Pêche continentale : la production monte en cadence [Entretien]

Pêche continentale: la production monte en cadence  [Entretien]

Abdeladim Lhafi, haut-commissaire aux Eaux et Forêts et à la lutte contre la désertification


 

Le comité de la pêche dans les eaux continentales a tenu sa session ordinaire pour présenter les acquis des quatre premières années de la stratégie 2015-2024.

La cadence de production va s’accélérer.

La valorisation des filières aura de multiples effets bénéfiques sur les plans social, économique et environnemental.

 

Propos recueillis par Lilia Habboul

 

Finances News Hebdo: Quel est le bilan des quatre premières années de la stratégie 2015-2024 ? Que reste-t-il encore à faire ?

Abdeladim Lhafi : L’évaluation se base évidemment sur les projections fixées au départ, c’est-à-dire le comparatif entre les acquis et les objectifs fixés au départ. Le plan décennal 2015-2024 avait fixé un certain nombre d’objectifs en termes de production. Nous devions passer de 15.000 tonnes de poissons en 2014 à 50.000 tonnes à l’horizon 2024. Pour arriver à cette production, il y a des préalables. Le premier est la production d’alevins pour ensemencer les cours d’eaux et les barrages. Ces quatre premières années du plan décennal nous ont fait pratiquement passer de 13 millions d’alevins produits, à 27 millions d’alevins en 2018. Nous ne sommes donc pas très loin de l’objectif qui a été fixé à l’horizon 2024.

Parallèlement, il y a bien sûr un certain nombre de mesures d’accompagnement dont notamment l’organisation professionnelle, les associations, les coopératives, la formation et l’encadrement, les chaînes de valeurs etc. Ces outils et ces dispositifs ont pris leurs cours de façon concomitante et en cohérence avec les objectifs tracés. Nous sommes actuellement à 16.000 tonnes de poissons produits, et nous comptons maintenant passer à la vitesse supérieure pour atteindre les objectifs de 50.000 tonnes en 2024. Par rapport à cela, nous avons comme objectif également de créer 15.000 emplois en milieu rural et ces 15.000 emplois permettront évidemment de travailler dans le cadre partenarial et participatif avec les coopératives et les associations. Et cela est très important, car ce qui nous importe, c’est de créer de la valeur ajoutée qui doit aller vers le milieu rural, vers les coopératives et les associations. Nous sommes en parfaite cohérence avec le modèle de l’économie sociale.

Le deuxième aspect est de passer de l’économie de cueillette, c’est-à-dire la pêche et la vente des matières premières, à une forme de valorisation. C’est d’ailleurs ce que nous avons fait en mettant en marche les chaînes de valeurs. Ces chaînes sont multiples; la pêche sportive en est une. Elle se fait par un certain nombre de clubs, c’est une niche extrêmement importante qui permet de créer des revenus pour les populations locales; la chaîne de valeur de la pêche commerciale, principalement les cyprinidés, les pêches de loisirs etc. Ces chaînes de valeurs ont pour objet de valoriser les divers produits afin d’en tirer le maximum de valeur ajoutée, qui profite aux coopératives du monde rural.

 

F.N.H. : Comment évaluez-vous le bilan de la saison pêche ?

A. L. : Il est acquis que c’est une niche d’une extrême importance pour quatre objectifs essentiels que nous sommes en train de réaliser. Le premier point est la contribution à la sécurité alimentaire. Le poisson donne des protéines de très haute valeur ajoutée et de très bonne qualité. Il est donc destiné aux populations locales à partir de la pêche dans les eaux douces.

Le deuxième point est un objectif écologique. Certaines carpes, par exemple la carpe chinoise que nous élevons, et qui est déversée dans les barrages, a un rôle capital dans la qualité de l’eau. Elle lutte contre ce que nous appelons l’eutrophisation des eaux pour une meilleure qualité d’eau potable. Avec cet élevage de carpes qui sont végétariennes, qui consomment pratiquement toutes ces plantes qui poussent dans les barrages, c’est un véritable service de voieries qu’elles assurent, elles nettoient les barrages, les canalisations d’irrigation.

Il y a également certains petits poissons sans valeur nutritive tels les gambusias que nous élevons et que nous lâchons dans des barrages et qui se nourrissent des larves d’insectes, en coupant le cycle biologique de ces transmetteurs vectoriels d’un certain nombre de maladies. En d’autres termes, nous luttons contre certaines maladies à transmission vectorielle, dans une vision écologique sans avoir recours aux pesticides.

Et puis bien sûr, il y a l’objectif social, c’est-à-dire construire un revenu à travers les coopératives et les associations pour augmenter leurs revenus annuels. Actuellement, certaines coopératives dégagent pratiquement un revenu net de 3.000 dirhams par adhérent, ce qui est important dans ce début de valorisation de la pêche continentale.

Et puis en dernier lieu, il y a ce que nous appelons les sentinelles écologiques, quand il y a une déficience ou une pollution de l’eau, les premiers animaux affectés par cela sont les poissons. Ce sont donc des lanceurs d’alerte, des sentinelles écologiques qui nous permettent de nous renseigner sur l’état de santé d’un écosystème.

A travers le poisson, il n’y a pas que l’aspect commercial, mais il y a aussi l’écologie, la santé publique, l’hygiène, le social, l’emploi et enfin aussi la sentinelle de la santé des écosystèmes.

 

F.N.H. : Cette stratégie a été élaborée afin de concilier trois piliers du développement durable n’est-ce pas ?

A. L. : Oui, nous sommes en plein dans le développement durable. Comment créer de la valeur ajoutée, la création de la richesse, en respectant les équilibres écologiques, et en veillant sur l’aspect social en termes de disponibilité des biens et services mais en même temps en termes d’accessibilité ? Le développement durable est à la rencontre de ces trois éléments. Ce n’est pas un «supermarché» où l’on fait un peu de richesse, un peu d’écologie, un peu de social, ce n’est pas du tout cela. Le développement durable, ce sont des projets qui sont construits en répondant en même temps à ces trois objectifs et c’est ce que nous faisons dans le cadre de ce modèle de développement au niveau des pêches continentales.

 

F.N.H. : Quels sont les projets prévus pour cette année ?

A. L. : 2019 est l’année de montée en puissance. Puisque nous avons les alevins et les outils d’accompagnement, nous allons commencer, à travers cette concrétisation du plan décennal, de passer à la vitesse supérieure en termes d’objectifs, c’est-à-dire production, aspect social et économie sociale et l’aspect écologique des chaînes de valeurs. ◆

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