Après la promesse, place à l’acte. Une phase décisive dans l’histoire du Maroc. Au moment où nous mettions sous presse, le gouvernement Benkirane devrait approuver six projets de lois entérinant la réforme paramétrique du régime civil de la CMR, le relèvement de la pension minimale versée aux agents civils et militaires de l’Etat (CMR et RCAR) de 1.000 à 1.500 DH, ainsi que la création d’un régime de retraite et d’une assurance maladie obligatoire au profit des indépendants (professions libérales, etc.).
Mieux vaut tard que jamais ! Après une longue gymnastique intellectuelle étalée sur plusieurs années, suite à des dizaines de réunions mobilisant les deux commissions technique et nationale, en passant par les rapports couronnés par les recommandations de la Cour des comptes et du Conseil économique, social et environnemental, le Maroc s’apprête enfin à ouvrir le dossier d’une des réformes les plus pressantes de son histoire. A moins d’un an des législatives, le gouvernement Benkirane joint l’acte à la parole en honorant une promesse-clé de son mandat : soumettre au Parlement les textes encadrant la réforme des retraites.
«C’est une réforme difficile mais nécessaire, et c’est bien cela la vérité», a martelé le Chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, il y a deux semaines lors de la séance mensuelle des questions orales au Parlement, avant de révéler aux élus et aux Marocains les grandes lignes de son plan de sauvetage pour la Caisse marocaine des retraites (CMR), aujourd’hui au bord de l’asphyxie. Un courage politique, diront les uns. Une réponse aux pressions et aux doléances des institutions internationales, notamment le Fonds monétaire international, diront les autres. «Les caisses de retraite au Maroc accumulent les déficits», avait déclaré le chef de la mission de consultation du FMI, lors d’une conférence de presse organisée en novembre dernier à Rabat, ajoutant que «chaque journée qui passe fragilise davantage le système». Le régime civil de la (CMR), qui compte pas moins de 400.OOO bénéficiaires, constitue la pièce maîtresse de la réforme. L’on sait que la CMR a déjà commencé à puiser dans les réserves en vue d’honorer ses engagements vis-à-vis de ses adhérents aujourd’hui en retraite (un milliard de DH pompés en 2014, trois milliards en 2015 et six milliards de DH prévus en 2016). Le déséquilibre démographique de son régime civil (trois cotisants pour un retraité) a fait que les cotisations ne suffisent plus à régler les pensions, d’où le passage obligé par les réserves qui, si rien n’est fait entre-temps, finiront par s’épuiser totalement à l’horizon 2022.
Un prix très politique
Pour éviter ce scénario-catastrophe, le gouvernement a fait le choix d’une réforme paramétrique, décrétant d’abord un recul de l’âge de départ à la retraite de 60 à 63 ans, de manière progressive sur trois ans, soit 61 ans dès 2017, 62 ans en 2018 et 63 ans à partir de 2019. «Nous avons tout fait pour rendre la réforme facile à supporter. Nous avons fixé l’âge de départ à la retraite à 63 ans, au lieu de 65 ans», s’est défendu Benkirane devant les représentants de la nation. Une mesure qui, faute de prise en considération de la pénibilité de certains métiers, commence déjà à susciter la grogne des syndicats. Benkirane, lui, sort la carte de l’amélioration continue de l’espérance de vie au Maroc, en se référant à un benchmark international composé des modèles allemand (départ à la retraite à 67 ans), portugais, italien (66 ans), espagnol et polonais (65 ans). Cela dit, sur cet aspect d’âge précisément, la Direction des assurances et de la prévoyance sociale (DAPS) est appelée à soumettre de nouvelles recommandations suite à une première évaluation de la nouvelle situation du régime civil de la CMR, programmée trois ans après l’implémentation de la réforme.
L’autre paramètre bousculé par le Plan de sauvetage du gouvernement consiste à augmenter de quatre points la contribution de l’Etat employeur et celle des fonctionnaires (un point tous les ans). Sachant qu’en vertu du dispositif actuellement en vigueur, le jour où les réserves de la CMR ne suffiraient plus à verser le montant total correspondant à l’équivalent de deux années de pensions, la CMR sera contrainte de revoir d’urgence à la hausse le taux de cotisation à la charge aussi bien de l’Etat et de ses adhérents, de 20 à 42%, et ce d’un seul coup et, surtout, par la force de la loi, sans avoir à recourir à une quelconque réforme.
S’agissant enfin du montant des pensions, son calcul sera basé, selon la réforme, sur la moyenne des salaires constatés durant les huit dernières années d’exercice au lieu de se référer au dernier salaire perçu dans la fonction publique. Il en est de même pour le coefficient de valorisation de la pension, qui sera désormais abaissé de 2,5% à 2%.
Outre les projets de lois relatives au régime civil de la CMR, au Régime collectif d’allocation de retraite (RCAR), à l’âge de départ à la retraite des agents et fonctionnaires de l’Etat, des communes, des entreprises et établissements publics, le Conseil de gouvernement de ce jeudi 7 janvier devrait approuver également une autre mesure d’une grande importance. Il s’agit de la revalorisation de la pension minimale servie aux salariés civils et militaires de l’Etat, de 1.000 à 1.500 DH (CMR et RCAR). Cette hausse sera opérée progressivement sur trois ans et devra coûter à l’Etat près de 570 millions de DH tous les ans.
Parallèlement à cette réforme paramétrique, un autre chantier, et non des moindres, devrait être entériné lors du même Conseil de gouvernement, concernant cette fois-ci les travailleurs indépendants (avocats, médecins, etc). Deux projets de lois donneront ainsi naissance à un régime de retraite ainsi qu’une assurance maladie obligatoire au profit des indépendants. Selon le gouvernement, près de trois millions de personnes seraient concernées par ces deux nouveaux régimes.
Au-delà du coût politique auquel Benkirane et son gouvernement se disent prêts à assumer et à affronter, la réforme des retraites provoque un coût substantiel qui pèse sur le budget de l’Etat, avec des conséquences sonnantes et trébuchantes, évaluées à 41 milliards de DH pendant cinq ans. Mais l’essentiel de cette somme, si ce n’est la totalité, sera légué au gouvernement qui sera nommé après les prochaines législatives !
Wadie El Mouden