Jaouad Dequiuec, directeur de la Coopération, des Etudes et de la Coordination sectorielle auprès du ministère délégué chargé des Marocains résidant à l’étranger et des Affaires de la migration.
Le Maroc compte aujourd’hui près de 5 millions de ses ressortissants à l'étranger.
75% des brevets déposés dans le Royaume proviennent des MRE.
Plusieurs mécanismes de nature à inciter les MRE à investir au Maroc ont été mis en place.
Par M. Diao
Finances News Hebdo : Quels sont les secteurs au Maroc qui attirent le plus les investissements des MRE ?
Jaouad Dequiuec : Les investissements des MRE au Maroc sont très faibles, et représentent seulement 10% des transferts, tandis que 20% sont placés dans des dépôts bancaires, le reste (70%) va à la consommation. Parmi les 10% investis, 70% vont vers l’immobilier et 20% vers l’investissement dans les services et l’industrie.
F.N.H. : Comment la diaspora marocaine peut-elle contribuer davantage à l'amélioration du tissu entrepreneurial national et au développement de l'économie ?
J. D. : Le Maroc compte aujourd’hui près de 5 millions de ses ressortissants à l'étranger. Ces derniers maintiennent un lien très étroit avec leur pays d’origine et un sentiment très fort d’appartenance au Royaume. Cela se manifeste par un retour massif au pays durant la période estivale d’été qui concerne chaque année près de 2,8 millions de personnes, ainsi que par un mouvement de transfert de fonds important de plus de 65 milliards de dirhams en 2017, soit une contribution de 6,5% au PIB.
En plus de l’attachement identitaire au pays, qui constitue un élément central de motivation pour la majorité des Marocains résidant à l’étranger (MRE), le Maroc est considéré pour eux comme un marché porteur au sein duquel ils cherchent à mettre à profit un avantage compétitif acquis à l’étranger, notamment en termes de savoir, de savoir-faire, d’expertise et de réseautage dans divers domaines.
En effet, selon une étude réalisée par notre institution, la volonté d’investir au Maroc est confirmée chez 88% des jeunes marocains du monde. Les MRE présentent un fort potentiel de développement socioéconomique pour le Maroc. Selon une étude réalisée par l’OCDE en 2016, sur un échantillon de 2,6 millions de MRE concernés par l’étude dans les pays de l’OCDE, 500.000 MRE ont un diplôme supérieur (Bac+5), 7.000 sont des médecins et 50.000 des étudiants en mobilité internationale. C’est dans ce sens que le Maroc a élaboré une stratégie au profit de ses citoyens résidant à l’étranger.
Cette politique tourne autour de trois axes stratégiques. Le premier concerne la préservation de l’identité des Marocains du monde (MDM), le second porte sur la protection des droits et des intérêts des MDM et le troisième cible la promotion de la contribution des MDM au développement du pays.
Ces axes stratégiques ont été déclinés en plusieurs programmes d’action. L’un de ces programmes qui constitue une priorité de la stratégie est la promotion de l’investissement et de l’entrepreneuriat des MDM. En effet, les compétences marocaines à l’étranger constituent un vecteur potentiel d’investissements au Maroc. 75% des brevets déposés au Maroc proviennent des Marocains du monde.
F.N.H. : Quelles sont les mesures-phares prises par votre Département ministériel pour permettre aux MRE d'investir dans le pays ou de s'y installer et monter leur structure ?
J. D. : Au cours des dernières années, nous avons assisté au Maroc à un accroissement important du nombre d’entreprises créées sous l’impulsion d’entrepreneurs, d’investisseurs et de talents marocains résidant à l’étranger qui appartiennent à une communauté de plus de 5 millions de femmes et d’hommes répartis dans près de 120 pays.
Le ministère délégué chargé des Marocains résidant à l’étranger et des Affaires de la migration s’est fixé comme priorité d’encourager cette dynamique entrepreneuriale à travers notamment la mise en place d’une cellule dédiée à l’accompagnement des investisseurs MRE, ayant pour mission d’informer et d’orienter les investisseurs potentiels sur les différents secteurs de l’économie, d’assister les porteurs de projets durant toutes les étapes de réalisation de leurs projets, de la conception jusqu’à la concrétisation de leur investissement, ainsi que d’identifier les formes de partenariat à mettre en place avec les acteurs locaux pour inciter et encourager les MRE à contribuer au développement de leur région. Un accompagnement régional est assuré par les Maisons MRE de Nador, Béni Mellal et Tiznit au profit des porteurs de projets originaires de ces régions. Ceci s’inscrit dans le cadre de la proximité de l’administration et des MRE.
Le ministère a aussi créé une plateforme digitale www.marocainsdumonde.gov.ma comportant une rubrique entièrement dédiée aux investisseurs intitulé «investissement» qui rassemble les informations relatives à l’acte d’investissement (guide à la création de l’entreprise, climat d’affaires, grands chantiers économiques…).
Dans le cadre du renforcement des capacités internes en matière d’orientation et d’accompagnement des migrants qui souhaitent créer une TPE ou une PME au Maroc depuis la genèse de l’idée dans le pays d’accueil jusqu’à la concrétisation du projet au Maroc, un système d’information pour le suivi des investissements des MRE et une base documentaire dédiée sont en cours de mise en œuvre.
Pour inciter les MRE à investir au Maroc, renforcer et pérenniser leur lien économique avec le Maroc, un dispositif d’appui financier «MDM Invest» a été reconduit. Ce mécanisme d’encouragement des investissements des MRE est articulé autour d’un apport en fonds propres en devises (au moins 25% du montant du projet), d’une subvention de l’Etat (10%) plafonnée à 5 MDH et d’un crédit bancaire (si nécessaire) qui peut atteindre 65% du montant du projet. Ce fonds est géré par la CCG. Les secteurs d’activités éligibles à ce mécanisme sont l’industrie et les services liés à l’industrie, l’éducation, l’hôtellerie et la santé. Également pour des start-up et porteurs de projets innovants, il existe le «Fonds Innov Invest» destiné au financement de l’innovation (www.ccg.ma/innovation).
Le ministère a développé également des partenariats stratégiques dans le cadre de la coopération bilatérale avec la France, pour la mise en place du projet «Maghrib entrepreneurs» avec l’Agence française de développement afin d’appuyer la création d’entreprise par les MRE. Ce projet assure un accompagnement individuel et de proximité en faveur de 100 porteurs de projets à travers deux volets : l’information et la sensibilisation en France, l’appui et l’assistance technique au Maroc et également avec la Belgique à travers le projet Maghrib Belgium Impulse, dont l’objet est l’accompagnement des porteurs de projets belgo-marocains pour réaliser des projets d’investissements productifs, qui contribuent prioritairement au développement de l’économie marocaine. Le ministère et la CGEM ont lancé en juillet 2017 la «Région 13» dédiée aux entrepreneurs MDM. Il s'agit d'une plateforme qui a pour objectifs de créer un espace d’échange entre ces Marocains et ceux du Maroc et d’inciter les investisseurs MRE à s’implanter et opérer sur le marché national. Le but est de faciliter le développement des échanges économiques marocains sur les marchés étrangers.
F.N.H. : En 2018, les transferts des MRE ont baissé de 1,1 Md de DH pour se situer à 64,8 Mds de DH. Pourquoi, cette baisse selon vous ? Ce recul est-il conjoncturel ?
J. D. : Les transferts des MRE ont enregistré une progression remarquable au cours des dernières années, avec une accélération considérable durant la dernière décennie. Sur le plan macroéconomique, les transferts de fonds constituent une source de capitaux, peu volatile et moins influencée par l’environnement international que les autres flux, assurant un apport appréciable pour les équilibres macroéconomiques du pays. Ils représentent également un enjeu crucial pour la performance et le développement de quelques secteurs de l’économie nationale.
Leur contribution à la balance des paiements reste fondamentale et dépasse celle de plusieurs secteurs exportateurs phares. En 2017, les transferts d’argent des Marocains résidant à l’étranger vers leur pays d’origine ont totalisé 65,4 MDH milliards de dirhams, avec une hausse de 13%, soit le niveau le plus haut de ces six dernières années. Ils ont permis de couvrir 64% du déficit commercial.
Au titre de l’année 2018, malgré la légère baisse qu’ont connu les fonds transférés par les MRE, le Maroc est le 3ème pays récipiendaire des fonds des migrants dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) selon le dernier numéro de la publication de la Banque mondiale et la KNOMAD intitulée Migration and Development (Décembre 2018).
F.N.H. : Quelle est la nature des rapports existants entre votre ministère et les MRE ?
J. D. : Les types de relations entre les MRE et le ministère sont diverses et complémentaires. Elles contribuent toutes ensemble au renforcement de l’attachement identitaire des MDM à leur pays d’origine, et de favoriser la proximité du ministère et des administrations nationales à nos concitoyens à l’étranger, afin de veiller à la protection de leurs droits et de promouvoir leur contribution au développement du Maroc.
Cette approche qui s’inscrit dans les dispositions de la Constitution du Royaume, permet d’établir des liens de confiance et de collaboration entre les Départements ministères et les MRE. Ces liens puisent leurs fondements à partir de plusieurs discours de Sa Majesté le Roi, que Dieu l’assiste, qui insiste sur la nécessité d’accueillir et de traiter les MDM avec courtoisie et respect.
Ces liens se manifestent par plusieurs types de canaux d’échange entre les MRE et le Maroc, d’une manière générale, et le ministère en particulier. Il y a lieu de citer d’abord le contact incessant et interactif qui s’établit lors de leur retour massif au Maroc en été, durant l’opération Marhaba, et au cours de laquelle plus de 2,8 millions de Marocains regagnent le Maroc, pour les vacances estivales. Ce retour qui témoigne de l’attachement indéfectible des MRE à leur pays d’origine, constitue une occasion où le Département ministériel renforce ses liens avec les MRE, à travers plusieurs programmes d’accompagnement et de communication.
En effet, le ministère a mis en place au niveau central et au niveau des services extérieurs, un système de permanence, qui permet de rester en continu à l’écoute des MRE afin de répondre instantanément à leurs requêtes.
De même, afin de renforcer ces liens, il a été initié le développement des outils de proximité des MRE au niveau de leurs régions natales, à travers, notamment la création des services extérieurs du ministère, à savoir les maisons des MDM et des affaires de la migration, dans un premier temps au niveau de trois régions, Nador, Béni Mellal et Tiznit, et dans d’autres régions en perspective.
Comme vous le savez, la tutelle organise plusieurs manifestations durant lesquelles elle fait appel à nos concitoyens à l’étranger. Je cite à titre d’exemple la participation chaque année des MRE aux festivités de la fête du Trône, aux programmes spécifiques du ministère qui constituent un espace d’échange de réflexion commune à toutes les questions les concernant dans lesquels, ils sont eux-mêmes acteurs.
Les relations sont exemplaires et se manifestent par la demande massive que les MRE expriment pour participer aux différentes activités, à savoir les forums des compétences marocains à l’étranger, qui sont géographiques ou thématiques, les universités culturelles, les programmes destinés aux jeunes, notamment les colonies de vacances, les séjours culturels … etc.
La journée du 10 août, célébrée chaque année au niveau de toutes les régions et provinces du Royaume, et à laquelle participent les MRE lors de leur séjour au Maroc, constitue également une occasion importante pour renforcer les liens entre les MDM et leurs pays d’origine, à travers notamment, des rencontres avec des institutions nationales, dont la nôtre, en répondant à leurs questions et préoccupations.
Convaincus du rôle que joue notre institution dans la défense de leurs droits culturels, économiques et sociaux, les MRE ne manquent pas à leur tour d’occasion pour impliquer le ministère, comme acteur stratégique, dans toutes les initiatives qu’ils mènent, à travers leurs organisations (Réseaux, associations, …), que ce soit au Maroc ou dans les pays d’accueil.
Le Royaume a également mis en place une stratégie de communication interactive avec les MDM, à travers des échanges directs et les réseaux sociaux.
Enfin, le ministère a instauré une approche d’écoute et d’échange avec les MRE sur place, à travers des visites aux MDM dans les pays d’accueil, afin de répondre à leurs demandes et leurs requêtes, in situ, en présence des institutions publiques nationales concernées telles que, la justice, la conservation foncière, la douane, les impôts, la CGEM, la CNSS etc. ◆