L’opération Marhaba mobilise des milliers de personnes pour accueillir annuellement les Marocains résidant à l’étranger. La compagnie de navigation maritime italienne Grandi Navi Veloci (GNV) déploie chaque année un vaste programme pour servir au mieux les MRE. Entretien avec son PDG, Matteo Catani.
Finances News Hebdo : Comment se présente l’opération Marhaba pour l’année 2023 et quelle est votre stratégie pour l’année en cours ?
Matteo Catani : En pleine collaboration avec notre partenaire au Maroc, Mohamed Kabbaj, nos équipes ne ménagent aucun effort pour participer activement et assurer le succès de l’opération Marhaba 2023, en suivant les directives du Roi Mohammed VI et en respectant les instructions du ministère des Affaires étrangères et celles de toutes les administrations concernées par l’opération. Pour 2023, nous avons déjà défini le plan de flotte qui prévoit l’utilisation de cinq navires et présenté une demande aux autorités compétentes pour augmenter ce nombre, avec l’entrée de deux navires supplémentaires sur la ligne Nador-Almeria. Cette ligne a déjà été mise en œuvre l’an dernier à des tarifs très compétitifs et avec des retours extrêmement positifs de la part des clients. Notre stratégie repose sur la volonté d’améliorer encore la fréquence de desserte et d’augmenter le nombre de cabines mises à disposition sur les navires pour les voyages moyen et long-courriers, en gardant toujours à l’esprit l’objectif de servir au mieux nos clients marocains, actuels et futurs. Plus généralement, nous visons à poursuivre notre ambition de consolider le rôle de GNV en tant que partenaire stratégique et fiable du Maroc. Je tiens également à souligner que 2023 représente une année particulière pour nous. En effet, nous célébrons 30 ans d’histoire de GNV et 15 ans de présence au Maroc.
F. N. H. : L’été 2022 a été une saison de tous les records pour GNV, surtout après la période d’accalmie due à la pandémie et pré-pandémique. Parlez-nous en ?
M. C. : Je confirme; l’été dernier a été très positif pour notre entreprise. En effet, tout au long de l’année, nous avons transporté un total de 2,3 millions de passagers, soit plus de 50% de plus qu’en 2021 et 26% de plus qu’en 2019. Nous avons obtenu cet excellent résultat alors que nous avions eu plus de trois mois de moins disponibles sur les lignes marocaines en raison des fermetures dues à la pandémie. Cette année, pour les seules lignes du Maroc, nous visons le dépassement du demi-million de passagers.
F. N. H. : Combien représente pour vous le marché national en termes de passagers, de véhicules et de revenus ?
M. C. : Le Maroc est un marché très important pour GNV. Je dirais désormais historique, compte tenu de nos quinze années de présence dans les ports du pays et grâce au soutien de notre partenaire, Mohamed Kabbaj, et à l’expérience acquise. Aujourd’hui, nous nous sentons plus expérimentés, structurés et prêts à proposer des liaisons toujours plus fréquentes entre les pays européens les plus importants et le Maroc. Pour mieux se faire une idée, sur les 2,3 millions de passagers que GNV transporte annuellement, 20% vont au Maroc, et 170.000 véhicules sont transportés. Je peux dire que le Maroc représente pour nous le deuxième marché le plus important, précédé seulement par l’Italie, mais c’est naturel car c’est notre base historique. Ambitieux de grandir dans le partenariat avec le Maroc, nous sommes prêts à donner vie à un programme de développement à long terme visant à améliorer l’offre GNV tant en termes de capacité des lignes desservies que de nombre de passagers transportables.
F. N. H. : A l’instar d’autres pays, vous avez qualifié la destination Maroc de prometteuse et dans laquelle vous comptez toujours investir. Qu’est-ce qui vous conforte dans cette démarche ?
M. C. : Tout d’abord, la considération que depuis que GNV a débarqué au Maroc, les clients n’ont cessé d’augmenter d’année en année. De plus, étant une entreprise qui opère avant tout sur des lignes long-courriers réservées à l’avance au Maroc, nous contribuons effectivement à décongestionner le flux intense de trafic de dernière minute et difficile à planifier. Ce flux persiste sur le détroit de Gibraltar et sur les deux rives et peut souvent causer de longues files et de nombreuses heures d’attente. En ce sens, nous constatons un intérêt croissant des passagers, et pas seulement de ceux qui partent avec nous, à voyager sur des lignes comme la nôtre. Cette solution leur permet d’économiser des milliers de kilomètres de route supplémentaires qu’ils devraient parcourir avec leurs propres moyens pour atteindre Gibraltar. Et ce, avec les différentes variables que cette dernière option de voyage implique, du plus grand effort et du risque d’accident qui en résulte, au moindre confort d’un voyage qui touche particulièrement les familles nombreuses et les enfants. Le tourisme au Maroc est également en croissance et nous soutenons la tendance positive pour le pays en augmentant le flux de passagers pendant la saison estivale. Aussi, nous sommes leaders dans les groupes motorisés, c’est-à-dire des groupes de personnes qui se rendent au Maroc avec leur propre véhicule, voiture ou moto, pour participer à des courses compétitives, comme le Rallye Aïcha des Gazelles par exemple, parmi les plus importantes du pays.
F. N. H. : La compagnie a lancé de nouvelles liaisons, notamment Almeria-Nador. Quel bilan en faites-vous ?
M. C. : La ligne Nador-Almeria vient perfectionner notre offre sur les lignes moyens-courriers et nous la considérons comme une étape naturelle pour nous en vue d’optimiser, notamment d’un point de vue géographique et logistique, le service que nous offrons aux clients venant d’Espagne, de France, d’Italie et d’Europe du Nord. L’année dernière sur cet itinéraire, alors que la saison avait déjà commencé, et grâce à une offre très compétitive, nous avons saturé toute la capacité disponible. Pour cette année, nous prévoyons de doubler la capacité, démontrant à quel point notre volonté d’investir à nouveau sur cette ligne en ajoutant un navire de plus par rapport à 2022.
F. N. H. : La ville de Tanger s’accapare la part du lion en ce qui concerne les liaisons. A quand la destination Casablanca ?
M. C. : GNV est toujours à la recherche de nouveaux itinéraires, c’est donc une évaluation que nous pourrions théoriquement faire. Je me souviens que l’année dernière, en acceptant la suggestion des autorités, nous avons ajouté la liaison de Civitavecchia, une liaison que nous avons reconfirmée cette année. Cependant, il est clair que relier Casablanca aux ports européens, du moins à ceux dans lesquels nous opérons actuellement, ne serait pas un investissement justifiable et durable et probablement même pas une valeur ajoutée pour nos clients. L’excellent développement infrastructurel réalisé par le Royaume rend beaucoup plus pratique d’arriver à Tanger, puis de rejoindre Casablanca par voie terrestre avec son propre véhicule, plutôt que de passer par une navigation côtière certes plus confortable, mais aussi plus longue. Bien sûr, pour les passagers, il serait spectaculaire de pouvoir naviguer avec une vue sur la côte atlantique.
F. N. H. : Votre compagnie entend améliorer les services à bord des navires en faveur des voyageurs de l’Afrique du Nord, avec notamment des prix compétitifs. Comment comptez-vous vous y prendre pour satisfaire la demande ?
M. C. : Nous inscrivons notre développement dans une démarche de travail commune qui nous engage chaque jour aux côtés de la Marine marchande, notre administration de tutelle, et de la Fondation Mohammed V qui coordonne l’opération Marhaba. Les points sur lesquels nous nous concentrons sont la recherche de la ponctualité. Nous essayons de la maximiser à travers la tour de contrôle, notre centre hautement technologique actif 24h/24 et 7j/7 qui nous permet de surveiller en permanence l’ensemble de la flotte. Sans oublier une série de facteurs clés pour son efficacité, y compris la vitesse, les changements d’itinéraire et l’impact des prévisions météorologiques sur le trajet, et donc d’intervenir si nécessaire. En ce qui concerne les prix, ces dernières années, les fortes augmentations du coût du carburant (bunkers) ont conditionné l’ensemble de la filière à l’inévitable nécessité de résorber au moins une partie de ces augmentations en aval. Cependant, contrairement à d’autres compagnies, notre flotte est composée de grands navires capables d’être plus performants et d’amortir les coûts variables mieux que d’autres, et donc de réduire au minimum ces interventions.
En matière de prix, nous utilisons une politique de réservation à l’avance grâce à laquelle nous offrons des tarifs privilégiés et très compétitifs à ceux qui réservent longtemps à l’avance, donnant également aux clients la possibilité d’accéder au service de prévente grâce auquel il est possible de payer 30% immédiatement et les 70% restants dans les trente jours avant le départ. GNV est déjà aujourd’hui le premier transporteur maritime en Méditerranée par le nombre de lits disponibles, qui est la caractéristique la plus demandée par la cible marocaine, et le second par la disponibilité des mètres linéaires pour l’arrimage des voitures accompagnant les passagers et les marchandises. Ce sont ces caractéristiques qui nous ont permis de construire des bases aussi solides au Maroc. Et à partir de fin 2024, le premier des quatre nouveaux navires prévus et en construction arrivera. Plus spécifiquement, en ce qui concerne les nouveaux services que nous proposons, je soulignerais le nettoyage à bord des navires. Pour ce service, nous avons entamé l’année dernière une collaboration avec une entreprise locale, qui travaille aux côtés de notre personnel de bord pour mettre en ordre le navire pendant des escales à Tanger et Nador. Il s’agit de rendre les opérations plus rapides et plus efficaces, garantissant le confort des passagers qui embarquent à bord. Un autre élément que nous avons renforcé est l’offre alimentaire, à travers le partenariat avec le chef étoilé marocain, Moha, pour la révision des menus. En ce qui concerne le personnel, nous augmentons chaque année le nombre de professionnels marocains à bord de nos navires. Et cela nous permet d’améliorer la relation avec les clients et la compréhension de leurs besoins. Côté animations, nous avons renouvelé la présence d’un groupe musical marocain et pensé à de nouvelles activités dédiées aux enfants. En général, nous essayons de beaucoup travailler sur l’accueil à bord, en restant en totale harmonie avec l’opération Marhaba.
F. N. H. : Quel est le plan de développement de GNV en matière de transition écologique ?
M. C. : Notre entreprise est résolument engagée depuis un certain temps et sur plusieurs fronts, internes et externes, en vue de contribuer à la transition écologique. La flotte de ferries de GNV est la plus importante que nous ayons en Méditerranée. Cela nous aide à optimiser les trajets et donc la consommation totale d’énergie. Cependant, je dois ajouter que les objectifs fixés par les législateurs supranationaux en termes de réduction des émissions sont très exigeants. A la base de la transition écologique que nous croyons tous juste et qu’il faut poursuivre au plus vite à notre avis, il y a un manque de prise de conscience et de clarté sur les vrais outils disponibles, sur les temps d’adaptation nécessaires pour y parvenir et, surtout, sur la ligne commune à suivre. Les différentes réglementations nationales et supranationales sont encore mal coordonnées et n’indiquent pas une voie unique à suivre en matière d’investissements. Nous devrions faire le point sur la situation et planifier avec plus de partage. Par exemple, la conversion au GNL est actuellement poussée et GNV a déjà décidé d’investir dans cette direction : deux des quatre nouveaux navires seront en effet propulsés au gaz naturel liquéfié (GNL). Mais il faut insister sur le fait qu’il s’agit d’une solution transitoire et qu’elle ne permet des avantages que dans la phase de combustion (celle qui sort de la cheminée pour ainsi dire). Cependant, si l’on considère l’ensemble du cycle du produit, les avantages par rapport aux combustibles fossiles sont marginaux. Accélérer à grande échelle sur le changement de carburants sans définir la solution définitive revient à charger le navire de coûts très importants. On parle de millions d’euros pour chaque unité navale sans avoir un réel avantage net en termes d’émissions totales. L’épilogue risque de conduire au seul effet réel d’augmentation des coûts de gestion et de transport, et cela se traduirait également par des augmentations pour les usagers sans avoir le réel bénéfice «environnemental» recherché. En matière de transition écologique, nous tenons à souligner que nous n’attendons pas le législateur. Mais soutenus par notre groupe d’adhérents, la compagnie mondiale de transport maritime de conteneurs (MSC), premier armateur mondial, nous procédons à tous les investissements utiles à la cause. L’exemple est justement celui du gaz naturel liquéfié (GNL) qui, même s’il n’est pas la solution définitive, représente la meilleure actuelle.