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Baisse du taux directeur : «L’objectif est de trouver un équilibre entre soutien à la croissance et maîtrise de l’inflation»

Baisse du taux directeur : «L’objectif est de trouver un équilibre entre soutien à la croissance et maîtrise de l’inflation»

Bank Al-Maghrib amorce une nouvelle phase d’assouplissement monétaire. Portée par le repli des prix des matières premières et les perspectives de reprise agricole, la révision à la baisse du taux directeur vise à relancer l’investissement et soutenir le marché de l’emploi. Entretien avec Mohamed Benchekroun, économiste et professeur universitaire.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : Bank Al-Maghrib a récemment surpris les marchés en abaissant son taux directeur. Quels éléments ont pesé dans la balance pour justifier une telle inflexion de sa politique monétaire ?

Mohamed Benchekroun : La décision récente de Bank Al-Maghrib (BAM) d’abaisser son taux directeur pour la deuxième fois consécutive, le portant à 2,25% après une diminution de 25 points de base, s’inscrit dans un contexte macroéconomique soigneusement évalué. Plusieurs facteurs ont motivé cette inflexion de la politique monétaire, reflétant une volonté d’accompagner la dynamique économique actuelle tout en maîtrisant l’inflation. Premièrement, l’évolution des prix des matières premières a constitué un élément déterminant. La baisse significative des coûts de l’énergie, notamment du pétrole et du gaz, a influencé cette décision.

Le prix du baril de pétrole est ainsi passé de 80 dollars en janvier 2025 à environ 60 dollars, une tendance qui devrait se maintenir à moyen et long terme. Cette diminution des coûts d’importation se traduit par un allègement de la facture énergétique nationale, améliorant ainsi la compétitivité des entreprises marocaines et favorisant la croissance de la productivité. Deuxièmement, les récentes précipitations ont renforcé les perspectives de reprise du secteur agricole. Une meilleure pluviométrie permet d’anticiper une augmentation de l’offre agricole, ce qui, en retour, justifie une politique monétaire plus accommodante. En effet, en réduisant le taux directeur, la Banque centrale cherche à stimuler l’investissement dans le secteur agricole afin de consolider cette reprise et d’assurer un maintien des prix à des niveaux maîtrisés, contribuant ainsi à la stabilité inflationniste. Enfin, les performances solides du secteur non agricole ont également pesé dans la balance.

Le Maroc a enregistré un record de fréquentation touristique en 2024 avec 17,5 millions de visiteurs. Par ailleurs, les industries stratégiques, telles que l’aéronautique, l’automobile et le textile connaissent une expansion notable, soutenue par des implantations industrielles et un afflux d’investissements directs étrangers, notamment en provenance de la Chine. Ces éléments traduisent une résilience économique qui légitime une orientation monétaire plus souple afin de renforcer la dynamique de croissance et de compétitivité du pays. Ainsi, la décision de BAM repose sur une analyse approfondie des conditions économiques nationales et internationales. La conjonction d’une baisse des coûts des matières premières, d’une reprise agricole et d’une performance robuste du secteur non agricole a constitué un cadre favorable à un nouvel assouplissement monétaire, destiné à soutenir la croissance tout en veillant à la stabilité des prix.

 

F. N. H. : Quelles sont, selon vous, les principales conséquences de cette baisse sur le plan macroéconomique ?

M. B. : L’assouplissement de la politique monétaire à travers la baisse du taux directeur entraîne une série de répercussions économiques, touchant aussi bien la croissance, l’inflation, le déficit budgétaire que le pouvoir d’achat. D’un point de vue macroéconomique, une réduction du taux directeur stimule l’investissement et la consommation en facilitant l’accès au crédit. Cette injection de liquidités favorise ainsi la croissance économique en dynamisant l’activité des entreprises, en encourageant la création d’emplois et en réduisant le chômage. Par conséquent, une telle politique peut agir comme un levier pour accélérer la progression du PIB. Toutefois, ce mécanisme repose sur une condition essentielle : l’adéquation entre la masse monétaire en circulation et la valeur ajoutée générée. En effet, si les capitaux investis ne se traduisent pas par une augmentation effective de la productivité et de la création de richesse, le risque d’inflation devient significatif. Une expansion monétaire non corrélée à une hausse proportionnelle de la production pourrait entraîner une inflation excessive, résultant d’un déséquilibre entre l’offre et la demande. Dans ce cas, la baisse du taux directeur, au lieu de favoriser une croissance durable, pourrait exacerber l’instabilité économique.

Concernant le déficit budgétaire, son évolution dépendra en grande partie de la gestion des investissements publics. Actuellement, le Maroc connaît une intensification des dépenses infrastructurelles, notamment en préparation de la Coupe du monde 2030. Dans ce contexte, une réduction du coût de l’endettement, permise par un taux directeur plus bas, pourrait alléger la charge financière de l’État et soutenir la mise en œuvre de ces projets stratégiques. Toutefois, si ces investissements ne génèrent pas un retour économique suffisant, l’impact sur le déficit budgétaire pourrait être négatif. Enfin, l’effet de cette politique monétaire sur le pouvoir d’achat reste conditionné à l’issue des investissements qu’elle induit. Si ces derniers aboutissent à une augmentation de la production, à la création d’emplois et à une stabilisation des prix, alors le pouvoir d’achat des ménages s’en trouvera amélioré. En revanche, si l’expansion monétaire se traduit par une inflation non maîtrisée et une stagnation économique, le pouvoir d’achat pourrait être gravement affecté, entraînant une détérioration des conditions de vie. Ainsi, bien que la baisse du taux directeur présente des opportunités indéniables en matière de relance économique et de compétitivité, elle comporte également des risques qu’il convient de maîtriser à travers une allocation efficace des ressources et un cadre macroéconomique propice à la transformation des liquidités injectées en valeur ajoutée tangible.

 

F. N. H. : Du point de vue des entreprises, notamment industrielles ou exportatrices, cette orientation pourrait-elle améliorer leur compétitivité via une baisse des coûts de financement ? À quels leviers doiventelles recourir pour en tirer pleinement profit ?

M. B. : La réduction du taux directeur représente une opportunité significative pour les entreprises marocaines, notamment industrielles et exportatrices, en favorisant une baisse des coûts de financement. Toutefois, cet assouplissement monétaire ne constitue qu’un élément parmi d’autres qui contribuent à l’amélioration de la compétitivité du secteur industriel marocain. En premier lieu, la dynamique positive de la productivité industrielle s’appuie sur plusieurs facteurs structurels. La diminution des coûts des matières premières énergétiques, notamment du pétrole et du gaz, allège les charges des entreprises, améliorant ainsi leur rentabilité et leur capacité d’investissement. Par ailleurs, le Maroc bénéficie d’un coût de main-d’œuvre relativement faible par rapport à d’autres marchés, ce qui renforce son attractivité pour les industries manufacturières. Ensuite, les accords de libreéchange signés avec plusieurs partenaires commerciaux majeurs ont facilité l’accès des entreprises marocaines aux marchés internationaux, renforçant leur position concurrentielle. Cette ouverture commerciale est particulièrement bénéfique pour les secteurs de l’aéronautique et de l’automobile, où le Maroc a développé une expertise reconnue à l’échelle mondiale. Dans ce contexte favorable, la baisse du taux directeur vient soutenir cette dynamique en réduisant le coût du crédit et en facilitant l’accès au financement pour les investissements productifs. Toutefois, pour en tirer pleinement profit, les entreprises doivent activer plusieurs leviers stratégiques. Premièrement, elles doivent optimiser leur structure de financement en exploitant les conditions plus avantageuses offertes par les établissements bancaires. Deuxièmement, elles doivent investir dans l’innovation et la modernisation de leurs outils de production afin d’améliorer leur compétitivité sur le long terme. Enfin, une consolidation des chaînes de valeur et une montée en gamme des produits exportés permettront de maximiser les bénéfices de cet environnement économique favorable. Ainsi, bien que la baisse du taux directeur constitue un catalyseur pour la compétitivité des entreprises marocaines, son plein effet dépendra de la capacité des acteurs industriels à optimiser leurs stratégies d’investissement et à renforcer leur positionnement sur les marchés internationaux.

 

F. N. H. : Cette baisse du taux directeur peut-elle contribuer à une baisse durable du chômage ?

M. B. : La réduction du taux directeur constitue indéniablement un levier économique important susceptible d’avoir un impact positif sur le marché de l’emploi. En facilitant l’accès au crédit et en stimulant l’investissement, cette mesure peut entraîner une augmentation de la création d’emplois et, potentiellement, une baisse du chômage, actuellement à 13%. Toutefois, il serait illusoire de considérer cette décision comme une solution miracle garantissant, à elle seule, une décrue durable du chômage. En réalité, pour que cette impulsion monétaire porte pleinement ses fruits, elle doit être accompagnée d’un ensemble de réformes structurelles et de politiques publiques adaptées. D’une part, une refonte du système éducatif est essentielle afin d’adapter la formation des jeunes aux exigences du marché du travail. Le développement des compétences techniques et numériques, ainsi que la promotion de l’apprentissage et de la formation professionnelle sont des éléments clés pour améliorer l’employabilité et la productivité de la main-d’œuvre. D’autre part, l’encouragement de l’entrepreneuriat des jeunes constitue un axe stratégique majeur. Toutefois, la réussite de cette initiative repose sur la mise en place de conditions favorables, telles que des exonérations fiscales pour les nouvelles entreprises, une meilleure transparence dans l’accès aux marchés publics et un environnement juridique et administratif simplifié. La digitalisation des procédures administratives permettrait également de réduire les lourdeurs bureaucratiques et d’accélérer le développement des projets entrepreneuriaux. Enfin, la lutte contre l’économie informelle est un enjeu central. Une régulation plus efficace du marché du travail et des incitations à la formalisation des entreprises sont nécessaires pour garantir que la croissance économique se traduise par une augmentation réelle et durable des emplois déclarés et sécurisés. Ainsi, bien que la baisse du taux directeur envoie un signal positif aux investisseurs et aux entreprises, son impact sur l’emploi dépendra de la mise en œuvre de réformes structurelles complémentaires. Ce n’est qu’en combinant une politique monétaire favorable avec des mesures stratégiques dans l’éducation, l’entrepreneuriat et la régulation du marché du travail que le Maroc pourra espérer une réduction durable du chômage et une amélioration des perspectives économiques pour sa population active.

 

F. N. H. : Dans la perspective de la Coupe du monde 2030, cette détente monétaire peut-elle agir comme catalyseur pour stimuler les investissements, notamment dans les infrastructures ? Comment les TPME peuvent-elles s’inscrire dans cette dynamique ?

M. B. : L’organisation de la Coupe du monde 2030 constitue une opportunité majeure pour le Maroc, entraînant une dynamique d’investissement sans précédent, notamment dans les infrastructures. Actuellement, les investissements publics représentent près des deux tiers des investissements totaux du pays. Dans cette optique, la baisse du taux directeur peut jouer un rôle clé en facilitant le financement des projets et en stimulant la croissance économique. Le Maroc connaît déjà une transformation profonde de ses infrastructures, avec des projets ambitieux tels que :

• L’extension du réseau ferroviaire, notamment la ligne à grande vitesse (LGV) reliant Kénitra à Marrakech.

• La modernisation et l’agrandissement des aéroports pour répondre aux exigences du tourisme et des flux internationaux.

• La construction et la rénovation des stades, avec notamment le grand stade de Benslimane.

• Le développement de l’hôtellerie et des infrastructures urbaines, afin d’accueillir les visiteurs dans les meilleures conditions.

• Le déploiement de la 5G, qui marque une avancée technologique pour accompagner cette transformation.

Les très petites et moyennes entreprises (TPME) doivent saisir cette opportunité pour se développer et s’inscrire pleinement dans l’élan économique engendré par ces investissements. La baisse du taux directeur leur offre un accès facilité au financement, ce qui leur permet de :

• renforcer leur fonds de roulement, élément essentiel pour participer aux appels d’offres liés aux projets d’infrastructure.

• accroître leur capacité de production et d’innovation, en investissant dans de nouveaux équipements et en améliorant leurs services.

• créer de la résilience et de la compétitivité, en se positionnant comme des acteurs clés dans les secteurs en pleine expansion.

Cependant, pour que cet élan profite réellement aux TPME, un accompagnement adéquat est nécessaire. Il est primordial que ces entreprises bénéficient d’un cadre de gouvernance éthique, où les financements obtenus sont effectivement réinvestis dans l’économie réelle et non détournés à des fins personnelles, comme l’achat de biens immobiliers ou de véhicules. Cette problématique avait été constatée lors des résultats du premier programme Intilaka, soulignant l’importance d’une allocation efficace des ressources.

 

F. N. H. : Enfin, faut-il s’attendre à l’ouverture d’un cycle d’assouplissement progressif, ou pensezvous que la Banque centrale adoptera une posture d’attentisme en fonction de la réaction des principaux agrégats économiques ?

M. B. : La Banque centrale semble adopter une approche prudente quant à la poursuite d’un cycle d’assouplissement monétaire. Lors de la récente conférence de presse, il a été précisé que la décision de baisser le taux directeur sera suivie d’une évaluation attentive des réactions économiques et financières. Deux scénarios sont possibles :

• Poursuite de l’assouplissement: si la baisse du taux directeur stimule efficacement l’investissement, la création d’emplois et la croissance économique sans générer une inflation excessive, BAM pourrait envisager d’autres réductions progressives. L’objectif serait alors de soutenir durablement l’activité économique et d’encourager l’accès au crédit pour les entreprises et les ménages.

• Retour à une posture plus restrictive : si cette baisse entraîne une inflation galopante, notamment sur les produits de première nécessité, ou si son impact sur l’emploi et l’investissement s’avère limité, BAM pourrait revenir à une hausse du taux directeur.

Cette prudence est justifiée par l’expérience récente : l’inflation a fortement touché les ménages marocains ces dernières années, notamment sur les biens essentiels, ce qui limite la marge de manœuvre pour un assouplissement trop agressif. Bank Al-Maghrib adoptera probablement une posture d’attentisme, ajustant sa politique monétaire en fonction de l’évolution des principaux agrégats économiques. L’objectif est de trouver un équilibre entre soutien à la croissance et maîtrise de l’inflation, afin de préserver le pouvoir d’achat des ménages tout en favorisant le dynamisme économique. 

 

 

 

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