Poursuivre les réformes: c’était la volonté exprimée par le camp de Benkirane lorsqu’il battait campagne pour les législatives.
Entre la réforme de la retraite, du système de compensation ou encore du système éducatif, le prochain gouvernement aura de quoi faire pour cette législature. Mais au regard des enjeux socio-économiques, mener à bien ces réformes nécessitera un vrai courage politique.
Au moment où nous mettions sous presse, les tractations se poursuivaient toujours en vue de former le prochain gouvernement. Dans un contexte de bipolarisation de la scène politique marocaine, cette tâche, comme nous le disions tantôt, n’est point une sinécure. Le Chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, a ainsi la délicate mission de choisir ses nouveaux alliés avec lesquels il compte mener à bien cette législature.
A quel prix ? C’est la question que tout le monde se pose. Mais, d’ores et déjà, pour s’offrir une majorité confortable, il faudra s’attendre à ce que Benkirane forme un gouvernement pour le moins hétéroclite, qui aura pour corollaire un certain nombre de concessions. Dès lors, les promesses faites durant la campagne électorale, qu’elles relèvent de l’économique ou encore du social, seront reléguées aux calendes grecques au profit de l’arithmétique politicienne. Mais, quel que soit le gouvernement en place, il ne pourra se soustraire aux nombreux défis et chantiers auxquels l’économie marocaine doit faire face. Benkirane, durant sa «croisade» pour s’attirer les faveurs de l’électorat marocain, avait d’ailleurs formulé le vœu de poursuivre les réformes déjà entamées, dont l’une des plus importantes reste sans aucun doute celle du système des retraites. Aujourd’hui, il en a l’occasion. Un premier palier a été certes franchi dans le cadre de cette réforme des retraites nécessaire à la pérennité et à la viabilité des finances publiques.
Maintenant, il s’agira de la poursuivre, malgré les cris d’orfraie lancés par les centrales syndicales, hostiles à la mouture actuelle proposée (www.financenews.press.ma). Mais quand bien même les syndicats font de la résistance, le Chef de gouvernement a des alliés de taille, pour ne citer que le Conseil économique, social et environnemental, le Fonds monétaire international ou encore la Banque mondiale. La résolution rapide de ce dossier reste, à ce titre, une urgence. Et, récemment, à l’occasion de la tenue du Colloque international des finances publiques, Abdellatif Jouahri n’a pas dit autre chose. Selon le gouverneur de Bank Al-Maghrib, «plus on attend, plus le chemin devient plus compliqué, plus la solution devient difficile, plus la contestation est là et plus le politique recule».
Autre chantier sur lequel il faudrait se pencher : la poursuite de la réforme du système de compensation. Un dossier chaud, pour ne pas dire explosif, tant les implications socioéconomiques sont importantes. Néanmoins, contrairement aux précédents gouvernements qui ont préféré faire la politique de l’autruche, Benkirane et son équipe ont, reconnaissons-le, tenté de faire bouger les choses à travers notamment la suppression progressive du système de subvention du carburant. «Aujourd’hui, cette expérience peut être considérée comme étant réussie et est souvent citée par les instances internationales et les agences de notation comme un exemple», relève Jouahri. Pour autant, cela se caractérise par une asymétrie constatée depuis la libéralisation du secteur des carburants en décembre 2015, avec notamment une répercussion des cours internationaux sur les prix à la pompe au détriment du consommateur (on ne répercute pas la totalité de la baisse).
Par ailleurs, l’initiative gouvernementale a bénéficié, à l’époque, de la forte dépression des cours du baril de pétrole à l’international. Qu’en sera-t-il alors si le prix de l’or noir repart à la hausse ? En attendant de le savoir, il faudra aller plus loin dans la décompensation, parce d’autres produits subventionnés continuent de peser dans les finances publiques, notamment le sucre, la farine, mais surtout le gaz butane qui a représenté plus de 60% des dépenses de compensation en 2015. Aujourd’hui, on penche davantage vers un système qui privilégie les aides directes, mais les modalités de sa mise en œuvre sont loin d’être clairement définies. Et la nécessité de poursuivre cette réforme se mesure à l’aune de son impact sur les finances publiques : en 2012, la charge de la compensation avait atteint 57 Mds de DH, soit 6,7 % du PIB. En 2014, elle s’établissait à 27,6 milliards de dirhams, tandis qu’au titre de l'année 2015, elle s’est élevée à un «petit» 12 Mds de DH, répartis à hauteur de 73% pour le gaz butane et 23% pour le sucre. A fin août 2016, la charge de compensation a poursuivi sa baisse pour s’établir, selon les données de la Banque centrale, à 7,5 Mds de DH, en repli de 22,1% par rapport à la même période l’année dernière.
Système éducatif, un autre boulet
D’autres chantiers éminemment importants attendent par ailleurs le gouvernement, dont le système de santé, mais également et surtout le système éducatif, très décrié. Aujourd’hui, les experts sont unanimes sur une chose : il faut repenser le système éducatif dans sa globalité afin de lui permettre d’être en phase avec les aspirations légitimes du Maroc de demain. L’essentiel n’est pas de se glorifier du taux de scolarisation, mais plutôt de voir qu’au bout de la chaîne, il y a une problématique constante : l’inadéquation entre la formation et les besoins des entreprises. Dans son discours à la Nation prononcé le 20 août 2013 à l'occasion du 60ème anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple, le Souverain a d’ailleurs dressé un diagnostic sévère et sans détour de l’éducation et de la formation au Maroc. Il a notamment dénoncé la dégradation de l’enseignement qui «a conduit un grand nombre de familles, en dépit de leur revenu limité, à supporter les coûts exorbitants de l’inscription de leurs enfants dans les établissements d’enseignement relevant des missions étrangères ou dans le privé, et ce afin de leur épargner les problèmes rencontrés dans l’enseignement public et leur permettre de bénéficier d’un système éducatif performant». Pourtant, l’on se souvient que lorsque le PJD, parti actuel au pouvoir, battait campagne au titre des législatives 2011, il avait fait de la réforme du système de l’enseignement l’une de ses priorités. Cinq ans après, le discours sur la médiocrité du système éducatif n’a pas changé. Cette nouvelle législature suffira-t-elle pour réconcilier les ménages marocains à l’école publique ? Rien n’est moins sûr. En tout cas, à côté de ces chantiers prioritaires, le gouvernement devra composer, en parallèle, avec un certain nombre de facteurs exogènes et endogènes, dont l’environnement géopolitique international, les fluctuations du baril de pétrole ou encore la pluviométrie (voir encadré).
D. William
La pluie, l’impondérable
Que la pluie soit abondante et bien répartie dans le temps et dans l’espace ! C’est certainement la prière que formule tout gouvernement qui prend les rênes du pouvoir au Maroc. Parce que, tout simplement, une pluviométrie abondante est garante d’une bonne campagne agricole. En clair, l’agriculture reste le principal moteur de la croissance, dans un contexte où le PIB non-agricole n’arrive véritablement pas à décoller. Et l’histoire économique du Royaume en témoigne : les années où le Maroc a connu des taux de croissance économique «élevés» (entre 5 et 6%) sont celles où il a enregistré une très bonne campagne agricole. Cette croissance cyclique, qui dépend de la bienveillance de dame météo, ne permet pas cependant de résorber le taux de chômage. Et ce, d’autant qu’il faut des seuils de croissance de 6 à 7 % par an, durant plusieurs années successives, pour y venir à bout. Notons que dans sa dernière note de conjoncture, BAM estime que sur le marché du travail, le deuxième trimestre 2016 a été caractérisé par une perte de 26.000 postes, avec un repli des effectifs de 175.000 dans l’agriculture, en relation avec la forte contraction de la récolte céréalière, et une hausse de 70.000 dans les services, de 41.000 dans le BTP et de 38.000 dans l’industrie y compris l’artisanat. Au final, le taux de chômage a connu une légère diminution de 0,1 point à 8,6%.