La Journée mondiale du consommateur est célébrée chaque année le 15 mars.
Dans sa stratégie de développement du produit local, le Maroc place le consommateur au cœur de ses préoccupations.
Entretien avec Adil Lamnini, président de l’Association professionnelle des marques marocaines.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : Le made in Morocco était au cœur de la Journée nationale du consommateur. Peut-on dire que cette journée est un rappel à l’ordre pour sensibiliser et instaurer une culture de consommer marocain ?
Adil Lamnini : La Journée nationale du consommateur a eu pour thématique cette année : «Le consommateur marocain au cœur de la stratégie du développement du produit local». C’était l’occasion de sensibiliser les consommateurs à la qualité des produits et services, ainsi qu'à leurs droits et obligations en tant que consommateurs. Cet événement est également destiné à éduquer les consommateurs sur les différentes options de consommation et à les encourager à faire des choix éclairés lorsqu'ils achètent des produits et services made in Morocco. Cette journée a également pour objectif d’encourager les consommateurs à adopter une approche plus responsable et durable de leur consommation, mais aussi à promouvoir des produits et services locaux qui sont fabriqués à partir de matériaux durables, qui sont respectueux de l'environnement et économiquement viables.
F.N.H. : Une étude menée par la Fédération nationale des associations du consommateur, en partenariat avec le ministère, a conclu que les Marocains sont confiants (selon des conditions) par rapport au produit local. Quels sont les principaux enseignements que vous avez tirés de cette étude ?
A. L. : Les principaux enseignements à retenir de cette étude doivent être ceux qui nous permettront de mieux appréhender les facteurs comportementaux qui interviennent dans le choix des produits de consommation. Mais aussi de mieux comprendre le comportement du consommateur face aux produits marocains, son niveau d’information et de faire une évaluation de l’impact de consommer marocain sur la relance économique. In fine, cela nous permettra de retenir des recommandations pragmatiques et actionnables pour la promotion des produits made in Morocco. Cette étude menée auprès d’un échantillon de 3.000 personnes âgées de 18 à 65 ans (1.500 en ligne et 1.500 en face à face) a fait ressortir ce qui suit :
• Les Marocains sont prêts à consommer local et réduire la part des produits importés dans leur panier et, par conséquent contribuer, dans un acte citoyen et patriote, au développement de l’entreprise locale et à celui économique du pays, à condition que le produit soit dans un rapport qualité/prix acceptable.
• 62,6% des personnes sondées ont déclaré être confiantes vis-à-vis des produits fabriqués au Maroc, dont 21% se disent très confiantes.
• 36,5% des sondés, tous âge, niveau d’instruction, classe sociale confondus, citent en premier les produits alimentaires d’origine marocaine. Cela reflète une forme de fierté pour la qualité des produits gastronomiques marocains, et le coût des produits alimentaires est moindre que les produits importés.
• Le second type de produits cités est l’automobile, avec 29,3%.
• Le textile arrive en troisième type de produits avec 26,2%.
• En dernière position, on trouve l’électronique et l’électroménager avec seulement 9% en moyenne.
Il ressort aussi de cette étude que 36,7% des interrogés citent le patriotisme économique et la contribution à l’économie marocaine. La deuxième raison étant le prix avec 33,2%, puis la qualité avec 30,1%. Par ailleurs, au niveau de l’Association professionnelle des marques marocaines (APMM), nous avons été très attentifs aux questions relatives à l’importance du label «made in Morocco» pour le choix des produits. Nous pouvons affirmer avoir été confortés par l’évolution positive de cet indicateur, puisque 35% des interrogés trouvent que le label «made in Morocco» est utile pour les aider dans le choix des produits. Cependant, nous estimons que notre travail de sensibilisation des consommateurs et d’accompagnement des TPE/PME doit s’intensifier pour convertir les 24,1% des sondés qui jugent le label «made in Morocco» inutile dans le choix des produits.
F.N.H. : Quelles sont les mesures à prendre pour booster le produit local et le label marocain ?
A. L. : Nous pensons au niveau de l’APMM qu’il est important de sensibiliser et de communiquer avec nos consommateurs locaux. Nous avons depuis plus de 9 ans maintenant défendu les mesures suivantes :
• Le made in Morocco et/ou le patriotisme économique doit être enseigné à l’école. Nos enfants seront à la fois les producteurs et les consommateurs de demain ! A nous de leur transmettre l’amour du pays et de ses produits.
• Créer, en urgence, la cartographie du made in Morocco pour les 12 régions de notre Royaume. Nous pourrions mieux quantifier notre patrimoine matériel et immatériel et mieux informer et guider ceux qui veulent y investir.
• Établir des partenariats avec des annonceurs et des médias locaux et nationaux pour promouvoir le produit et le label marocain, à l’instar de ce qui se fait partout dans le monde.
• Organiser des événements de promotion et de sensibilisation pour promouvoir le produit local et le label marocain : exemple du Salon made in Morocco.
• Lancer des formations et des séminaires pour les producteurs locaux afin de leur offrir les compétences et les connaissances nécessaires pour améliorer leurs produits.
• Mettre en place des systèmes de certification pour s’assurer que les produits locaux et les produits labellisés marocains respectent les normes de qualité
. • Développer des processus de production et de distribution plus efficaces et plus durables. Ceci permettra d’éviter l’intermédiation et les différentes formes de spéculation.
• Et promouvoir l’utilisation des produits locaux et du label marocain dans les restaurants, les établissements hôteliers et plus généralement dans toutes les entités étatiques.
Cette liste de mesures de propositions n’étant pas exhaustive, elle reste tributaire de la mise en place d’une agence indépendante pour coordonner de façon transversale et stratégique toutes les actions de toutes les parties prenantes dans le made in Morocco. Mais aussi pour optimiser les investissements colossaux qui ne sont aujourd’hui guidés que par des agendas politiques.
F.N.H. : Le ministère de l’Industrie a mis en place une banque de projets visant à promouvoir la production locale dans plusieurs domaines. Ces démarches sont-elles suffisantes ? Quelle lecture en faitesvous ?
A. L. : Rappelons que le ministère a lancé, en plein Covid-19, cette banque de projets industriels dans le cadre de son plan de relance industrielle (2021-2023). Cette stratégie vise à remplacer les importations, à stimuler la participation des entreprises marocaines dans l'industrie et à réduire les émissions de gaz à effet de serre afin de soutenir les exportations. Lors de la journée, Ryad Mezzour a même déclaré que l’objectif de son ministère est de faire du made in Morocco un marqueur de qualité, de compétitivité et de durabilité pour répondre aux besoins du consommateur et gagner sa confiance. Il a annoncé aussi avoir mis en place, pour y parvenir, un dispositif de promotion de la fabrication locale à travers la banque de projets qui a identifié à ce jour 1.542 projets d’investissements pour une substitution à l’import de 75,9 milliards de dirhams. Au-delà du travail d’identification qui est certes important, nous aurions voulu entendre le ministère au sujet du projet de révision de la cinquantaine d’accords de libre-échange, qui sont en réalité la vraie cause du déséquilibre de notre économie, dont les exemples turc pour le textile ou celui tunisien pour les cahiers scolaires, ne sont que la partie visible de l’iceberg. Nous aurions voulu aussi entendre la tutelle au sujet de l’accélération des procédures de protection de notre production nationale à travers la mise en place et de l’application des normes marocaines (NM). Le travail de fonds entamé par Imanor doit être une priorité absolue. Nous souhaitons aussi rappeler que notre économie n’est pas uniquement celle des élites de la CGEM, mais qu’elle est essentiellement portée par des TPE et des PME à plus de 95%, et que les barrières à l’entrée des secteurs prioritaires ainsi que les tickets d’investissement relatifs à cette banque de projets accusent un réel décalage par rapport à la réalité de notre tissu entrepreneurial. Nous proposons que cette banque de projets soit adossée aux Plans de développement régionaux pour mieux répondre aux besoins régionaux dont les CRI sont les relais. Cela permettra de mieux répartir les investissements en fonction du potentiel et des besoins de chaque région ainsi que de s’inscrire dans la vision royale qui est celle de la décentralisation et du renforcement de la régionalisation.
F.N.H. : En tant que président de l’APMM, quelles sont les actions que vous entreprenez pour rendre plus attractifs et plus compétitifs les produits locaux par rapport à ceux étrangers ?
A. L. : Nous sommes convaincus au sein de l’APMM que nos produits et nos services made in Morocco ont un très fort potentiel aussi bien sur le marché local qu’à l’international. Nous sommes aussi convaincus que nos entreprises ont besoin d’un accompagnement professionnel par rapport aux problématiques de branding, de marketing, de packaging et de logistique. Nos marques doivent être automatiquement enregistrées et protégées à l’OMPIC. Nous sommes aussi convaincus que la digitalisation de nos marques leur permettra d’être plus accessibles et plus visibles sur le marché à condition de s’adapter aux demandes et aux habitudes de consommation des différents segments de clientèle. Tous les experts en commerce international s’accordent sur le fait que nous serions gagnants à nous diversifier en matière d’exportation, en investissant sur de nouveaux marchés à très forte valeur ajoutée, notamment en Afrique. Enfin, nous pensons que l’Etat doit donner l’exemple à travers la commande publique qui doit être, quand c’est possible, à 100% locale. Et constituer ainsi un gage de garantie que consommer du made in Morocco est conforme aux procédures administratives et aux normes de qualité. De ce fait, inspirer la confiance des acteurs locaux, mais aussi internationaux.