Dix-sept ans déjà ! 17 ans de règne, un temps long et une séquence historique qui aident à appréhender un parcours, mais surtout un corpus qui a inspiré, accompagné et soutenu le déploiement de la vie nationale.
Où en est-on ? Et où va-t-on ? La principale clé de lecture et d’interprétation est celle-ci : la monarchie est – et reste – ce que l’on pourrait appeler le bien commun. C’est le socle de légitimité qui a fondé, avec l’Islam, le Maroc. Il se fonde sur une communauté nationale qui a forgé son identité et qui s’emploie à la sauvegarder. L’institution du khalifat avec le statut de Commandeur des croyants en est l’expression. Elle impose un cahier des charges dont le crédo est la défense et l’illustration de l’intérêt national, par-delà le pluralisme social et politique. Mohammed VI savait depuis sont intronisation où était son devoir, son rôle aussi, sa mission enfin.
L’état des lieux, en 1999, était ce que tout le monde savait. Des acquis : un Etat moderne, une administration, une unité nationale et une intégrité territoriale pratiquement parachevées… Mais le passif n’était pas à ignorer, notamment pour ce qui embrasse le social. C’était là la première priorité. D’où, dès les premiers mois, la mise en exergue d’un projet de société avec des traits constitutifs et structurants : modernité, démocratie, Etat de droit, libertés, justice sociale et solidarité nationale. Un chantier de règne. S’il y a bien continuité parce que l’on est dans une succession dynastique, il y a aussi changement voire rupture. La physiologie des précédentes décennies est revue et corrigée. Elle doit et durablement-réconcilier la société avec l’Etat, baliser le monde de l’autorité et de la toute puissance de l’Etat pour promouvoir à terme un nouveau contrat social dont l’une des déclinaisons est «un nouveau concept d’autorité» formulé dès le discours du 12 octobre 1999 à Casablanca.
«Il est grand temps pour le pouvoir de servir les gens et non l’inverse» : traduit cette approche. Celle-ci prolonge une monarchie sociale. Mohammed VI se distingue à cet égard par un style et une gouvernance qui lui sont propres – un label à nul autre pareil. En accédant au trône, le nouveau Roi ne pouvait évidemment que donner la pleine mesure de cette inclinaison et en faire l’un des axes prioritaires de sa politique. La monarchie sociale, comme le précisent toutes les Constitutions du Royaume, n’est qu’une forme de régime avec son articulation institutionnelle; elle doit aussi être étendue à la vie sociale et profiter à tous, surtout les plus vulnérables. Par-delà sa sollicitude à l’égard des pauvres, c’est une société plus juste et plus solidaire qui est à l’ordre du jour. Une politique qui participe de sa vision des droits humains. Il s’en explique en soulignant que son intérêt marqué pour les questions sociales émane du fait qu’elles «constituent la base de la préservation de la dignité de l’homme».
Reste la faisabilité et l’efficience de cette politique. Ce qui pose le problème des causes du déficit social et celui de la mise en oeuvre des programmes de nature à permettre la mise en équation des causes systématiques et structurelles qui ont généré cette situation.
La situation durable est à long terme; elle impose la reconstruction, à marche forcée, d’un système économique et social différent, moins inégalitaire, plus inclusif aussi. Si la lutte contre la pauvreté le mobilise, Mohammed VI n’ignore pas que les logiques humanitaires et caritatives qui l’accompagnent ne suffisent pas. D’où la nécessité de changer les règles du jeu en cours qui ont induit jusqu’alors la pauvreté et l’inégalité.
Au fond, c’est un renouveau de la vision du développement qu’il faut concevoir et appliquer. D’où l’Initiative nationale du développement humain (INDH), lancée voilà 10 ans, fondée sur une cohérence capable de soutenir une action politique compensatoire en faveur du «développement social» et des exclus (femmes, jeunes, ruraux, handicapés etc.). Cette vision du développement est éminemment politique. Elle regarde le choix des finalités du progrès social devant répondre à la nature des besoins à satisfaire en priorité.
Dans cette optique, il n’y a pas un «menu» fixe, un format rigide, mais un ajustement constant, avec des arbitrages, des hiérarchies et des séquences. Il faut ainsi veiller à prendre en compte les exigences et les contraintes de l’économie de marché, celles des politiques publiques. Mais dans le même temps, il importe de ne pas minorer des effets de celles-ci sur la régulation sociale pour éviter un processus cumulatif d’aggravation des inégalités.
Mohammed VI s’informe, écoute, fait de la proximité jusque dans les régions les plus éloignées. Il impulse, contrôle et s’emploie ainsi à appliquer et à optimiser les voies et les moyens d’un ajustement structurel sur la base de principes qu’il a fait siens. L’Etat doit s’impliquer en particulier au sein d’instances de négociation et de régulation contractuelles associant les secteurs sociaux. Il faut prendre en compte les initiatives des groupes d’acteurs susceptibles d’assurer des fonctions d’intérêt collectif. Une vision globale en somme.
Dix-sept ans de règne, c’est aussi une opportunité pour mesurer le chemin parcouru et en faire une évaluation critique. Dans son discours du trône du 30 juillet 2014, le Souverain a instamment demandé que soit appréhendé l’impact sur le citoyen des projets et chantiers lancés. Comme il l’a déclaré, ce n’est pas parler à cette occasion de «doute, de flou ou d’hésitation», tant il est vrai que «nous savons ce que nous voulons et vers quoi nous allons». Ce n’est pas une remise en cause du cap fixé mais une nouvelle méthodologie pour mesurer la pertinence des politiques publiques. Face à l’exigence de «la prospérité commune de tous les Marocains», le citoyen a-t-il le sentiment qu’il vit mieux ? Le Souverain insiste sur le fait qu’au-delà des indicateurs de développement économique et humain, la richesse nationale doit aussi imprégner le capital immatériel.
C’est tout cela le Maroc. Et en sa qualité de Roi, Mohammed VI assume l’héritage, le donné historique, l’esprit national; tout ce qui donne une identité et un «rang» à part dans le concert des nations. Mais le Maroc c’est aussi un peuple, des citoyens, des Marocains partageant un destin et un vouloir-vivre collectif et désireux de bien-être, de justice sociale et de solidarité nationale.
Roi du Maroc … et des Marocains ? Ce n’est pas une double casquette mais une nouvelle identification de la place et du rôle que Mohammed VI entend assumer dans la plénitude de son statut et de ses charges.
Par Mustapha Sehimi
Professeur de droit, politologue