La valorisation de la diaspora marocaine passe par la restructuration des instances dédiées aux Marocains résidant à l'étranger (MRE). C’est désormais chose faite. Dans son discours prononcé à l’occasion du 49ème anniversaire de la Marche verte, le Roi Mohammed VI a appelé à une refonte de la gouvernance des Marocains du monde. Entretien avec Abdelkhalek Hassini, enseignant-formateur en France, spécialiste en migration et développement et président du collectif «CADOriental Europe».
Propos recueillis par M. Ait Ouaanna
Finances News Hebdo : Le Roi Mohammed VI a annoncé une transformation dans la gestion des affaires des MRE à travers deux institutions clés. Comment cette réorganisation pourraitelle améliorer la coordination des actions en faveur des MRE et répondre à leurs besoins spécifiques ?
Abdelkhalek Hassini : Le Maroc se trouve à un tournant décisif où la valorisation de sa diaspora est essentielle pour le développement national. Lors de son discours à l’occasion du 49ème anniversaire de la Marche verte, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a proclamé une réforme audacieuse dans la gestion des affaires des Marocains résidant à l’étranger (MRE) via deux entités centrales : le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) et la Fondation Mohammedia des Marocains résidant à l’étranger. Cette réorganisation a pour objectif d'optimiser la coordination des initiatives en faveur des MRE et à répondre de manière plus efficace à leurs besoins spécifiques. Le Souverain a fait du potentiel des compétences marocaines à l'international un axe majeur de sa vision, les considérant comme un levier stratégique essentiel pour le développement du Maroc.
Il a mis en avant la nécessité d'une transformation dans la gestion des affaires de la communauté marocaine à l’étranger, notant que «les institutions en charge des MRE souffraient de chevauchements et de dispersions de compétences». Cette restructuration vise à établir un cadre institutionnel cohérent et adapté aux nouvelles réalités des MRE. Elle permet de clarifier les rôles de chaque entité, évitant ainsi les chevauchements et les conflits d'intérêts. Cela marque une inflexion institutionnelle inédite, fruit d’un diagnostic réalisé en 2022, visant à pallier les lacunes de gouvernance actuelles concernant la gestion de la diaspora marocaine. Cette réforme stratégique et inclusive, qualifiée par le Roi de «révolution institutionnelle», a pour objectif de renforcer les liens de la diaspora avec le Royaume et de rationaliser les structures en charge des MRE.
En restructurant le CCME, qui agira comme une institution autonome dédiée à la réflexion et à la proposition, il pourra mieux représenter les intérêts des MRE et établir un dialogue direct avec les autorités marocaines. Sa Majesté a affirmé que «le CCME, en tant qu’institution constitutionnelle autonome, doit assumer pleinement son rôle de cadre de réflexion et de force de proposition et refléter la représentativité des différentes composantes de cette communauté». L'importance de cette représentativité au sein du CCME ne peut être sousestimée, car elle garantit que toutes les voix de la communauté marocaine à l'étranger soient entendues et prises en compte dans les décisions qui les concernent. En parallèle, la Fondation Mohammedia agira comme l’instrument opérationnel de la stratégie nationale, centralisant et coordonnant toutes les initiatives pour une gestion efficace des affaires de la diaspora.
Le Souverain a insisté sur l’urgence d’adopter une nouvelle loi pour faciliter l’installation du CCME, en déclarant : «Nous appelons à diligenter l’adoption de la nouvelle loi relative au Conseil, dans la perspective de son installation dans les meilleurs délais». Cette réorganisation des institutions dédiées aux MRE, dans le cadre d'une coordination efficace et modernisée, vise à instaurer une interface unifiée, garantissant que chaque demande et initiative soit traitée rapidement et efficacement, sans les circuits bureaucratiques qui complexifient leurs démarches. En modernisant les structures, le Maroc cherche à garantir une réponse rapide et adaptée aux préoccupations des MRE, intégrant des initiatives culturelles, économiques et sociales qui répondent à leurs aspirations. Cette restructuration est une étape clé pour renforcer les liens entre le Maroc et sa diaspora. En optimisant la coordination des actions et en répondant aux besoins des MRE, elle ouvre la voie à une nouvelle ère de collaboration. Chaque Marocain, où qu'il soit, est encouragé à jouer un rôle actif dans le développement de son pays. En intégrant les contributions des MRE dans les politiques nationales, le Maroc aspire à bâtir un avenir où leur voix sera valorisée, contribuant ainsi à la prospérité collective du royaume.
F.N.H. : La Fondation Mohammedia des MRE aura pour mission de centraliser les attributions dispersées entre plusieurs acteurs. Quels avantages cette nouvelle Fondation pourrait-elle apporter pour garantir une approche plus cohérente et efficace dans la mise en œuvre de la Stratégie nationale dédiée aux MRE ?
A. H. : Dans un monde de plus en plus interconnecté, la gestion des relations entre un pays et sa diaspora est capitale pour le développement national. La création de la Fondation Mohammedia des Marocains résidant à l’étranger représente une avancée significative dans cette dynamique. En tant que bras opérationnel de la politique publique, cette nouvelle entité a pour mission de centraliser les attributions actuellement dispersées entre plusieurs acteurs, garantissant ainsi une approche plus cohérente et efficace dans la mise en œuvre de la stratégie nationale dédiée aux Marocains du monde. Ce projet ambitieux, porté par le Roi Mohammed VI, vise à renforcer les liens entre le Maroc et sa diaspora tout en répondant à leurs besoins spécifiques. La Fondation Mohammedia aura pour rôle principal d’agréger les attributions dispersées. Actuellement, les responsabilités liées aux MRE sont éclatées entre diverses entités, ce qui engendre des dispersions et des inefficacités. En centralisant ces responsabilités, la Fondation permettra d’offrir une réponse plus coordonnée et adaptée aux besoins des MRE, évitant ainsi les incohérences qui peuvent découler d’une gestion fragmentée. Cette centralisation est cruciale pour garantir que toutes les actions entreprises soient alignées sur les priorités stratégiques définies par le Roi, réduisant ainsi la bureaucratie et rendant l'exécution des initiatives plus rapide et efficace.
Un autre avantage majeur de la Fondation est sa capacité à coordonner les compétences marocaines à l’étranger. En favorisant l’intégration des talents marocains dans des projets structurants au Maroc, la Fondation encouragera l’émergence d’initiatives entrepreneuriales et de projets innovants portés par des MRE. Cela contribuera à une gestion optimale du mécanisme national de mobilisation des compétences des Marocains résidant à l’étranger, permettant ainsi de tirer parti des ressources humaines disponibles au sein de la diaspora. Dans un souci d’efficacité, la Fondation se chargera aussi de la simplification et de la numérisation des procédures administratives. En modernisant les services administratifs, elle réduira les distances et simplifiera les démarches des MRE, ce qui est essentiel pour améliorer leur satisfaction et leur engagement avec le Maroc.
La création de la Fondation Mohammedia et la clarification de ses prérogatives distinctes de celles du CCME répondent aux attentes actuelles et futures des Marocains du monde. En rassemblant les actions en faveur de cette communauté au sein d'une seule structure efficace et dédiée, le Roi Mohammed VI démontre son écoute attentive aux besoins de ses citoyens fidèles, profondément attachés à leur patrie et à leur Souverain. Cette initiative, porteuse de clarté et de cohérence, est sans aucun doute chaleureusement accueillie par les Marocains résidant à l’étranger, renforçant encore davantage leur lien avec le Royaume. En conclusion, la Fondation Mohammedia des MRE est appelée à jouer un rôle central dans la mise en œuvre d'une politique publique efficace et cohérente en faveur des Marocains résidant à l’étranger. En centralisant les attributions, en coordonnant les initiatives et en facilitant l’investissement, elle contribuera à la création d’un environnement propice à l’engagement des MRE, tout en préservant leur identité et en favorisant leur intégration. Cette démarche s’inscrit dans une vision globale de développement, où chaque Marocain, quelle que soit sa situation géographique, peut apporter sa pierre à l’édifice national.
F.N.H. : Dans son discours, le Souverain a souligné l’importance d’un encadrement linguistique, culturel et religieux pour les MRE, toutes générations confondues. Pourquoi cet encadrement est-il crucial pour renforcer l’attachement des jeunes MRE au Maroc, et quels programmes pourraient répondre efficacement à cet objectif ?
A. H. : Dans son discours, le Roi Mohammed VI a souligné avec force l'importance cruciale d'un encadrement linguistique, culturel et religieux pour les MRE, englobant toutes les générations. Il a affirmé que «cette nouvelle institution est appelée à donner une forte impulsion à l’encadrement linguistique, culturel et religieux des membres de la communauté, toutes générations confondues». Cet encadrement est essentiel non seulement pour préserver l'identité marocaine, mais aussi pour renforcer l'attachement des jeunes MRE à leur pays d'origine. À mesure que la diaspora marocaine se développe, il devient impératif de créer des ponts solides entre les jeunes MRE et leur héritage culturel, linguistique et religieux. La mission de la Fondation Mohammedia des MRE sera de renforcer cet encadrement en proposant des actions concrètes visant à maintenir le lien identitaire.
En facilitant l'intégration des MRE dans leurs sociétés d'accueil tout en préservant leur culture d'origine, la Fondation aspire à créer un environnement où les jeunes peuvent s'épanouir tout en restant connectés à leurs racines marocaines. Le discours royal souligne la nécessité de développer une offre culturelle diversifiée et moderne pour les MRE, essentielle pour aider les jeunes à se reconnecter à leur héritage culturel et à renforcer leur sentiment d’appartenance. Des programmes ciblés, incluant des cours de langue arabe et amazighe, des ateliers sur l’histoire du Maroc et des activités religieuses adaptées, devraient être mis en place. Cela entraîne l'implication des départements ministériels et des différents acteurs concernés pour créer des initiatives répondant aux besoins variés de la communauté MRE. Ces actions sont cruciales pour transmettre l'héritage aux enfants des MRE, tout en facilitant leur intégration dans les sociétés d’accueil.
Le discours du Roi Mohammed VI représente une étape décisive pour la diaspora marocaine, renforçant la reconnaissance de son rôle au sein de la nation et de ses contributions à la prospérité et à la stabilité du Royaume. En appelant à une union indéfectible entre l’intérieur et l’extérieur du Royaume, Sa Majesté souligne l'importance de maintenir des liens riches en symbolisme, qui s'expriment par l'attachement à la culture, à la langue et à la religion. Enfin, l'encadrement linguistique, culturel et religieux des MRE est un enjeu fondamental pour maintenir et renforcer l'attachement des jeunes générations à leur pays d'origine. Cette démarche répond à un besoin fondamental de notre époque, permettant aux MRE de défendre leur patrie et de participer activement à son développement. En agissant ainsi, la Fondation Mohammedia contribuera à bâtir un Maroc plus fort, en phase avec les défis mondiaux actuels.
F.N.H. : Le discours royal a également mis l’accent sur la contribution des Marocains du monde au volume des investissements nationaux privés, actuellement limitée à 10%. Quels freins empêchent les MRE à investir davantage au Maroc, et quelles actions spécifiques pourraient être déployées pour dynamiser leur participation économique dans le pays ?
A. H. : Le discours royal a mis en lumière la nécessité de dynamiser l'investissement des MRE au Maroc, soulignant que leur contribution actuelle aux investissements privés nationaux est désespérément limitée à seulement 10%. Sa Majesté le Roi a affirmé : «Il n’est pas concevable que leur contribution au volume global des investissements privés au Maroc reste limitée à 10%». Cette déclaration appelle à une mobilisation collective pour exploiter ce potentiel économique considérable. Dans cette optique, il est essentiel de créer un climat attractif pour l’investissement afin d’encourager les MRE à investir dans leur pays. La Fondation jouera un rôle de facilitateur en simplifiant les procédures et en offrant des incitations, ce qui pourrait considérablement augmenter leur participation économique. Pour comprendre les raisons de cette situation, il est important d'explorer les freins qui entravent les MRE dans leur démarche d'investissement. Parmi ces obstacles, on note les procédures administratives complexes, souvent longues et peu transparentes, qui découragent les investisseurs potentiels.
De plus, le manque d’informations claires sur les opportunités d’investissement constitue un frein supplémentaire. Nombreux sont ceux qui ne sont pas au courant des projets porteurs et des secteurs en croissance, limitant ainsi leur capacité à s'engager. La méfiance envers le climat des affaires au Maroc, souvent alimentée par des expériences passées ou des déceptions, joue également un rôle dissuasif. À cela s'ajoutent des barrières fiscales, telles que des incitations insuffisantes, qui rendent les projets moins attractifs. Pour remédier à cette situation, il est essentiel d’identifier ces obstacles et de déployer des actions spécifiques. Afin d’encourager une dynamique d'investissement plus robuste, plusieurs actions doivent être mises en œuvre. Tout d'abord, la simplification et la numérisation des démarches administratives sont primordiales. La création de guichets uniques dédiés aux MRE faciliterait l’accès aux services administratifs, rendant le processus d’investissement plus fluide et accessible.
Parallèlement, établir des plateformes d’information fournissant des détails sur les opportunités d’investissement et les réglementations aiderait à informer et rassurer les MRE. Enfin, des campagnes de sensibilisation visant à informer les MRE sur les avantages d’investir au Maroc et sur les réussites d’autres investisseurs pourraient changer les perceptions et inciter à une plus grande participation. Dans ce contexte, le Roi a appelé à une révision des dispositifs d’incitation pour faciliter l’accès aux opportunités d’investissement. La Fondation Mohammedia sera un point d’appui pour guider les MRE dans leurs démarches, en simplifiant les processus et en rendant l’information plus accessible. L’engagement des MRE est non seulement un atout pour le Maroc, mais une nécessité stratégique pour bâtir un avenir économique prospère et inclusif.