La réélection de Donald Trump en novembre 2024 relance les spéculations sur ses effets pour les économies mondiales, y compris celle du Maroc. Entre protectionnisme, réformes fiscales et tensions commerciales, ce second mandat pourrait bien redessiner les rapports économiques avec les partenaires étrangers.
Par Y. Seddik
Suite à une campagne marquée par de nombreux rebondissements, Donald Trump remporte les élections et devient ainsi le 47ème président des États-Unis, après en avoir été le 45ème. Il devient le second président, après Grover Cleveland au XIXème siècle, à retrouver la Maison Blanche après une défaite. Ce retour de Trump, avec son approche résolument protectionniste, suscite des interrogations quant aux effets possibles sur les alliances stratégiques des États-Unis, y compris avec des partenaires historiques comme le Maroc.
Depuis que les États-Unis ont reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara en décembre 2020, sous le premier mandat de Trump, les liens diplomatiques et économiques entre les deux pays se sont consolidés. Cette reconnaissance a favorisé une augmentation des investissements américains dans des secteurs stratégiques marocains, tels que les énergies renouvelables et les technologies innovantes. Pour le Royaume, qui s’appuie sur des partenariats internationaux variés et une stratégie de hub régional, les choix politiques de Trump pour ce second mandat pourraient aussi bien ouvrir de nouvelles opportunités que poser des défis inédits. Il faut dire que lors de son premier mandat, Trump avait déjà marqué les esprits avec sa guerre commerciale contre la Chine, imposant des droits de douane massifs sur les produits importés.
Avec ce retour à la présidence, il semble déterminé à intensifier cette approche protectionniste. «Si les États-Unis augmentent les droits de douane jusqu’à 60% pour certains produits chinois, l’impact sur l’économie mondiale serait bien plus important que lors de la première guerre commerciale», nous explique Yassir Kettani, économiste et spécialiste des échanges commerciaux internationaux. Pour le Maroc, qui entretient un accord de libre-échange avec les États-Unis depuis 2006, les répercussions pourraient être complexes.
D’un côté, les exportations marocaines vers les États-Unis – dans le textile, l’agroalimentaire et les phosphates notamment – pourraient souffrir d’un climat protectionniste général, rendant plus difficile l’accès au marché américain. D’un autre côté, le renforcement des tarifs douaniers contre des concurrents comme la Chine pourrait ouvrir des brèches pour les produits marocains, qui resteraient compétitifs dans certains créneaux industriels. «Ce protectionnisme pourrait paradoxalement être favorable à nos exportations vers les États-Unis, si le Maroc reste un partenaire commercial stable et moins soumis aux restrictions douanières américaines», précise Kettani.
L’autre point à surveiller, selon l’expert : l’approche protectionniste et l’hostilité de Trump aux échanges avec la Chine pourraient également limiter les ambitions de certains groupes chinois dans le secteur de l'automobile et des batteries électriques, qui voient en le Maroc une porte d’entrée stratégique vers le marché américain. En effet, de nombreux investisseurs chinois choisissent le Maroc pour contourner les barrières douanières imposées aux produits chinois aux États-Unis, via l’accord de libre-échange liant Rabat à Washington. Une politique commerciale trop rigide pourrait donc contraindre ces investissements potentiels.
Un Dollar fort, une arme à double tranchant pour le Maroc
La politique monétaire de Trump pourrait également renforcer le Dollar, ce qui aurait des effets contrastés pour le Maroc. En poussant pour des taux bas, Trump espère soutenir les exportations américaines, mais un Dollar fort pourrait en réalité compliquer cette dynamique et avoir des répercussions mondiales. Pour le Maroc, un Dollar en hausse présente deux conséquences principales : «d’un côté, cela rend les exportations marocaines plus compétitives sur d’autres marchés que les ÉtatsUnis, ce qui serait un atout pour les industries d’exportation. D’un autre côté, la hausse des coûts des importations américaines pourrait accentuer notre déficit commercial, particulièrement pour les produits technologiques et pharmaceutiques».
Par ailleurs, le Maroc bénéficie d’une position privilégiée en tant que porte d’entrée vers le continent africain. Cette situation géostratégique, renforcée par la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le Sahara en 2020, pourrait inciter davantage d’entreprises américaines à investir au Maroc pour s’implanter en Afrique. «Dans un contexte où les relations avec la Chine restent tendues, le Maroc pourrait se positionner comme un relais stratégique pour les investissements américains», affirme Kettani.
Les secteurs de l’infrastructure, de la finance et des énergies renouvelables pourraient en particulier attirer des capitaux américains en quête de stabilité et d’expansion sur le continent. Trump ambitionne également de baisser l’impôt sur les sociétés pour les entreprises qui produisent aux États-Unis, ainsi que de pérenniser les baisses temporaires d’impôts sur le revenu mises en place en 2017. Bien que ces réformes soient partiellement conditionnées au contrôle de la Chambre des représentants, une telle mesure pourrait avoir un effet indirect positif sur les investisseurs marocains. En effet, une baisse d'impôts pour les entreprises américaines pourrait dynamiser Wall Street, stimulant indirectement l'appétit pour les actions dans le monde entier, y compris au Maroc. Selon notre expert, «si les marchés financiers américains bénéficient d’une impulsion grâce à des baisses d’impôts, cela pourrait rejaillir sur les marchés mondiaux. Les investisseurs marocains, tout en profitant de la croissance des actions américaines, pourraient aussi voir un effet de contagion positive sur le Masi».
Un climat de cohabitation politique
Bien que le Sénat soit à majorité républicaine, la majorité à la Chambre des représentants reste disputée. Cette situation de cohabitation pourrait restreindre la portée de certains projets de Trump, notamment les réformes fiscales nécessitant une majorité dans les deux chambres. «La capacité de Trump à mettre en œuvre son programme dépendra d’abord de ses relations avec le Congrès», commente Kettani. «Sans un soutien législatif total, certaines de ses promesses, comme la réduction massive de l’impôt sur les sociétés, pourraient être compromises», précise-t-il.
Toutefois, les initiatives protectionnistes, telles que les hausses de tarifs douaniers, peuvent être appliquées directement par le président sans passer par le Congrès. Cela signifie que, même avec des contraintes politiques, Trump pourrait intensifier ses mesures tarifaires et protectionnistes en influençant ainsi l’économie mondiale. Face à cette incertitude, le Maroc doit impérativement renforcer ses partenariats avec l’Union européenne et l’Afrique subsaharienne pour minimiser sa dépendance vis-à-vis des États-Unis et de la Chine. «Il est essentiel pour le Maroc de diversifier ses relations économiques pour réduire son exposition aux politiques américaines, surtout dans un contexte aussi incertain», conseille t-il.
En misant davantage sur l’exportation vers l’Europe et en intensifiant ses relations avec les pays africains, le Maroc pourrait atténuer les effets des éventuelles tensions commerciales mondiales. En somme, le retour de Trump, malgré des politiques protectionnistes et des tensions commerciales renforcées, n’est pas sans bénéfices potentiels pour le Maroc. Entre l’attractivité accrue pour les investissements américains et les possibilités d’exportation vers un marché américain restreint pour d’autres partenaires, le Royaume dispose d’atouts pour tirer parti de cette nouvelle ère économique et en sortir gagnant.