Contre toute attente, la Banque centrale a récemment opté pour la baisse de son taux directeur. Cette initiative devrait se répercuter positivement sur les taux pratiqués par les établissements de crédit. Entretien avec Khalid Doumou, économiste et expert financier.
Propos recueillis par M. Ait Ouaanna
Finances News Hebdo : Tout d’abord, comment décririezvous l'état actuel de l'économie marocaine et quel rôle joue la politique monétaire en matière de soutien de la croissance ?
Khalid Doumou : En pleine effervescence, le Maroc est un chantier à ciel ouvert devant nous mener sans discontinuer, vers un cycle de croissance de type Juglar, soit 5 à 11 ans de rythme de production réelle soutenue. Celle-ci repose sur des investissements massifs pendant une assez longue période. Si ces derniers sont bien orientés, dosés et administrés, ils devraient, d’une part, nous faire franchir de nouveaux paliers de développement, et d’autre part, nous aider à faire sérieusement reculer un taux de chômage domestique global ayant atteint le taux alarmant de 13,7% cette année. Ensuite, il est important de bien noter que la politique monétaire n’est pas une création ex-nihilo née de l’esprit malintentionné d’économétriciens et de statisticiens au service d’intérêts corporatistes ou partisans. Les monétaristes travaillent sur la collecte et l’analyse approfondie de données nationales et internationales, devant conduire à des décisions de politiques monétaires conjoncturelles sensées, avisées et aisément défendables. A cet effet, les 9 membres du Conseil de Bank Al-Maghrib (BAM) se réunissent trimestriellement pour débattre de la manière la plus appropriée de juguler l’inflation. Et ce, tout en agissant sur les leviers de ratios de liquidité et de solvabilité bancaires devant soutenir ou impulser le moteur de l’activité économique et encourager l’emploi, et tout en intervenant, le cas échéant, et si nécessaire, sur le marché des changes pour maintenir le Dirham dans sa bande de fluctuation autorisée de plus ou moins 0,3%.
F.N.H. : Bank Al-Maghrib a récemment décidé de baisser son taux directeur de 25 points de base (de 3% à 2,75%). Que pensez-vous de cette mesure ?
Kh. D. : En période d’expansion économique objectivement envisageable, la Banque centrale est censée encourager l’accès aux crédits des particuliers, des ménages et des entreprises (assouplissement quantitatif, destiné à favoriser la consommation et l’investissement). Par contre, en période de décélération escomptée de la production domestique, c’est l’austérité et le resserrement quantitatif qui normalement prennent le relais, et ce jusqu’à la prochaine embellie entrevue. Cette baisse de 25 points de base est donc cohérente économiquement et socialement parlant, puisqu’elle intervient au moment où l’inflation devrait, selon toute vraisemblance, fondre de 6,3% en 2023 à 1,5% en 2024 (aux alentours des objectifs de stabilité monétaire de l’inflation estimée en général à 2%). En outre, le financement de notre développement tous azimuts réside dans la capacité de l’État à lever les fonds nécessaires pour réaliser des investissements massifs, estimés à quelque 1.300 milliards de dirhams à l’horizon 2030, selon l’Alliance des économistes istiqlaliens.
Le stop and go est, quant à lui, une politique économique qui vise, pour une autorité comme l’État ou la Banque centrale, à alterner des phases de stimulation de l'emploi ou d'inflation (go) et des phases de rigueur lorsque les objectifs sont atteints ou dépassés (stop), pour éviter les risques de surchauffe de la machine économique. Le taux de base bancaire ou taux directeur est un outil d’orientation et de régulation des crédits octroyés par les banques commerciales à leur clientèle d’entreprises de toute taille (PME/ TPE-TPI/ ETI/ GE/ multinationales). Ce taux impacte nécessairement les banques commerciales qui veulent attirer tel ou tel type de clientèle, selon leur appétence au risque et les résultats escomptés par chaque type d’actionnariat bancaire. Bien entendu, BAM prête de l’argent aux banques commerciales sur la base de trois taux directeur : un taux de refinancement hebdomadaire auprès de BAM dit TBB (taux de base bancaire), un prêt à 24 heures pour les banques ayant un besoin urgent de liquidités, et elle permet à une banque commerciale ayant un excédent de liquidité de les placer à la Banque centrale. Lorsque les banques négocient des prêts ou emprunts entre elles, la facilité de dépôt est le taux plancher du marché interbancaire. A l’inverse, aucune banque commerciale ne se refinancera sur le marché interbancaire à un taux supérieur au taux de la facilité de prêt marginal proposé par la Banque centrale, qualifié donc de taux plafond du marché interbancaire. Les banques commerciales marocaines sont supervisées par BAM sur plusieurs types de taux qu’elles offrent à leur clientèle (Taux débiteurs, taux maximum des intérêts conventionnels, taux des comptes sur carnet, taux des dépôts à terme, référence pour la révision des taux variables), tous partagés et actualisés sur le site de Bank Al- Maghrib.
F.N.H. : Comment la baisse du taux directeur va-t-elle impacter les crédits bancaires ? Doiton s’attendre à une baisse «significative» des taux d’intérêt appliqués aux crédits par les banques commerciales ?
Kh. D. : Une baisse du taux directeur permet au microcosme bancaire d’envisager avec sérieux la possibilité de louer ses réserves de liquidité à des taux bonifiés pour ses clients habituels, et à en attirer de nouveaux par la même occasion. Logiquement, et en toute transparence, le volume des crédits à l’économie devrait augmenter avec la baisse de 25 points de base du taux directeur de BAM. Cela va avoir des retombées positives sur les taux de crédit à la consommation, sur les taux de prêts hypothécaires et dans le cadre du crédit automobile. Les différentes banques commerciales vont donc entrer en concurrence pour attirer une clientèle nécessairement séduite par une baisse des trois taux évoqués plus haut. Le taux de crédit bancaire octroyé par les banques commerciales aux particuliers et aux ménages varie selon divers critères, notamment le risque de contrepartie, qui tient compte de la surface financière de l’emprunteur et des garanties apportées, l’âge de l’emprunteur, la durée de l’emprunt, la qualité de son historique de remboursement, etc. La dette financière procure un «levier» en permettant de financer des actifs pour un montant supérieur aux apports des actionnaires. Le financement par emprunt est évidemment nécessaire pour venir en complément de la capacité d’apport des actionnaires limitée. Il joue également un rôle essentiel pour améliorer la rentabilité des capitaux propres et l’amener au niveau souhaité par les actionnaires. Dans un pays désireux de renforcer son attractivité pluridimensionnelle, ses capacités de production, ses capacités d’accueil, ses lignes aériennes et maritimes, ses réseaux ferroviaires et autoroutiers, et de réussir ses transitions écologique, économique, sociale et numérique, le financement demeure un défi majeur. Cela implique de s’intéresser de très près à la problématique de l’accès aux crédits, et des ingénieries financières à monter dans le cadre de partenariats public-privé.