Bien que longuement signalée, l’absence d’une stratégie économique globale persiste, entraînant un effet limité des plans sectoriels. Le pays ne peut faire ni l’économie de réformes structurelles ni l’amélioration du climat des affaires.
Nous en parlions déjà en 2010, suite au Discours royal du 30 juillet de la même année ! Le Souverain soulignait dans son discours qu’«aussi encourageants qu'ils soient, les résultats enregistrés dans la mise en oeuvre des différents plans sectoriels ne devraient pas pour autant occulter le fait que ces plans resteront d'une efficacité limitée tant que ne seront pas levées trois entraves majeures». Malheureusement, cela est plus que jamais d'actualité : la première est la faible compétitivité. La deuxième se résume aux limites qui caractérisent la gouvernance de ces plans, notamment l’absence d’une synergie entre ces derniers, dans le cadre d'une vision stratégique intégrée.
«Enfin, le troisième obstacle -qui représente en fait le plus grand défi- est celui qui pénalise la mise à niveau des ressources humaines. Ici, le devoir de vérité s'impose avec franchise et sans nulle complaisance : la responsabilité est collective», relève le Roi dans son discours du 30 juillet 2010.
En 2016 donc, et à quelques mois, voire semaines de la tenue des Assises de l’Industrie, qui marquent cette année le deuxième anniversaire du lancement du Plan d’accélération industrielle (PAI), force est d’admettre que ces mêmes entraves persistent encore. En témoigne une analyse récente du Centre marocain de conjoncture, confirmant que «les stratégies sectorielles peinent à impulser une dynamique de réformes fermes et vertueuses pour faire face aux défis des secteurs-clés de l’économie nationale en matière de valorisation des ressources humaines et naturelles, de diversification des marchés et de construction d’une vision partagée d’intégration et d’impulsion des synergies intersectorielles».
On ne répétera jamais assez que le Royaume a besoin de refonder les différents plans dans une vision qui soit globale. Parce qu’il s’agit du pays, avec ses mêmes ressources qu’elles soient naturelles, humaines ou financières; et avec les mêmes contraintes, même pressions et même ambitions. «Au Maroc, nous avons fait la démarche inverse. Nous avons commencé à planter des plans çà et là dans le désordre et ce n’est que maintenant qu’on se pose la question de la cohérence. Or, c’est la démarche inverse qu’on aurait dû suivre en préparant une vision globale et ensuite meubler cette vision avec des démarches sectorielles et territoriales. Actuellement, pour nous, il s’agit de remettre les choses à l’endroit», analysait Najib Akesbi, économiste et professeur à l’Institut vétérinaire et agronomique Hassan II sur nos colonnes il y a des années déjà.
En juillet 2014, Adil Douiri, le président de l’Alliance des économistes istiqlaliens, déplorait que le gouvernement n’a toujours pas élaboré une stratégie globale et cohérente de croissance.
Il faut reconnaître qu’à la base, l’intention de cette dynamique sectorielle est bonne : desserrer la dépendance de l’économie à l’égard du secteur primaire, toujours prédominant de par son emploi de plus de 40% de la population active et sa participation à près de 15% au PIB. Notamment à travers le secteur secondaire, qui représente 25% du PIB, et par le biais des différentes branches d’activités aussi bien classiques que nouvelles, à savoir l’automobile, l’aéronautique, entre autres.
Des effets limités des plans sectoriels
Comme le prédisait donc SM le Roi dans son Discours, les effets limités des plans sectoriels se sont effectivement fait sentir. «Le Plan Maroc Vert (PMV) porte l’ambition de reconfigurer structurellement le tissu de la production agricole nationale pour réduire sa dépendance et sa déficience face aux aléas climatiques. Les résultats restent, par ailleurs, mitigés s’agissant des objectifs attendus du renforcement du développement de l’agriculture solidaire à travers l’entrée du pilier II, notamment en matière d’amélioration des revenus des acteurs de l’agriculture solidaire visant à réduire la pauvreté et la précarité en milieu rural», note le Centre marocain de conjoncture.
Le constat est d’autant plus mitigé que le contrat-programme de l’industrie agroalimentaire n’a pas été signé en 2015, comme prévu initialement.
Du côté d’un secteur-phare de ces dernières années, l’automobile, pour ne pas la citer, il y a urgence à pallier certaines insuffisances, qui risquent de pénaliser l’évolution fulgurante de ce secteur, qui positionne le Royaume comme deuxième producteur en Afrique avec plus de 227.000 véhicules produits, en 2014. De ce fait, trois points essentiels ne doivent pas être perdus de vue de la part de Moulay Hafid Elalamy, ministre de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Economie numérique, le cadre du PAI, à savoir le renforcement de l’aspect logistique, la diversification des marchés à l’export et la couverture du déficit en matière de ressources humaines pointues pour répondre aux besoins spécifiques de ces nouveaux métiers mondiaux du Maroc.
Idem pour le secteur aéronautique dont le positionnement, selon le CMC, est impératif : «Un intérêt particulier doit être porté à la montée en chaîne de valeur par la diversification de l’offre exportable et la formation d’une main-d’oeuvre qualifiée à même de répondre à la demande en forte croissance d’investisseurs mondiaux de grande envergure».
La loupe des conjoncturistes s’arrête également à un autre plan sectoriel autre que le PMV ou le PAI, celui de la Vision 2020 du tourisme qui doit faire face à plusieurs contraintes, notamment le financement pour combler une capacité d’hébergement déficitaire d’au moins 150.000 lits ou encore la promotion du tourisme interne, principale roue de secours face à la versatilité de la conjoncture internationale.
Le tout dépend du climat des affaires
En stratégie globale ou plans éparpillés, l’économie nationale dépend en grande partie de l’environnement des affaires qualifié de velléitaire et qui demande à gagner en consistance, selon le CMC.
En effet, s’il faut se féliciter de voir le Maroc progresser de plusieurs places dans le classement de la Banque mondiale, en gagnant notamment cinq places dans le classement de 2016, il n’en demeure pas moins vrai qu’être au 75ème rang sur 189 pays n’est pas un exploit à proprement parler ! D’autant plus que le Maroc atterrit à la 6ème place de la région MENA, derrière la Tunisie (74ème sur le Doing business 2016), classée première au Maghreb malgré tous les évènements que ce pays a traversés depuis l’avènement du printemps arabe. «Globalement, le Maroc arrive à maintenir, cahin-caha, un cap d’amélioration de son classement, dans le cadre du Comité national de l’environnement des affaires (CNEA) instauré en 2010, en s’appuyant sur une approche participative associant acteurs publics et privés. Toutefois, le rang 75 sur 189 pays, notifié dans l’édition 2016, appelle encore des réformes profondes pour garantir un climat plus favorable aux affaires», note le CMC. Encore faut-il espérer un changement de cap de ce gouvernement, en fin de vie ? Wait and see.
Imane Bouhrara