Pacte d’associés dans la SAS: entre singularité et nécessité

Pacte d’associés dans la SAS: entre singularité et nécessité

La SAS est souvent décrite comme une forme sociale originale en ce qu’elle offre à ses associés un espace de liberté contractuel incomparable par opposition à la SA et son cortège de règles impératives.

La signature d’un pacte entre certains actionnaires, en marge du contrat de société conclu par leur ensemble, conduit à la coexistence d’un double niveau de relations entre les associés.

Entretien avec Nawal Ghaouti, avocate près la Cour de cassation et ancienne présidente de la Commission juridique, fiscale et sociale CFCIM.  

 

Propos recueillis par M. Diao

 

 

 

Finances News Hebdo : Quel intérêt d’avoir un pacte d’actionnaires au sein d’une société par actions simplifiée ?

Nawal Ghaouti : Il est d’usage de présenter la société par actions simplifiée (SAS) comme une forme sociale originale en ce qu’elle offre à ses associés un espace de liberté contractuel incomparable par opposition à la société anonyme et son cortège de règles impératives. Cette liberté se traduit principalement dans la rédaction de statuts spécifiques, forgés «surmesure» par ses fondateurs, qui sont autorisés à y consigner en toute autonomie les modalités de fonctionnement, d’organisation et de direction de la structure, selon leurs accords réciproques (dans les limites des dispositions de la loi 19-20). Il est donc théoriquement possible de prévoir dans les statuts d’une SAS toutes les clauses habituelles des pactes. Dès lors, il est effectivement pertinent de s’interroger sur l’intérêt d’établir un pacte d’associés parallèlement à des statuts d’ores et déjà personnalisés et dont la force obligatoire permet de sécuriser la mise en œuvre de manière plus certaine qu’un accord conventionnel individualisé. Pourtant, en pratique, la signature d’un pacte d’associés en SAS est fortement recommandée et présente des avantages certains :

• Les engagements des associés peuvent être révisés à tout moment par simple avenant sans le formalisme lié à la modification des statuts;

• Son caractère confidentiel permet de garder secrètes certaines clauses aux yeux des tiers;

Il permet à deux ou plusieurs associés de convenir des accords ciblés sur leurs besoins spécifiques qui ne concernent pas les autres partenaires;

• Il permet aussi d’y consigner de manière précise les intentions des fondateurs et d’y détailler certains principes de fonctionnement sans valeur contraignante, mais néanmoins utiles au déploiement de l’activité et propres à anticiper les situations susceptibles de dégénérer en conflits.

On peut citer quelques clauses les plus régulièrement usitées dans ce type de document : clause d’exclusion, droit de veto, renonciation momentanée au droit de vote, clause d’agrément, clause d’inaliénabilité ou de standstill, clause de répartition du bénéfice, clause de retrait etc.

 

F.N.H. : En quoi le statut de l’associé dans une SAS diffère-t-il de celui de l’actionnaire de la société anonyme ?

N. GH. : Tout d’abord, il y a lieu de confirmer que la loi 19-20 utilise le terme d’«associé» et non pas celui d’«actionnaire» s’agissant de la SAS et marque de ce fait le caractère personnel et contractuel de ce statut, contrairement à celui de l’actionnaire de la société anonyme qui renvoie à la catégorie d’actions détenue. Hormis cette particularité de forme, le statut de l’associé en SAS se distingue de celui de l’actionnaire SA car il est forgé par les fondateurs eux-mêmes qui définissent librement les pouvoirs qu’ils souhaitent confier aux dirigeants et ceux qu’ils se réservent, de sorte qu’il n’existe pas de statut-type ou d’associé-type en SAS, mais des singularités propres à chaque structure.

La SA fixe de manière impérative les limites, les contours des droits et les obligations des actionnaires, de même que leurs interactions avec les organes de direction. Le fonctionnement des assemblées générales est aussi contraint par de nombreuses dispositions de la loi 17-95 liées à leur convocation, au quorum et au vote. Tandis qu’en SAS, ce sont les associés fondateurs qui dessinent l’étendue de leurs «droits individuels, pécuniaires et extra pécuniaires», et le champ d’intervention de chacun d’entre eux, individuellement ou collectivement. Ils n’ont aucune obligation de se rassembler en assemblée ou au sein d’un organe délibérant quelconque. Comme ils sont libres de fixer les modes de consultation des associés (par «écrit, téléphone, acte unanime…), les règles de convocation, d’information, de quorum, de majorité etc. Les associés sont autorisés à fixer leurs droits respectifs et limites et peuvent même aménager leurs droits de vote. De ce point de vue, la SAS n’est pas une structure égalitaire ni une «forme démocratique».

Des associés peuvent disposer du même nombre d’actions, mais jouir de droits différents les uns des autres. De ce fait, la SAS ne connait pas les préoccupations de la SA relatives à la protection des minoritaires par exemple. Les clauses statutaires peuvent également porter atteinte à des droits des actionnaires jugés fondamentaux en société anonyme. On peut citer la clause d’exclusion forcée. Ce particularisme permet de détacher le capital du pouvoir et de déterminer le degré d’influence de certains associés de manière décorellée de leurs apports. L’intérêt économique de la SAS réside dans ce pragmatisme qui tient compte de la réalité des affaires : la coexistence au sein d’une même structure d’actionnaires divers, dont les intérêts et préoccupations peuvent être distincts et hétéroclites et parfois divergents, mais qui se rassemblent dans un objectif commun. Nous devons signaler néanmoins que la liberté statutaire en SAS est contenue par les dispositions générales du droit commun applicables aux associés, de même que par les règles de la société anonyme dites «compatibles» avec les dispositions de la SAS, selon la loi 19-20.

 

F.N.H. : Qu’en est-il du point de conflit susceptible de survenir entre les dispositions du pacte et celles des statuts dans la SAS ?

N. GH. : La signature d’un pacte entre certains actionnaires en marge du contrat de société conclu par leur ensemble conduit à la coexistence d’un double niveau de relations entre les associés : le premier à titre individuel et le second sur un plan collectif. Les deux documents ont un caractère contractuel affirmé qui donne force obligatoire aux dispositions qui y sont consignées sur la base de l’autonomie de la volonté fixée par l’article 230 du DOC : «Les obligations contractuelles valablement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites». D’un point de vue strictement légal, la primauté d’un accord sur un autre n’est pas clairement énoncée, y compris lorsqu’il y a contradiction entre les deux textes, sauf en ce qui concerne le domaine réservé légalement aux statuts. Cependant, certains courants de doctrine considèrent de manière constante le pacte comme un contrat subalterne et accessoire aux statuts, qui constitueraient une norme hiérarchiquement supérieure du fait notamment de leur opposabilité aux tiers. A une date récente, la chambre commerciale de la Cour de cassation française a clairement tranché ce point et rendu un arrêt relatif à un conflit entre statuts et pacte dans une SAS (juin 2019) en énonçant la prévalence des statuts sur le pacte.

Les motivations de cette décision ont étonné bon nombre de juristes puisque l’arrêt n’est pas fondé sur la nature juridique des accords, mais sur la chronologie des actes  : la Cour a précisé que les statuts ont été modifiés postérieurement à la conclusion du pacte et que cette modification impliquerait l’amendement du pacte sur le même point… ! Au Maroc, nous pouvons rappeler la célèbre jurisprudence ayant opposé Auchan à l’ONA. Il ne s’agissait certes pas d’une SAS, mais le tribunal arbitral avait également conclu à la supériorité des statuts sur les dispositions du pacte afin de trancher une contradiction entre leurs dispositions. Nous nous permettrons de rappeler à cet égard l’importance d’une rédaction minutieuse de ces documents et la nécessaire coordination entre les règles des statuts et celles des accords extra statutaires. Pour désamorcer ce type de litiges et l’incertitude qu’il fait naître, les associés ne doivent par omettre de consigner les modalités d’interprétation de leurs conventions en cas de conflit entre les textes et définir les principes de lecture et de modification des clauses concernées. Cela est d’autant plus aisé en SAS que les statuts sont le fruit de libres négociations entre associés.

 

F.N.H. : Que peuvent être les conséquences de l’asymétrie d’information au sein des sociétés fermées comme la SAS où tous les actionnaires ne sont pas au fait des rouages et modalités de résolution des différentes opérations et décisions ?

N. GH. : Le droit à l’information des associés n’est pas organisé de manière directe dans la loi 19-20 qui a mis en place la SAS. En gagnant en liberté, les associés perdent en protection impérative sur ce plan. Le législateur a misé ainsi sur la maturité des partenaires pour respecter une certaine loyauté les uns envers les autres et leur a dévolu là encore les prérogatives d’organiser les modes de communication interne des différentes informations et de «s’auto protéger». Les associés sont libres de reproduire des obligations calquées sur celles des SA en matière de droit à l’information. Les statuts peuvent contenir aussi des dispositions spécifiques liées à des informations à partager entre tous en application de l’obligation générale de bonne foi posée par le DOC, mais surtout sur la base des accords contractualisées entre les associés. S’agissant particulièrement des pactes, ceux-ci peuvent effectivement contenir des accords de partage d’informations entre certains partenaires à l’exclusion des autres.

Il s’agit des clauses d’«information renforcée» permettant à certains associés d’accéder à un supplément de documents et éléments. Ces clauses prévoient une obligation de communiquer spontanément ou sur demande à leur bénéficiaire tout événement lié à la continuité de l’exploitation, mais aussi tout document relatif au financement et budgets par exemple. Les associés peuvent par ailleurs décider d’autoriser des «missions d’investigation» périodiques au moyen d’engagement de porte fort. Ces clauses protègent notamment les investisseurs minoritaires et sécurisent leurs avoirs. Au sein d’une SAS où les associés se sont choisi sur des critères d’intuitu personae très fort, ces questions sont généralement largement débattues au moment de la création de la société ou lors des acquisitions, laissant peu de place à des mauvaises surprises ou à des déséquilibres importants dans les rapports de force interne. Les conséquences d’un manque d’information impactant certains associés sont censés être anticipés dans les statuts par des engagements ou des sanctions. La SAS étant une structure dérégulée, volontairement abandonnée en large partie à la volonté de ses associés, il n’est pas concevable d’imaginer que des dispositions viennent contraindre ces derniers à publier leurs pactes comme c’est le cas pour les sociétés faisant appel public à l’épargne.

 

F.N.H. : Enfin, n’est-il pas nécessaire d’améliorer le cadre légal du pacte d’actionnaires au Maroc ?

N. GH. : Le pacte d’actionnaires est un contrat soumis à l’ensemble des dispositions générales du droit des obligations et contrats (DOC), qui en assurent la validité et protègent de manière solide ses protagonistes. Il s’agit néanmoins d’un contrat contraint par une spécificité particulière liée au contexte sociétaire dans lequel il s’applique. Cet accord de volonté est en effet librement consenti entre partenaires à condition toutefois qu’il respecte un certain nombre de règles impératives de la loi sur la SAS (et celle sur la SA en ses dispositions compatibles) des statuts et de l’intérêt social de l’entreprise. La jurisprudence marocaine pose par ailleurs deux conditions complémentaires :

• Qu’il prévoit un terme et ne soit pas conclu à durée indéterminée;

Qu’il prévoit une juste contrepartie à toute renonciation ou concession d’un droit.

La Cour de cassation a reconnu son caractère obligatoire, permettant sa mise en exécution forcée ou sa résolution moyennant des dommages et intérêts, comme toute autre convention civile ou commerciale. Le cadre légal du pacte en fait donc un outil totalement compatible avec l’ingéniosité nécessaire à tous les projets économiques à condition de respecter une rédaction claire et rigoureuse. L’autonomie de la volonté lui a permis de se développer par l’intégration de plus en plus de clauses propres à encadrer toutes les figures d’association entre personnes physiques ou morales. Sa principale limite réside dans l’effet relatif des conventions qui ne peuvent créer des obligations à la charge de non signataires. Ce principe fondamental incontournable de notre régime juridique en restreint ainsi la portée à ses seuls co-contractants. Mais cet inconvénient, inhérent à tous les actes civils ou commerciaux, est largement compensé par l’extraordinaire champ de possibles que le pacte permet aux associés.

 

 

 

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