Après une paralysie qui a duré plus de 2 ans, l’industrie touristique marocaine retrouve des couleurs.
Comme tant d’autres, le secteur touristique a pris le virage de la transformation digitale. Le marché est en perpétuelle évolution et les nouvelles technologies ont un impact non négligeable sur les enjeux de croissance économique du secteur.
Finances News Hebdo s’est entretenu avec Wissal El Gharbaoui, secrétaire générale de la Confédération nationale du tourisme, en marge des assises de l’AUSIM.
Propos recueillis par M. Ait Ouaanna
Finances News Hebdo : Après deux années de crise sanitaire, le secteur touristique marocain s’approche de plus en plus de son niveau préCovid-19. Où en est la relance ? Quelle évaluation en faites-vous ?
Wissal El Gharbaoui : La première bonne nouvelle c’est que depuis le début de l’été 2022, la demande mondiale a connu une forte augmentation et les chiffres dépassent même les prévisions faites par les différents opérateurs. La deuxième bonne nouvelle est que la destination Maroc est également concernée par cette augmentation, puisque, aujourd’hui, toutes les capacités aériennes vers le Royaume se remplissent très bien. Par ailleurs, le contexte mondial difficile, suite aux tensions très fortes liées à la guerre ukrainienne, à l’inflation, à l’augmentation des prix des matières premières, notamment du carburant, a un impact direct sur le coût du transport aérien. Un autre hic : le pouvoir d’achat des ménages est aujourd’hui mis à mal, particulièrement au niveau du continent européen considéré comme notre principal bassin émetteur de touristes. Tous ces éléments font que la compétitivité des destinations, notamment la destination Maroc, est mise sous pression. Il est donc nécessaire de réfléchir à des solutions qui vont renforcer la résilience de notre destination. En termes d’activité et de reprise, le Maroc avait réalisé en 2019 un taux d’occupation moyen de près de 48%, à l’échelle de l’ensemble des établissements d'hébergement touristique. Cette année, ce taux avoisine les 38%, soit 10 points de moins par rapport à l’année 2019. Cet écart s’explique par le fait qu’au début de l’année en cours, les frontières marocaines étaient toujours fermées. Les vols n’ont repris qu’en février, et puis ce n’est qu’après le ramadan que la reprise a commencé à être plus visible, grâce notamment à la belle dynamique qu’a connue le tourisme national et balnéaire avec l’arrivée des MRE. Cependant, en termes de performance, cette dynamique reste encore insuffisante. Pour que nous puissions avancer et évoluer, il est primordial de soutenir l’industrie touristique à travers notamment un doublement des capacités d’avions mis à la disposition de la destination Maroc. Certes, cela nécessite des moyens financiers, en plus de l’implication de l’ensemble des partenaires, mais il s'agit du premier élément déterminant, puisqu’il va conditionner tout le reste.
F.N.H. : Aujourd’hui, le digital s’impose comme une nécessité. Quel est son impact sur l'industrie touristique ?
W.E.G. : S’il y a un secteur dans lequel le digital a un rôle très important à jouer, c’est bien celui du tourisme. D’abord, côté marketing, le digital peut être utilisé par une entreprise touristique pour donner envie à des clients potentiels, à travers du contenu inspirationnel, et pour donner plus de visibilité à une destination ou à un produit, jusqu’à l’acte de conversion de cette inspiration en opération d’achat. Sur un autre volet, le digital peut être utile pour l’exploitation. Dans un établissement d'hébergement, nous pouvons aujourd’hui digitaliser bon nombre de fonctions. A titre d’exemple, le client peut aujourd’hui accéder à sa chambre sans clé, rien qu’en téléchargeant un QR Code, dans le cadre du «contactless». Autre exemple, le contrôle de la climatisation, de la lumière, du chauffage, ou encore du chauffe-eau peut aujourd’hui se faire à travers une application. Ce sont des gestes qui sont en faveur de la réduction des coûts de production, mais également d’une démarche plus durable et plus responsable parce que nous réduisons l’usage des matières polluantes. Ainsi, le digital nous permet d’être éco-responsable et plus efficace. Autre avantage : le digital nous permet de mieux connaître nos clients grâce à la collection de data qui permet par la suite à l’entreprise d’adapter ses propositions aux attentes de cette clientèle. Le digital est devenu aujourd’hui une nécessité absolue pour toutes les entreprises, à condition d’avoir une bonne démarche et de se donner les moyens de réussir sa transformation digitale.
F.N.H. : Que recommandez-vous aux entreprises du secteur pour mener à bien leur transformation digitale ?
W.E.G. : J’appelle l’ensemble des opérateurs touristiques, quel que soit leur segment d’activité, à ne pas hésiter à solliciter des professionnels qui vont leur proposer des stratégies cohérentes et adaptées à leur entreprise, à leur produit, à leurs objectifs, ainsi qu’à leur activité. Ensuite, il est important de former des équipes et des compétences. Aujourd’hui, chaque entreprise, peu importe son type et sa taille, doit être capable d’avoir à sa disposition des collaborateurs très à l’aise en matière de digital. Cela permet d’augmenter la visibilité du produit ou de l’entreprise, mais également de créer un lien entre celle-ci et le futur consommateur. Cela devrait être fait dans une démarche structurée, organisée et bien pensée. Au sein de la CNT, nous travaillons sur un partenariat solide avec l’AUSIM, qui nous permettra de créer les conditions de succès de la transformation digitale du secteur du tourisme et de toutes les entreprises qui le composent. Nous espérons pouvoir opérationnaliser ce partenariat le plus rapidement possible et nous souhaitons que les entreprises de l’industrie touristique s’inscrivent dans cette dynamique. F.N.H. : Quelles sont les actions mises en place par la Confédération nationale du tourisme (CNT) pour inciter les opérateurs de l’industrie touristique à aller vers la digitalisation ? W.E.G. : Aujourd’hui, la Confédération est en train de mettre en place un certain nombre d’outils d’accompagnement des entreprises dans leur transformation digitale. Justement, le partenariat avec l’AUSIM est l’un des outils majeurs qui va nous permettre de construire des solutions économiquement viables pour les entreprises, grâce à la collaboration avec des experts, des partenaires technologiques de très haut niveau. Il s’agit bien là, du rôle de la CNT, celui de connecter les écosystèmes en faveur de la compétitivité et de la performance économique des entreprises qui y adhèrent.
F.N.H. : Outre la digitalisation, quels sont selon vous les principaux chantiers à mener pour renforcer la compétitivité du secteur touristique national ?
W.E.G. : Un ensemble de coûts de production, que ce soit sur le plan fiscal, en termes de matières premières ou au niveau du coût de l’énergie, handicapent la compétitivité de la destination. La destination Maroc est suffisamment attractive, il faut donc travailler sur la compétitivité du marché interne et externe. Pour ce qui est du tourisme intérieur, il s’agit d’un marché majeur pour le tourisme marocain. Ce dernier pèse aujourd’hui entre 30% et 34% des nuitées enregistrées dans les établissements d'hébergement touristique, et l’objectif est d’atteindre un taux de 50%. Pour travailler là-dessus, nous avons déjà proposé un certain nombre de leviers afin de rendre la demande intérieure encore plus dynamique. D’abord, il faut lutter contre l’informel en permettant aux ménages marocains de consommer le secteur touristique marocain formel. Ensuite, il faut mettre en place un dispositif d’incitation appelé le «chèque-vacances», qui a donné d’excellents résultats ailleurs, et qui devrait être défiscalisé. Il s’agit d’éléments parmi plusieurs autres qui vont nous permettre de dynamiser la demande du marché national et d’atteindre 50% des nuitées enregistrées dans les établissements d'hébergement. Sans oublier également qu’il faut faire des efforts pour rendre la mobilité à l’intérieur du territoire marocain facile et peu coûteuse.