les grands clients, avec de grands encours. Or, il s’est avéré que plusieurs grandes entreprises se sont montrées défaillantes ces dernières années, notamment dans des secteurs en difficulté, comme ceux de l’acier, de l’immobilier et du raffinage de pétrole. Les cas Samir, Alliances, Addoha et Maghreb Steel, qui donnent encore des sueurs froides aux banques créan-cières, sont là pour en témoigner. «Il y a des verrous et des gardes-fous qu’il faut observer. Que font les comités de grands risques ? Que font les conseils d’administration ?», s’interroge-t-il. En d’autres termes, A. Jouahri reproche à certaines banques de se livrer à une course aux gros contrats, qui a montré ses limites et surtout ses dangers. Le risque de concentration, autrefois occulté par le risque de contrepar-tie, est désormais bien réel, et la Banque centrale a décidé de prendre les choses en main. Aux grands maux, les grands remèdes donc : «Nous avons décidé, compte tenu de ce qui s’est passé, de mieux encadrer les crédits accordés aux grands comptes. Désormais, les prêts aux entreprises d’un montant supérieur à 500 millions de dirhams seront sou-mis à l’autorisation préalable de Bank Al-Maghrib», annonce le Wali. Au lieu de courir derrière les grands comptes et afin d’éviter toute suren-chère et concurrence déloyale, la Banque centrale invite les banques à partager le risque, ensemble. La consortialisation va donc devenir la règle pour les crédits importants. «Nous avons demandé à ce qu’il y ait une convention entre les banques pour ce qui concerne la consortialisation de ces gros dossiers», précise le gouverneur. Autre mesure, et non des moindres, le coefficient de division des risques a été revu à la baisse. Ce ratio prudentiel, qui consiste à limiter, en fonction des ressources propres de la banque, les engagements maximum que celle-ci peut accorder à un seul client, passe ainsi de 20% à 15%, annonce A. Jouahri. Un tour de vis qui pourrait constituer un coup de frein pour les banques, en termes de distribution de crédits et de PNB, dans un contexte où le crédit bancaire est déjà moribond (à peine 0,5% de croissance en 2015, selon les dernières données de la Banque centrale). En limitant l’exposi-tion des banques aux grandes entre-prises, et en rabaissant de 5 points le coefficient de division des risques, les établissements de crédit se tourneront probablement davantage vers d’autres leviers de croissance, notamment le monde de la petite et moyenne entre-prise. Une catégorie de clients déjà ciblée par le secteur bancaire marocain depuis maintenant quelques mois, et envers laquelle les grandes banques déploient depuis un an leur stratégie de croissance au niveau national. Pour que le dispositif soit complet, Bank Al-Maghrib est en train de travail-ler sur l’information financière néces-saire aux banques à l’octroi de crédits. «Nous essayons de mieux globaliser l’information financière concernant les grands groupes», déclare le gouverneur de la Banque centrale. En effet, les banques n’ont pas toujours connais-sance de l’encours de la dette privée d’un grand client, de sa dette à l’égard des fournisseurs, etc. En centralisant ces informations et en les globalisant, les établissements de crédit seront à même d’avoir une idée plus précise du niveau d’endettement des grands groupes et de leur situation financière réelle, de mieux apprécier le risque, et partant, de pouvoir accorder des prêts en toute connaissance de cause. «Ce chantier entrera en vigueur dès 2016», conclut A. Jouahri.
Concentration bancaire : Les explications de BAM
Interrogé sur la concentration du secteur bancaire au Maroc (3 banques représentent 75% du PNB total du secteur), le Wali de Bank Al-Maghrib a réitéré ses propos prononcés au Parlement : «oui, dans le début des années 2000, nous avons quelque peu favorisé cette concentration. C’est cela qui a donné l’assise aux banques marocaines de faire de la croissance externe, notam-ment en Afrique». Pour le gouverneur, cette manoeuvre n’est pas contradictoire avec la mission du régulateur. L’Europe était malade, le Maghreb arabe est au point mort, il fallait donc favo-riser cette extension vers l’Afrique pour notre système financier. «Aujourd’hui, nous suivons cette extension de très près», tient-il à rappeler.
Amine El Kadiri