Depuis quelque temps, les thématiques relatives à l’IA, à la digitalisation et aux startups font florès au Maroc. Entre les colloques, les séminaires, les conférences et les promesses insipides formulées par nos politiques, on se croirait à la Silicon Valley, ou du moins à la veille d’une aube dorée pour les startups au Maroc. Mais qu’en est-il réellement ? Le fait est que sur le plan juridique, une startup ça n’existe pas au Maroc. Aucune définition clairement formulée ni aucun statut juridique ne permettent de définir ce qu’est une startup. Comme disait Camus, «mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde».
Mais qu’en est-il de ne pas la nommer du tout ? Cependant, cela n’empêche nullement tout un chacun d’en parler comme si c’était une évidence, voire de prétendre les soutenir et les aider alors qu’elles n’existent tout bonnement pas juridiquement parlant. Face à cette lacune et pour le besoin de cette chronique, on se réfèrera à la définition générique selon laquelle une startup est une jeune entreprise innovante, et à très fort potentiel de croissance, dont le ou les produits sont reproduisibles partout, ou scalables pour reprendre un anglicisme.
Du fait du caractère risqué de toute innovation et de toute dynamique disruptive, les startups réclament des modes de financement très particuliers, allant du capital-risque au business angels, en passant par le crowdfunding. Sur ce terrain, le Maroc est largement à la traîne, et ce même sur le continent africain, puisque selon les données fournies par le site «Africa : The Big Deal», notre pays n’aurait réussi à capter que 0,5% des investissements destinés aux startups sur le continent. Soit 17 millions de dollars, loin, très loin derrière les startups kenyanes qui ont réussi à lever pas moins de 800 millions de dollars, l’Egypte 640 millions, et peu plus loin, le Nigéria avec 410 millions de dollars en monnaie sonnante et trébuchante.
Mais est-ce la faute des startuppeurs marocains ? Loin de là ! Notre jeunesse regorge de talents et de créativité, à tel point qu’on se les arrache à l’international. Le problème réside avant tout dans l’environnement hostile au sein duquel nos startups évoluent au Maroc, en commençant par la dimension fiscale et règlementaire. Car en n’ayant pas de statut juridique particulier, nos startups sont considérées comme une quelconque TPE ou PME, et soumises par conséquent au même régime fiscal (20% d’IS, 20% de TVA, IR,...).
Or, le fait est que, de par sa nature, une startup réclame des investissements colossaux durant les premières années, durant lesquelles elle fonctionne généralement à perte. Cette période de démarrage est un momentum crucial dans la réussite potentielle de l’entreprise, qui réclame de la part de l’Etat une mansuétude, si ce n’est un soutien important. Mais soumettre une startup au même régime fiscal que les autres entreprises, c’est comme mettre un moteur 3-cylindres dans une Ferrari ou une Porsche. Ça l'handicape ! Ça peut même la tuer de manière précoce, car aux contraintes financières inhérentes aux investissements nécessaires, s'ajoute un fardeau fiscal contreproductif.
Sur le plan règlementaire, les choses ne sont pas plus reluisantes. Entre les interdictions anachroniques (cryptomonnaies, paypal, …), les agréments, dont l’obtention relève souvent d’un marathon, et un régime de contrôle des changes limitatif et contraignant, on ne peut que souhaiter bonne chance à tout entrepreneur désirant innover et prendre des risques. Pourtant, des mécanismes très simples à mettre en place pourraient offrir une bouffée d’air considérable à nos startupers. Je n’en citerai que quelques-uns :
• Définir de manière claire un statut juridique propre aux startups, avec des critères d’éligibilité clairement établis.
• Mettre en place un système de crédit-impôt pour tous les investisseurs qui investissent dans des startups.
• Offrir une exonération fiscale complète durant la première année, et partielle durant la deuxième.
• Créer un marché financier parallèle dédié aux startups.
• Offrir de manière préférentielle un accès au foncier professionnel pour les startuppers.
• Lever les contraintes de change pour les startups en vue d’encourager les investisseurs étrangers à investir dans des projets innovants au Maroc, et permettre aux startups d’acquérir à l’étranger de manière réactive, toutes les technologies, brevets et applications nécessaires à leur développement.
• Mettre en place une règlementation moins contraignante, et surtout plus rapide pour l'octroi des agréments au profit des entreprises de crowdfunding.
• Lever les interdictions stériles et contre-productives sur toutes les nouvelles technologies en les encadrant de manière flexible, en lieu et place des interdictions et des réflexes sécuritaires d’un autre temps.
• Créer un statut similaire à celui de l'auto-entrepreneur, mais moins contraignant et propre aux nouveaux métiers de l’innovation, afin d’offrir aux startups un mécanisme de recrutement plus flexible et plus adapté à leurs phases de développement et à la volatilité de l’environnement.
Ces propositions ne sont que quelques-unes parmi tant d’autres que réclament nos jeunes startuppers. Il suffit de les écouter pour se rendre compte des contraintes avec lesquelles ils doivent composer. Car, en attendant, non seulement nos startups souffrent le martyr, mais elles n’existent tout simplement pas encore, du moins, sur le plan juridique et fiscal.
Par Rachid Achachi, chroniqueur, DG d'Arkhé Consulting