Entretien // Stéphane Colliac, économiste senior au sein de Euler Hermes
◆ Le rallongement des délais de paiement représente un grand risque pour l’économie marocaine en 2020.
◆ Le problème de financement des TPE et PME est un frein au développement.
◆ Le privé doit se prendre en main et trouver des solutions.
Propos Recueillis par : Badr Chaou
Comment anticipez-vous le risque économique marocain face aux risques externes, à savoir la guerre commerciale sino-américaine, le Brexit, le resserrement de la croissance en Europe, ou encore les risques d’ordre géopolitique ?
Stéphane Colliac : Les bénéfices de la stratégie d’ouverture du Maroc dans un contexte à haut risque sont difficilement atteignables sur plusieurs secteurs, par effet indirect à travers l’affaiblissement de la croissance européenne. Il y a un donc un effet négatif non négligeable de la montée du protectionnisme mondial.
Le Brexit est aussi une source d’inquiétude pour l’économie marocaine. Nous n’anticipons pas d’effets directs pour ce dernier mais nous prévoyons un impact indirect si survient un Brexit sans accord, car il impliquerait une stagnation de la croissance dans beaucoup de pays européens, notamment l’Allemagne, l’Italie, et des récessions aux Pays-Bas, en Belgique, et en Irlande.
Ce contexte aura un impact de second niveau pour le Maroc qui pourrait peser lourd, car l’Europe est le premier partenaire commercial du Maroc.
F.N.H. : Quelle est votre appréciation du climat des affaires au Maroc ?
S. C. : Il y a une réelle différence entre le Doing Business et la réalité. Le climat des affaires au Maroc est aujourd’hui difficile sur la base des observations des défauts de paiement et des défaillances d’entreprises. Ici, le Doing Business est de l’énergie perdue, qui se traduit sur l’aspect de la faillite des entreprises. Il est facile de créer une entreprise, mais elle peut rester pour bien longtemps une coquille vide. D’après notre constat, au Maroc, il y a une grande difficulté à enregistrer des contrats de travail ou mener à terme une promesse de contrat.
Nous pouvons créer des entreprises, mais nous devons nous poser la question si elles ne vont pas disparaître durant l’année qui suit, et c’est malheureusement ce qui est observé. Il y a énormément de TPE qui déposent leurs bilans rapidement car les comportements de paiements des grandes entreprises sont mauvais, et que l’accès au crédit bancaire demeure très difficile. Ces éléments combinés réduisent l’impact des mesures que le Doing Business résume.
F.N.H. : Le problème de financement pose un sérieux problème aux TPE et PME. Quelles en sont les causes selon vous ?
S. C. : Les problèmes sont d’ordres multiples, mais qu’on peut résumer par l’indicateur de délai moyen de paiement, qui est d’approximativement 84 jours et parfois bien plus. Donc, le financement de la trésorerie des entreprises est problématique au Maroc. Nous ne pouvons pas imaginer financer une trésorerie d’une entreprise qui est payée à 150 jours, les banques ne peuvent pas assumer une telle situation. C’est un cycle d’exploitation qui n’est pas viable, et qui produit la réticence des banques au financement des entreprises.
Il est clair qu’il y a un accès au crédit qui est compliqué au Maroc. Il faut que les grandes structures qui sont souvent mauvais payeurs, prennent en compte ce risque et changent de comportement, car autant de TPE et PME qui disparaissent, ont un impact sur la croissance en général.
F.N.H. : Quelle est la solution face à ce problème de délai de paiement ?
S. C. : Dans plusieurs pays notamment en France, il y a une loi qui est appliquée, et qui limite les délais de paiement. Il s’agit de la loi de la modernisation de l’économie, qui a été adoptée il y a 10 ans, et qui limite à 60 jours le délai de paiement. La loi en vigueur au Maroc n’a pas la même philosophie, c’est plus une loi entre une entreprise et son fournisseur directement, et elle invite simplement à une bonne entente, il faut plus d’amendes, plus de justesse. Il faudrait mettre en place des pénalités plus poussées et plus importantes à mon avis.
F.N.H. : Faut-il revoir la loi ?
S. C. : Il faut voir cette loi comme un point de départ mais pas comme étant la solution au problème. Elle ne doit pas être une fin aux démarches législatives pour améliorer les délais de paiement, objectivement il y aura d’autres lois qui devront être faites. Egalement quelques autres mesures plus professionnelles dans l’environnement doivent prendre place pour pallier cette difficulté.
Il peut s’agir entre autres, d’organisations patronales qui prennent à bras-le-corps cette problématique, et réagir communément face à cela. In fine, il ne s’agit pas uniquement d’un problème de l’Etat, c’est aussi de l’essor du secteur privé, qui doit se prendre en main et trouver des solutions.
F.N.H. : Quelles sont vos perspectives de croissance pour le Maroc pour l’année 2020 ?
S. C. : Pour l’année 2020, nous anticipons 2% de croissance ce qui n’est pas en deçà de la croissance moyenne des 5 dernières années. Elle est faible, car nous anticipons que le commerce extérieur continuera à contribuer moins à la croissance.
Nous tablons sur 10 milliards de DH de plus d’exportations en 2020, ce qui n’est pas au niveau de 2017 ou 2018, car on avait un additionnel de 25 milliards de DH. Le 2ème facteur qui risque de manquer, est domestique, se traduisant par une forte détérioration des délais de paiement. S’il n’y a pas de solutions, cela détruirait des entreprises, des activités et de l’emploi, des revenus, ce qui se répercute sur la croissance économique marocaine.