Au 3ème trimestre, le taux de chômage s’est accru de 0,5 point, passant de 9,6% en 2014, à 10,1% en 2015, malgré des agrégats macroéconomiques au vert. Mehdi Lahlou, économiste et professeur à l'Institut national de statistiques et d'économie appliquée, décortique les derniers chiffres du HCP relatifs au marché du travail. Le secteur de «l’agriculture, forêt et pêche» est le plus impacté par le chômage, avec 27.000 emplois perdus. En deux ans, environ 11.000 entreprises ont mis la clé sous la porte.
Les derniers chiffres du Haut-commissariat au plan relatifs à la situation du marché du travail au 3ème trimestre de 2015 ne se présentent pas comme prévu. Alors que les agrégats macroéconomiques du pays sont au vert (www.financenews.press.ma), le taux de chômage, contrairement aux attentes, s’est accru de 0,5 point, passant de 9,6%, en 2014, à 10,1% en 2015; soit moins de la moitié de la demande additionnelle d’emploi estimée à 107.000 personnes. En effet, seulement 41.000 postes d’emploi ont été créés cette année, dont 24.000 en milieu urbain et 17.000 en milieu rural contre 58.000 une année auparavant.
Même tendance baissière du taux de sous-emploi qui est passé de 10,6% à 11,3%, perdant au passage 0,7 point aussi bien en milieu urbain (de 9,6% à 10,2%) qu’en milieu rural (11,6% à 12,3%).
A une année de la fin de ce mandat, on est donc très loin de l’objectif que le gouvernement de Benkirane s’était fixé dans la déclaration gouvernementale, à savoir ramener le taux de chômage à 8%.
Et c’est sûr qu’en une année, il est difficile, voire impossible, pour le gouvernement d’honorer cet engagement, même si le PLF 2016 prévoit le renforcement d’un modèle de développement économique inclusif, qui vise, entre autres, la création d’emplois.
Evolution du chômage
Pour certains économistes, ces statistiques ne sont pas parlantes et ne reflètent pas la réalité sur le terrain. En effet, si l’on analyse les chiffres des 5 dernières années, on constate qu’il n’y a pas eu de grandes variations du taux de chômage.
«D’une année à l’autre, la variation du taux de chômage (de 0,1; 0,2 à 0,4%) n’est pas très importante, ce qui remet en cause la fiabilité des chiffres. On se demande même comment cette enquête est menée ? La concomitance entre une très faible variation du taux de chômage et une très grande variabilité des agrégats macroéconomiques pose un problème au niveau de l’appareil statistique lui-même», tient à préciser Mehdi Lahlou, économiste et professeur à l'Institut national de statistiques et d'économie appliquée.
Ce dernier a toujours contesté la fiabilité du calcul du taux de chômage, qui reste loin de la réalité. Ces chiffres sont-ils biaisés ? Une chose est sûre : il y a une incohérence entre le taux de chômage et les autres indicateurs économiques du pays.
En effet, en 2015, la majorité de ces indicateurs sont au vert, avec un déficit budgétaire divisé par deux, une amélioration du compte courant, un recul de 22% du déficit commercial grâce à la hausse des exportations de 8% et la baisse des importations de 8%, ainsi qu’une nette amélioration des réserves de change, qui devraient s’établir à 6 mois et 13 jours d’importations de biens et services à fin 2015.
«On ne peut qu'être surpris par ces chiffres étant donné que l’essentiel des agrégats macroéconomiques sont au vert avec l’amélioration du commerce extérieur, l’augmentation des exportations, une année record sur le plan agricole, une augmentation des IDE…, mais pour autant, le taux de chômage a augmenté. Il y a donc une déconnexion entre le marché de l’emploi et le système productif», analyse Mehdi Lahlou.
Le secteur de «l’agriculture, forêt et pêche» le plus touché
D’après l’enquête du HCP, le secteur de «l’agriculture, forêt et pêche» est le plus impacté par le chômage, avec 27.000 emplois perdus.
En effet, alors que les autres secteurs, notamment des services, du BTP, de l’industrie se sont plutôt bien comportés avec la création respectivement de 27.000, 25.000 et 16.000 emplois, celui de l’agriculture, forêt et pêche a enregistré une baisse de 0,6% du volume d’emploi du secteur, avec 0,8% en milieu urbain (2.000 emplois) et 0,6% en milieu rural (2.500 emplois).
Difficile de comprendre cette baisse, surtout que l’année agricole a été très bonne. Selon notre économiste, il n’y a pas une connexion nécessairement positive entre l’augmentation de la production agricole et celle de l’emploi.
«L’augmentation de la production agricole est d’une manière générale liée à l’utilisation de plus de machines, plus d’engrais et plus de technologies agricoles avancées. L’augmentation de la productivité dans ce sens implique nécessairement une baisse de l’emploi», a-t-il précisé.
En effet, la modernisation du secteur agricole a comme corollaire cette baisse de l’emploi, qui n’est pas une anomalie en soi.
Ce qui est plutôt anormal, selon Mehdi Lahlou, c’est qu’une production agricole importante devrait avoir des effets induits très élevés sur l’ensemble des autres secteurs productifs (services, BTP, production de biens industriels…). Ce qui n’est pas le cas.
Autres facteurs déclencheurs
Cette augmentation du taux de chômage s’explique également par un phénomène qui prend de plus en plus de l’ampleur, à savoir la faillite des entreprises.
«Il y a aussi une autre donnée importante dont il faut tenir compte et qui est la faillite des entreprises, principales créatrices d’emplois», tient à rappeler Mehdi Lahlou.
En effet, le taux de faillite des entreprises ne fait qu’augmenter, d’année en année. En 2014, 5.000 entreprises ont mis la clé sous la porte soit 15% de plus par rapport à 2013. Même tendance au cours des 9 premiers mois de 2015. Au total, en deux ans, 11.000 entreprises ont dû fermer, mettant ainsi au chômage des milliers de personnes. «Ce qui signifie que la confiance des entreprises et des investisseurs dans les agrégats macroéconomiques et dans les perspectives futures de l’économie faiblit», explique notre économiste.
A cela s’ajoute la faible employabilité de l’administration publique, qui ne crée plus assez d’emplois depuis 4 à 5 ans avec moins de 20.000 postes budgétaires par an. Ce qui n’est pas sans conséquences sur la configuration générale du marché de l’emploi.
Lamiae Boumahrou