Le discours du Roi devant les parlementaires a mis le secteur bancaire au-devant de la scène économique.
Eu égard à leur poids dans l’économie, les banques doivent se mettre au diapason des immenses défis économiques et sociaux que le Maroc doit relever.
Les efforts des établissements de crédits doivent se diriger prioritairement vers les populations qui éprouvent des difficultés à accéder au crédit.
Par A.E
Depuis le discours royal du vendredi 11 octobre, les banques sont plus que jamais au cœur de l’actualité économique de notre pays. Et pour cause, devant les parlementaires réunis pour l’ouverture de la session automnale, le Roi Mohammed VI s’est longuement appesanti, comme jamais auparavant, sur la question du financement de l’économie marocaine, et plus particulièrement sur le rôle que doit jouer le secteur bancaire dans la stratégie de développement du Maroc.
Une phrase en particulier prononcée par le Souverain est abondamment commentée par les observateurs : «Nous exhortons le secteur bancaire national à un engagement plus ferme, à une implication positive plus vigoureuse dans la dynamique de développement que connaît notre pays».
L’interpellation est directe et le message parfaitement limpide :
les banques doivent en faire plus ! Elles doivent se mettre au diapason des immenses défis économiques et sociaux que le Maroc doit relever. Plus de financements, plus d’accompagnement, plus de soutiens, notamment en direction des populations les moins intégrées économiquement, les diplômés, les jeunes, les très petites entreprises, les ruraux, les autoentrepreneurs, etc. Soit toutes celles qui, dans l’industrie bancaire, sont rangées dans la catégorie «insolvable».
Or, c’est précisément vers ces catégories que le Maroc oriente massivement ses efforts depuis quelques années, afin de réduire des inégalités sociales et spatiales béantes, tenter de refaire fonctionner l’ascenseur social, faire de la croissance inclusive, élargir le socle de la classe moyenne et, au final, parvenir à une certaine cohésion sociale, gage de stabilité pour le pays. Car, en définitive, c’est bien de cela qu’il s’agit.
On l’aura compris, la responsabilité des banques dans ce grand projet qu’est la construction du Maroc de demain (dont le nouveau modèle de développement sera, en quelque sorte, la feuille de route) est immense. Et c’est, nous semble-t-il, l’une des raisons qui explique que le Roi ait appelé les banques, dont la grande majorité est à capitaux privés, à un sursaut patriotique et à contribuer pleinement à l’effort général.
Car, au Maroc, rien ne se fait sans les banques, eu égard à leur poids considérable et à leur centralité dans l’économie nationale depuis plusieurs décennies.
Si le secteur bancaire est aujourd’hui en première ligne, c’est dû à la structure même de notre économie : une économie essentiellement intermédiée, quasi dépendante des financements bancaires. Ménages, entreprises, petites ou grandes, Etat, Trésor, collectivités : tout le monde emprunte aux banques, réduisant les autres alternatives de financement, comme le marché des capitaux, à une portion congrue. Les banques sont le principal, si ce n'est l'unique financeur de l'économie avec, selon certaines estimations, près de 90% des financements globaux. L’encours des crédits bancaires au Maroc avoisine 900 milliards de DH; c’est légèrement moins que le PIB du Maroc, mais bien plus que la capitalisation boursière de la place casablancaise.
Cette propension des établissements bancaires à tout financer se lit parfaitement dans leur bilan, puisque la structure du PNB (produit net bancaire, équivalent au chiffre d’affaires pour les entreprises) des banques marocaines montre qu’environ 80% des revenus proviennent des activités d’intermédiation (crédits), alors que dans les pays les plus avancés, où les marchés financiers sont très développés, les activités d’intermédiation pèsent beaucoup moins dans les revenus au détriment des commissions et des activités de marché.
Ceci nous amène à penser qu’il est aujourd’hui primordial de trouver des alternatives de financement au secteur bancaire, notamment en développant le marché des capitaux. Un marché financier développé et profond peut être une alternative sérieuse pour les entreprises, les PME et les start-up, etc.
Il existe un plan ambitieux pour le développement du marché fi-nancier marocain dans toutes ses composantes, mais il tarde à voir le jour. Il en est ainsi pour la loi sur le Crowdfunding, ou encore celle sur le microcrédit.
En attendant, les banques devront faire le job et continuer à financer les besoins de l’économie en fournissant un effort supplémentaire, comme l’a suggéré le Roi. «Cet effort doit porter spécifiquement sur le financement de l’investissement, l’appui aux activités productives, pourvoyeuses d’emplois et génératrices de revenus. A cet égard, outre l’engagement des banques auprès des grandes entreprises en termes d’appui et de financement, nous les incitions à s’acquitter de la mission prépondérante qui leur échoit en matière de développement».
Il s’agit principalement d’aller adresser les populations qui éprouvent des difficultés à accéder au crédit. Il faudra pour cela trouver le juste équilibre entre la prise de risque et le respect d’exigences prudentielles qui n’ont fait que se durcir ces dernières années, limitant ainsi de facto leur capacité à distribuer des crédits.
Les banques ont, en réalité, déjà pris conscience, depuis quelques années, de l'importance de l'inclusion financière et de bancariser les petites entreprises et les autoentrepreneurs, de leur fournir des offres adaptées, de les coacher... Selon le dernier rapport de BAM, le manque d’offres adaptées est le principal obstacle à l’inclusion financière pour ces segments d’entreprises.
Les établissements de la place, certains plus que d’autres, ont lancé des programmes de financement et d’accompagnement ambitieux à destination de ces opérateurs. Ces dispositifs fonctionnent, il faut désormais les généraliser à grande échelle.
Et cela sera l'un des objectifs de la stratégie nationale d'inclusion financière pilotée, entre autres, par Bank Al-Maghrib et le ministère des Finances. Cette stratégie est prête et devrait être lancée prochainement.
Le Roi a par ailleurs invité le gouvernement et Bank Al-Maghrib, en coordination avec le Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM), à œuvrer à la mise au point d’un programme spécial d’appui aux jeunes diplômés, de financement des projets d’auto-emploi. «Eu égard à leurs retombées positives sur nombre de familles et sur l’ensemble de la société, il convient de s’inspirer des expériences fructueusement menées par les organismes qui financent des projets portés par des jeunes, facilitant ainsi leur insertion socioprofessionnelle», a expliqué le Souverain.
Il faudra encore trouver des solutions pérennes à la question des garanties, véritable pierre d’achoppement de l’accès au financement bancaire. Sans garanties réelles (foncier, bien immobilier etc.), difficile de décrocher un crédit, que ce soit pour un ménage ou un entrepreneur.
Le problème n’est pas nouveau. Il existe des fonds étatiques de garantie qu'il faut élargir et renforcer. Une loi prometteuse sur les sûretés mobilières a été votée et offre la possibilité pour les PME/TPE de donner en gage les actifs mobiliers corporels et incorporels afin de consolider leurs capacités à mobiliser des financements.
En outre, il y a des mécanismes de financement innovants qui ont été mis en place pour financer les petites entreprises et les jeunes entrepreneurs. Ces mécanismes rencontrent du succès, à l’image de l’offre de la Caisse centrale de garantie (CCG) en termes justement de système de garantie ou de mise en place de fonds pour financer les start-up.
Il faut, là aussi, généraliser ces mécanismes et les appliquer à très grande échelle pour pouvoir massifier les financements.
Il serait facile de hurler avec la meute et de faire porter aux banques tous les maux dont souffre notre économie. Nous ne céderons pas à cette tentation, si appréciée soit-elle par une grande partie de nos concitoyens.
Il est cependant indéniable que le sentiment de défiance vis-à-vis du secteur bancaire de la part d’un grand nombre de citoyens est parfaitement légitime, comme n’a pas manqué de le souligner le Souverain : «Certaines catégories de la population, qui le considèrent comme un organisme ne recherchant qu’un profit immédiat et sans risque, en ont une perception négative. Cette représentation est justifiée par des faits».
Un simple test pour s’en convaincre : demandez à la première personne que vous croisez dans la rue ce qu’elle pense des banques. Il y a de fortes probabilités que vous ayez droit, en guise de réponse, à une avalanche de qualificatifs peu amènes. Et qui n’a jamais pesté, en lisant son relevé bancaire, contre ces frais qui viennent régulièrement ponctionner nos revenus.
Le rétablissement de la confiance devra, semble-t-il, d’abord passer par des décisions qui enverraient les bons signaux. Il pourrait s’agir, par exemple, de mettre fin à certaines pratiques qui n'ont plus lieu d’être à l’ère du tout numérique, comme les dates de valeur, l’année lombarde (calcul des intérêts sur la base d’une année de 360 jours au lieu de 365), etc. Il faudrait aussi penser à revoir la tarification de certaines opérations, être plus transparent dans la relation client, les procédures de clôture de comptes, etc.
Autant de signaux qui pourraient, dans un premier temps, contribuer à rétablir un semblant de confiance entre les banques et l’opinion publique. ◆