- Elle pèse plus de 20% du PIB, hors secteur primaire, et génère un manque à gagner de 40 Mds de DH pour l’Etat.
- Le patronat demande à l’Exécutif d’élaborer une stratégie nationale pour lutter contre ce phénomène.
L’informel gangrène l’économie nationale. Et inquiète les opérateurs économiques. La Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) en particulier, qui vient de présenter les résultats d’une étude relative aux impacts de l’économie informelle sur la compétitivité des entreprises.
Cette démarche du patronat est motivée par deux choses essentielles : d’une part, la CGEM a une responsabilité par rapport aux grands dossiers économiques du Royaume et, d’autre part, il s’agit de libérer la compétitivité du secteur privé.
En cela, le patronat appréhende l’économie informelle sous trois aspects : la production informelle, l’économie souterraine (sous-facturation, déclarations de chiffres d’affaires tronquées…) et les activités illégales (contrebande et contrefaçon).
Réalisée par la cabinet Roland Berger, sélectionné suite à un appel à manifestation d’intérêt, cette étude a donc permis de quantifier l’impact de l’informel sur l’économie nationale.
Il en ressort ainsi que l’économie informelle pèse plus de 20% du PIB, hors secteur primaire, et 10% des importations formelles, avec des impacts différents selon les secteurs d’activité : 54% du poids de l’économie informelle dans le textile habillement, 32% dans le transport routier de marchandises, 31% dans le BTP et 26% dans l’industrie agroalimentaire et tabac.
Dans ce cadre, relève l’étude, «avec 2,4 millions d’emplois, l’informel de production reste un large pourvoyeur d’emplois». Mais, souligne avec force Miriem Bensalah-Chaqroun, présidente de la CGEM, «ce sont autant de personnes qui sont démunies de filets sociaux et qui sont exposées à la précarité». C’est pourquoi, ajoute-t-elle, «l’informel est dangereux pour la société».
Il est d’autant plus dangereux que près de 3 millions d’emplois dans le formel sont menacés par l’informel. Pire encore, aujourd’hui il génère un manque à gagner de 40 Mds de DH pour l’Etat, entre le volet fiscal et les cotisations sociales.
C’est dire que la problématique de l’informel est une affaire nationale, qui va bien au-delà des préoccupations des entreprises. «Il faut une feuille de route Privé-Gouvernement pour s’attaquer à ce phénomène», note Bensalah-Chaqroun, faisant que l’Exécutif doit élaborer une stratégie nationale dont l’objectif n’est pas de cibler les petits commerces, mais plutôt les fournisseurs et autres chaînes de distribution vers le consommateur.
Comment intégrer le secteur formel ?
Au-delà des constats, la finalité de l’étude est bien de faire migrer les acteurs de l’informel vers l’économie formelle. «L’objectif est de les intégrer, parce qu’ils ont un outil de production, des ressources humaines et qu’ils peuvent fournir de bons produits», fait savoir la patronne des patrons.
Sauf que le danger actuellement est que plusieurs entrepreneurs prennent le chemin inverse. «Fait inquiétant pour le modèle économique marocain, nous constatons que de plus en plus d’entreprises glissent du secteur formel vers l’informel», alerte l’étude.
Comment alors inciter les unités de production informelles (UPI) à sortir de leur zone de confort et intégrer le secteur formel ? Dans le cadre de l’étude, un benchmark a été mené avec des pays ayant suivi une stratégie réussie d’intégration du secteur formel. Que ce soit au Chili, en Turquie ou encore en Slovaquie, les mesures prises par leur gouvernement sont plus ou moins identiques : simplification du statut juridique et du régime fiscal des micro-entreprises, allègement de la fiscalité et flexibilisation du contrat de travail.
C’est fort de ces exemples réussis que la CGEM a identifié une série de mesures prioritaires pour accompagner le secteur informel (voir encadré). Mais il faudra d’ores et déjà accepter une évidence : la lutte contre l’informel requiert une stratégie cohérente et bien circonscrite et, surtout, de la patience : au Chili, il a fallu 10 ans pour arriver à abaisser le poids de l’informel de 10%, quand sur la même période la Turquie l’a réduit de 20%. ■
Les recommandations du patronat
La CGEM a fait des recommandations articulées autour d’un plan d’action en six axes, dont 4 sont considérés comme prioritaires :
• Renforcement de l'attractivité du formel via une meilleure compétitivité des entreprises, à travers notamment la réduction du gap de compétitivité fiscal entre formel et informel (allègement de la fiscalité sur le travail et les outils de production,…), simplification de la TVA (consommation vs production) et augmentation des droits de douane sur l'importation de produits finis (textile notamment);
• Accompagnement dans l'intégration des unités de production informelles à l'économie formelle grâce à la mise en place d’un cadre réglementaire spécifique et incitatif pour les UPI;
• Lutte contre les leviers de l'économie souterraine avec l’intégration de la CGEM/Fédérations dans le processus de détection des fraudes et l’établissement de référentiels en impliquant le secteur privé (prix de référence vs prix de revient,…);
• Assèchement de la contrebande à travers la mise en place de conditions de transfert de la main-d'oeuvre de contrebande à l'emploi productif formel et renforcement des contrôles sur tous les fronts de la contrebande.
A ces actions prioritaires s’ajoutent deux leviers transverses que sont l’éducation et la formation (sensibiliser les consommateurs aux méfaits de l’économie informelle, promouvoir l’emploi formel et ses avantages…) et la lutte contre la corruption (digitaliser et numériser les services publics et baisser les plafonds du paiement cash autorisés).
D. William