◆Les victimes éprouvent des difficultés pour se faire indemnisés rapidement, malgré les mesures prises.
◆La bataille n’est pas uniquement judiciaire ou réglementaire, mais elle concerne également la sensibilisation.
Par : Charaf Jaidani
La spoliation immobilière a défrayé la chronique ces derniers temps. Le nombre de cas portés devant la justice n’a cessé d’augmenter. Au point qu’il a interpellé les plus hautes sphères de l’Etat. Le Roi Mohammed VI a évoqué cette question lors de ses précédents discours, insistant sur la nécessité de lutter avec fermeté contre ce phénomène, et invitant les différents pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) à redoubler d’effort pour réussir cette mission.
Depuis cette date, de nouvelles mesures d’ordre législatif et réglementaire plus musclées ont vu le jour. La dernière en date est le projet de loi 32.18 modifiant et complétant la loi 22.01 relative à la procédure pénale adoptée au parlement en mai dernier.
Pour sa part, la Conservation foncière a mis en oeuvre au profit des propriétaires une panoplie de dispositions pour s’enquérir systématiquement de tout changement concernant leurs titres fonciers. Le digital est appelé à la rescousse et des applications ont été conçues spécialement à cet effet.
L’Association droit et justice au Maroc (ADJM), qui regroupe des centaines de victimes essentiellement des Marocains résident à l’étranger (MRE) sans compter des juristes et autres militants de la société civile, reconnaît que beaucoup de choses ont été faites mais cela reste insuffisant pour barrer la route définitivement aux malfaiteurs.
«Le risque zéro n’existe pas mais il faut le réduire au maximum. D’abord, il faut sanctionner sévèrement les personnes incriminées dans les affaires de spoliation et surtout dédommager le plus rapidement possible les victimes dont certains sont lourdement touchés et n’arrivent pas encore à surmonter le choc subi», souligne Moussa Elkhal, membre de l’ADJM.
Toutefois, l’association constate que les mesures préventives ont montré leur pertinence pour les biens titrés mais s’interroge sur la protection des propriétés non titrés.
«Les pratiques de spoliation ne sont pas les mêmes pour un bien immatriculé comparativement avec un autre non titré. C’est plus facile lorsque la propriété est sous le régime foncier traditionnel. Ce système présente une série d’inconvénients comme l’absence de publicité des droits prétendus. Le régime implique le plus souvent une méconnaissance par les tiers notamment les ayants droit de la propriété concernée, son emplacement, sa superficie, son bornage ainsi que la nature et l’étendue des droits qui s’y exercent et de leur véritable détenteur», explique Maître Jad Aboulachbal, notaire à Casablanca.
Généralement, les spoliateurs agissent en bandes organisées. Parmi les personnes impliquées, figurent le plus souvent des notaires, des avocats, des agents immobiliers et autres intermédiaires. C’est-à-dire des personnes qui maîtrisent parfaitement le droit foncier et les rouages des administrations concernées.
Le mode opératoire le plus usité consiste à déployer de faux testaments ou procurations ou carrément opter pour une usurpation d’identité surtout pour les personnes étrangères ayant des biens au Maroc.
«Pour un bien non titré, on s’appuie sur de faux témoignages afin de justifier une durée de possession paisible et publique qui fera jouer la prescription acquisitive au profit du spoliateur», explique Aboulachbal.
Il faut noter que le taux d’immatriculation à la conservation foncière reste encore relativement faible. Il ne dépasse pas les 35% des propriétés recensées sur tout le territoire national. C’est ce qui explique la méfiance des acquéreurs des biens non titrés. D’où la nécessité d’investir de nouvelles pistes pour protéger les propriétés, surtout celles non immatriculées
8.000 propriétés délaissées
Suite à la vague d’opérations de spoliation entamée dès le début des années 2000 avec la flambée des prix de l’immobilier et qui s'est accentuée à partir de 2007, le gouvernement a décidé de procéder à un recensement des propriétés délaissées et risquant d’être spoliées. L’initiative a comptabilisé 8.000 unités localisées, essentiellement dans le périmètre urbain.
Il est plus facile de les distinguer du fait qu’elles présentent toutes des signes quasi similaires : vétusté de leur état, coupure de l’eau et de l’électricité depuis longtemps et absence de fréquentation humaine. Les numéros des biens titrés ont été communiqués aux conservations foncières concernées.